G20-Contre-sommet sous haute pression

No 52 - déc. 2013 / janv. 2014

International

G20-Contre-sommet sous haute pression

Entrevue avec Pierre-Yves Serinet

Claude Vaillancourt

Pierre-Yves Serinet a été l’un des organisateurs du contre-sommet du G20 à Saint-Pétersbourg en septembre dernier. Le défi posé par une telle rencontre internationale était considérable : le régime de Vladimir Poutine n’est pas particulièrement ouvert à l’opposition, et s’engager dans un événement qui remet en question l’existence même du G20 n’est pas sans risque en Russie. Voici le récit de cette singulière aventure.

À bâbord ! : Comment a pu s’organiser un contre-sommet du G20 en Russie, un pays si peu ouvert à la démocratie ?

Pierre-Yves Serinet  : Le défi a été de taille ! Lors du Sommet des peuples contre le G20 au Mexique en juin 2012, nous avions prévu d’effectuer la transition vers le prochain G20 en Russie en assurant la présence d’invité·e·s russes. Une première opportunité pour les connaître, les côtoyer, briser la glace. Il faut admettre que la Russie reste un pays peu connu, qui est demeuré largement refermé et très centré sur lui-même. Les liens entre organisations nationales et internationales sont très peu développés. À la fin de 2012, on se demandait encore avec qui nous allions travailler. Il faut dire que pour nous, toute initiative de contre-sommet doit s’appuyer sur les organisations locales : si ces dernières n’en voient pas la pertinence, pour leurs propres luttes au premier chef, l’idée peut difficilement prospérer. Nous avons continué de tendre des perches. Six mois avant l’événement, tout nous semblait encore très précaire. Mais peu avant le Forum social mondial de Tunis (FSM), le projet a tout à coup repris vie, alors qu’on apprenait que des forces progressistes russes voyaient désormais dans le G20 une fenêtre d’opportunité politique pour questionner le pouvoir politique de Poutine, ses politiques de privatisation et d’ouverture des marchés. Un sentiment qui s’exprimait aussi à l’intérieur même de la bureaucratie russe.

C’est donc en avril que le contexte est enfin devenu favorable pour une mission sur le terrain, que nous avions repoussée à plusieurs reprises, par laquelle nous visions à prendre le pouls de la situation, trouver des partenaires, créer un climat de confiance et lancer un processus d’organisation plus solide. Notre séjour en Russie nous a permis de rencontrer des environnementalistes, des activistes de l’art – dont certain·e·s proches des Pussy Riot –, des groupes anarchistes, un regroupement anti-banques, entre autres. Nous nous sommes finalement associés à l’Institut sur la globalisation et les mouvements sociaux qui se proposait de piloter le projet, dont le directeur était bien connu du Transnational Institute (un institut de recherche altermondialiste respecté). Pendant le contre-sommet, nous avons su que l’initiative a aussi obtenu l’appui de factions internes dissidentes de la bureaucratie russe, des gens pas nécessairement à gauche et que certains participants et participantes russes n’ont pas hésité à confronter pendant les ateliers, les associant même au Kremlin.


ÀB ! : Avez-vous senti une présence étouffante du pouvoir russe ou avez-vous agi en toute liberté ?

P.-Y. S. : Les Russes ont peine à faire le lien entre leurs problèmes quotidiens et les enjeux de la mondialisation. C’est un obstacle, là-bas comme ailleurs. Mais un de nos plus importants défis a été de surmonter l’ambiance de peur. Le gouvernement russe est ouvertement répressif. Il y a dans ce pays un net recul des droits civils et de la libre expression. Tôt après son retour au pouvoir, Poutine a adopté des lois pour mater la protestation. Pendant notre voyage préparatoire au mois d’avril, nous avons senti beaucoup de pression, en particulier lors de conférences que nous avons données : on nous observait, on nous prenait en photo, nous nous sommes sentis suivis. Une forme indirecte d’intimidation. Nous avons l’habitude que les contre-sommets s’accompagnent de manifestations et d’actions symboliques. Mais on a compris qu’à Saint-Pétersbourg, ce ne serait pas possible. Et nous n’avions pas à envisager de représailles tant que les participants et participantes au contre-sommet ne prenaient pas la rue. Sans doute aussi à cause de certains appuis institutionnels. Des prises de position critique s’expriment quotidiennement dans les journaux, nous a-t-on appris. Mais le gouvernement ne tolère pas les manifestations massives dans la rue.

ÀB ! : Y avait-il beaucoup de Russes au contre-sommet ?

P.-Y. S. : La visibilité médiatique était bonne, mais la partici­pation des Russes est demeurée faible. Nous n’avons pas dépassé le chiffre de cent participant·e·s. Est-ce que la terreur d’État en a découragé plusieurs ? Est-ce que la participation de la dissidence gouvernementale a fait craindre à certaines organisations d’être associées au gouvernement ? On ne le saura jamais. Quant aux groupes anarchistes avec lesquels j’avais maintenu le contact, ils n’ont pas agi.

Le contre-sommet à Saint-Pétersbourg a duré deux jours, et lorsque le sommet officiel a débuté, la décision de nos hôtes a été de « battre en retraite » sur Moscou où d’autres activités étaient prévues, mais surtout pour éviter les risques de confrontation. Nous sommes toutefois satisfaits de la qualité des séances de travail du contre-sommet. Nous avons pu compter sur une délégation internationale de haut niveau, réunissant plus de 35 représentantes et représentants d’organisations sociales venant des quatre coins de la planète.


ÀB !  : Quels sont les principaux enjeux dont vous avez discuté ?

P.-Y. S. : D’entrée de jeu, il faut préciser que pour nous le G20 est illégitime en tant qu’organe autoproclamé de gouvernance de l’économie mondiale. Non seulement le G20 prend en otage des domaines relevant des organismes multilatéraux existants, mais il est l’expression au niveau mondial de la mainmise du pouvoir économique privé sur l’orientation des politiques publiques. Nous dénonçons la façon dont le G20 a relancé le système financier international, redonné du pouvoir au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque mondiale. Il sème par ailleurs la confusion dans les enjeux climatiques et fait du commerce le principal moteur du développement. Le modèle du libre-échange ainsi que la protection des investissements étrangers ont d’ailleurs été remis en cause par les participants. À l’instar du sommet officiel, notre contre-sommet a aussi été traversé par la crise en Syrie, nous amenant à constater que le système économique actuel s’implante en synergie étroite avec l’expansion du modèle militariste. Les sessions du contre-sommet ont été orga­nisées de manière à stimuler une mobilisation reliée à quatre grandes campagnes : contre le libre-échange et le régime d’investissements, contre le pouvoir des corporations et des grandes entreprises, pour une architecture finan­cière internationale alternative et pour un système bâti autour des principes de la justice climatique.

ÀB ! : Quel est le bilan de cette expérience ?

P.-Y. S.  : Il est encore en cours mais si, depuis 2009, nous avons fait du G20 une cible, c’est en tant que prétexte pour consolider l’articulation des mouvements sociaux au plan mondial tout en ancrant nos luttes communes dans les réalités locales du pays hôte, comme la Russie. Mais on s’interroge aujourd’hui sur ce pari stratégique, car il faut admettre que le G20 peine à incarner un véri­table lieu de pouvoir. On a en fait devant nous un G7+1 qui se tiraille avec un groupe d’économies émergentes, réunies au sein du BRICA (1). En vérité, aucune décision politique importante ne découle du G20, d’autant plus qu’à chaque fois, un événement conjoncturel oriente toutes les discussions : la Syrie lors de ce G20, la crise européenne l’an dernier au Mexique ou la crise grecque au G20 de France. On se demande si cet événement mérite une telle mobilisation chaque année, avec les ressources considérables et l’énergie que ça impli­que. Il reste que si un tel événement permet de tisser nos réseaux tout en appuyant les luttes locales où il a lieu, l’effort demeu­re pertinent. D’autant plus qu’il permet, comme les nombreuses initiatives qui sont portées par le mouvement, d’aller au-delà du fameux « Un autre monde est possible » propre au FSM et de clamer d’une seule voix que ce qu’il nous faut, aujour­d’hui, c’est « changer le système ».

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