Présentation du dossier du no 52
Chomsky multiforme
L’économiste états-unien Michael Albert a souvent raconté avoir découvert, lors de son séjour dans l’Europe de l’Est communiste dans les années 1980, que bien des gens pensaient qu’il y avait deux Noam Chomsky, homonymes.
Le premier était le fameux linguiste, professeur au prestigieux MIT. Le deuxième était le militant et théoricien libertaire et le plus célèbre dissident des États-Unis.
Il n’y a bien entendu qu’un seul Noam Chomsky. Mais il a signé tant de livres et tant d’articles, a prononcé tant de conférences, accordé tant d’entrevues, aussi bien à titre de scientifique qu’à titre de militant, que devant l’immensité et la diversité de l’œuvre, cette erreur est compréhensible.
À vrai dire, et nous nous en sommes aperçus en préparant ce dossier en hommage à Chomsky à l’occasion de son 85e anniversaire, on pourrait même dire qu’il n’y a pas deux, mais bien cinq, six, Chomsky, voire plus encore.
Nous ne prétendons pas, bien entendu, survoler l’immense territoire couvert par les écrits de Chomsky. Nous voulons plutôt, ici, modestement, donner aux militantes et militants un aperçu de son œuvre scientifique et philosophique, souvent moins connue, et aux philosophes et scientifiques une idée de l’œuvre du penseur libertaire et du militant.
En ouverture de dossier, François Doyon dresse un portrait du parcours de ce militant pour la liberté, un portrait qui permet de tracer les contours de l’immense territoire couvert par l’œuvre scientifique et militante de celui qui se décrit comme un « enfant du siècle des Lumières ».
Chomsky, bien entendu, est d’abord un linguiste : plus exactement, il a provoqué un changement de paradigme dans cette discipline, comme l’explique ici la linguiste Anne-Marie Di Sculio : on parle à ce propos de « révolution chomskyenne ». Di Sculio permet au néophyte de comprendre en quoi a consisté cette importante révolution.
Mais ces travaux ont eu aussi, et continuent d’avoir, de profondes répercussions sur d’autres disciplines, en particulier dans les sciences cognitives et en philosophie, comme le rappelle James McGivray, qui montre comment Chomsky invite à penser la question de la liberté humaine.
On peut déjà compter ici trois Chomsky : un linguiste, un influent penseur des sciences cognitives (et même l’un de ses fondateurs) et un philosophe.
Mais Chomsky, on l’a vu, est aussi un mililitant et un théoricien libertaire et Alison Edgley rappelle quelques grands thèmes de sa pensée sociale et politique, son « socialisme sans Marx », comme elle le dit et son inspiration libertaire.
Chomsky a encore été un théoricien des médias et de leur rôle dans nos sociétés : un texte de Normand Baillargeon rappelle à ce propos en quoi consiste ce fameux modèle propagandiste des médias qu’il a proposé avec Edward Herman.
Baillargeon rappelle enfin l’idée que Chomsky se fait et défend de l’université, un réflexion particulièrement pertinente en ces heures où cette institution est en proie à des transformations dont on peut penser qu’elles ne sont pas toujours consenties ou comprises dans toutes leurs implications.
Nous voici donc avec trois autres Chomsky : un théoricien de l’anarchisme, un penseur de l’université et de l’éducation et un analyste des médias.
Il n’est donc pas du tout exagéré de dire que Chomsky est un des penseurs les plus importants de notre temps. Et dire que le présent dossier n’a pas pu tout couvrir…
Chacun des textes de ce dossier est accompagné par une question que l’auteur.e a adressée à Chomsky, qui a eu la gentillesse de répondre à chacun.e : on lira ici ses réponses.