Postes : fin d’un service public universel

No 52 - déc. 2013 / janv. 2014

Travail

Postes : fin d’un service public universel

Léa Fontaine

Depuis quelques années déjà Postes Canada recherche la rentabilité absolue, sans se préoccuper des répercussions sur les travailleuses et travailleurs pas plus que sur les usagères et usagers des services postaux. Comme le soulignait Giuliana Fumagalli lors d’une entrevue réalisée récemment, le désir de la direction de dérèglementer Postes Canada ne date pas d’hier. Cette militante syndicale met l’accent sur les points qui accablent le plus le personnel des services postaux et leurs usager·ère·s.

La dérèglementation du service postal

La Société canadienne des postes (ci-après « Postes Canada ») est censée viser la fourniture d’un service postal qui répond aux besoins de la population, dans les régions tant rurales qu’urbaines. Dans ce but, le gouvernement fédéral a mis en œuvre un Protocole du service postal canadien pour décrire ses attentes concernant les normes de service et les activités connexes de Postes Canada. Une réévaluation de ce texte est effectuée tous les cinq ans, la prochaine fois étant en 2014. Selon le protocole, Postes Canada cherche à fournir un service universel, des tarifs abordables, des livraisons fréquentes et fiables, un accès pratique aux services postaux, la sécurité de la livraison de même qu’un bon traitement des plaintes (avec enquête par exemple).

Pourtant en parallèle, la dérèglementation est en route depuis des années, engendrant d’importantes réductions de service notamment en fermant ou en réduisant la taille des bureaux de poste publics, en éliminant la livraison à domicile tant en zones urbaines que rurales et en implantant des boîtes postales communautaires et des boîtes aux lettres rurales, en diminuant le nombre de boîtes aux lettres publiques ou encore en portant atteinte aux conditions de travail des travailleur·se·s.

Qui plus est, la société d’État regroupe plusieurs entreprises dont Purolator, qui offre notamment les mêmes services que Postes Canada, soit Prioritaire ou encore Xpresspost. Il faut ici savoir que Postes Canada rend des services de meilleure qualité que Purolator, en termes de coût et de temps ; elle se fait en quelque sorte concurrence à elle-même. Par ailleurs, Postes Canada a développé des liens avec un fournisseur de premier plan en matière de solutions de cybercommerce, soit l’entreprise GoEcart. Le tissu corporatif de Postes Canada se complexifie.

La stratégie de l’encerclement

En lien avec la tendance vers la dérèglementation, la stratégie de l’encerclement se développe ; celle-ci prend la forme d’une manœuvre visant la fermeture de bureaux de Postes Canada en installant, autour des bureaux ouverts, des comptoirs postaux dans les pharmacies ou dans les dépanneurs  [1]. Voici deux exemples parmi tant d’autres : le bureau postal de la Place du Parc a fermé ses portes, car une concession de Postes Cana­da a été ouverte dans le même centre commercial, soit dans une pharmacie Uniprix, et avait des heures d’ouverture plus longues. Ce comptoir postal étant une concession, le pharmacien doit, en conséquence, le rendre conforme aux exigences de Postes Canada ; ainsi il doit acheter des droits d’exploitation, payer les formations de ses travailleur·se·s qui vont travailler au comptoir, etc. Second exemple, les bureaux postaux n’acceptent plus les envois de colis et renvoient les usager·ère·s aux comptoirs postaux, cela dans le but évident d’aboutir à moyen terme à la fermeture des bureaux postaux. Aussi, en ce qui a trait aux horaires, les bureaux postaux sont fermés le dimanche, mais la plupart des comptoirs postaux dans les pharmacies sont ouverts sept jours sur sept. Il existe clairement une volonté de démanteler le réseau des bureaux postaux.

Diminution des envois ?

La société d’État a perdu de vue son rôle auprès des usager·ère·s en visant le profit à tout prix et en mettant de côté sa soi-disant politique « des valeurs ». La manière de présenter les chiffres est trompeuse ; par exemple, dans un premier temps, elle affirme viser un profit et, dans un second temps, elle annonce une perte alors qu’en pratique elle n’a réalisé que la moitié de ses prévisions, qui devaient être trop ambitieuses. En outre, Postes Canada signale une nette diminution des envois postaux. Certes, il est vrai qu’il y a moins de lettres en circulation, notamment en raison de la facturation par Internet ; mais d’un autre côté, il y a beaucoup plus d’envois de colis : d’une part, beaucoup de jeunes magasinent sur les sites Internet et commandent de nombreux produits techno, d’autre part, beaucoup de personnes âgées commandent divers produits par le biais des « télé-achats ».

Les factrices et les facteurs

Tout cela a bien sûr des répercussions sur le personnel de la société canadienne. La situation des factrices et des facteurs est assez bien connue du grand public dans la mesure où ils sont en contact direct avec la population. Par le passé, les factrices et facteurs étaient rémunérés pour trier leur courrier avant de partir le distribuer. Aujourd’hui, pour Montréal, tout est trié au centre de Saint-Laurent et les routes de livraison ont été allongées pour toutes et tous. La pression est ainsi plus forte et les risques d’accidents plus importants, en raison de la fatigue par exemple.

Par ailleurs, le tri du courrier se fait en liasse de manière séquentielle et de manière manuelle pour certains envois. Le problème réside ici dans l’organisation des liasses posées à même le bras des travailleur·se·s, ce qui de toute évidence peut entraîner des troubles musculo-squelettiques et des blessures. Plusieurs plaintes ont été déposées à ce sujet. En novembre dernier, un arbitre de grief a jugé que la nouvelle méthode de travail augmentait les risques de chute et de glissade.

Le tri postal à la sauce Lean

A priori, les choses n’ont pas tellement changé dans les centres de tri postaux, la journée de travail dure encore huit heures ; les délégués syndicaux sont officiellement et réellement libérés. Toutefois, la supervision et la surveillance des travailleur·se·s ont pris des proportions totalement démesurées : une horde de gestionnaires, surintendants, superviseurs veillent sur eux. La réorganisation du travail sous les auspices de la méthode Lean est une véritable catastrophe, le but recherché étant la performance (en matière de productivité, qualité, délais et coûts), censée être plus facile à atteindre par l’amélioration continue et l’élimination du gaspillage. Or, plusieurs études scientifiques mettent en exergue les risques de dégradation tant des conditions de travail que de la santé et de la sécurité des travailleur·se·s occasionnés par cette méthode.

Aussi, la confiance est brisée entre la direction et les travailleur·se·s dans la mesure où elle explique aux ancien·ne·s membres du personnel comment faire le travail… Ce faisant, la direction porte aussi un coup magistral à l’autonomie de ses travail-leur·se·s. Cela se concrétise notamment de la manière suivante : le tri par code postal se fait maintenant par lecture électronique des codes barres collés sur le courrier. Cette méthode, appelée « vidéo-codage », permet de lire les codes postaux de 1 200 lettres à l’heure et de 800 colis à l’heure. Le courrier au code postal non reconnu par la machine est rejeté. Or, à l’époque où les factrices et facteurs classaient eux-mêmes le courrier et connaissaient leur « run de lait » ainsi que « leurs » usager·ère·s, ils faisaient le lien entre le courrier mal adressé par les expéditeurs et les destinataires et étaient en mesure de le livrer. Au fil du temps, ce service de proximité s’est étiolé et les travailleur·se·s sont devenus une pièce comme une autre dans le mécanisme Lean. Finalement, tout tend à être automatisé au détriment des factrices, facteurs, usagères et usagers.

Demain…

Le démantèlement de Postes Canada est engendré par la démonopolisation des services, l’accroissement des partenariats ou encore la sous-traitance de la livraison du courrier aux comptoirs postaux ainsi qu’à des entreprises privées, et peut-être, dans un avenir proche, la sous-traitance du vidéo-codage. On assiste à un véritable sabordage de la société d’État, des services et des commerces de proximité. L’idée d’un service public universel accessible à tous et toutes n’est plus.

Ce qui serait salvateur pour Postes Canada serait de développer de nouveaux services, comme l’ont fait d’autres systèmes postaux étrangers, en faisant face aux éventuelles pertes financières en offrant d’autres services générateurs de revenus, y compris des services financiers lucratifs comme le paiement des factures ou encore des services bancaires. Il faut sauver ce service postal universel et de proximité, qui survit malgré les nombreuses actions de sabotage. Le syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) envisage diverses voies d’avenir. À suivre…


[1N.B. : Les bureaux postaux sont sous la responsabilité de Postes Canada, tandis que les comptoirs postaux sont des concessions au sein des dépanneurs et pharmacies.

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