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No 52 - DÉCEMBRE 2013 / JANVIER 2014
Collectif À bâbord !
COLLECTIF DE RÉDACTION
Normand Baillargeon, Luciano Benvenuto, Christian Brouillard, Daniel Chapdelaine, Jean-Pierre Couture, Martine Delvaux, François Doyon, Ariane Gagné, Philippe de Grosbois, Léa Fontaine (coordonnatrice), Pierre-Louis Fortin-Legris, Philippe Hurteau, Diane Lamoureux, Ève Lamoureux, Jean-Pierre Larche, Audrey Laurin-Lamothe, Rémi Leroux, Abby Lippman, Gérald McKenzie, Monique Moisan, Jacques Pelletier, Ricardo Peñafiel, Yvan Perrier, Magaly Pirotte, Chantal Santerre, Ghislaine Sathoud, Guertin Tremblay, Claude Vaillancourt, Marc-Olivier Vallée.
COMITÉ D’ÉDITION
Luciano Benvenuto, Ariane Gagné, Jean-Pierre Larche, Gérald McKenzie, Monique Moisan, Jacques Pelletier, Marc-Olivier Vallée (secrétaire de rédaction).
PRODUCTION & INFOGRAPHIE
Luciano Benvenuto, Monique Moisan.
ILLUSTRATIONS
Aprilus, Artacq.com, Pierre Crépô, Gérald McKenzie (couverture), Simon Pagé, Pierre Rondeau.
VERSION NUMÉRIQUE
Luciano Benvenuto
COLLABORATIONS SPÉCIALES
Rachad Antonius, Paul Beaucage, Santiago Bertolino, Anne-Marie Di Sciullo, Allison Edgley, Giuliana Fumagalli, Samer Ghamroun, Rosalind Hampton, Stevan Harnad, Jean-Michel Landry, James McGilvray, Roberto Nieto, Jean-Marc Piotte, Hugo Samson, Pierre-Yves Serinet, Marcel Sévigny, Simon Van Vliet, Ramon Vitesse.
La revue À bâbord! est imprimée par Héon & Nadeau Ld.
Le site de la revue est hébergé par Koumbit.org
Dépôt légal bibliothèque nationale du Québec. ISSN 1710-2091
Nous reconnaissons l’appui financier du gouvernement du Canada pour nos activités d’édition par l’entremise du Fonds du Canada pour les périodiques.
info@ababord.org • www.ababord.org
Une revue sociale et politique.
Un espace ouvert pour le débat politique et l’intervention sociale
La revue À bâbord! est une publication indépendante, sans but lucratif, paraissant cinq fois par année depuis sa fondation en 2003. Elle est éditée par des militantes et des militants de toutes origines, proposant une révolution dans l’organisation de notre société, dans les rapports entre hommes et femmes et dans nos liens avec la Nature.
La revue a pour but d’informer, de formuler des analyses et des critiques sociales et d’offrir un espace ouvert pour débattre et favoriser le renforcement des mouvements sociaux d’origine populaire. À bâbord! veut appuyer les efforts de celles et ceux qui dénoncent les injustices et organisent la rébellion.
Les articles de la revue peuvent être reproduits à condition d’en citer la source.
PK cC) OEBPS/Flow_1.htmlÉditorial
Vaincre Harper, pour quoi ?
Depuis son arrivée au pouvoir en 2006, le gouvernement conservateur de Stephen Harper a fait preuve d’une incroyable violence à l’endroit des institutions, des peuples et de l’environnement du Canada. Musellement des scientifiques, mépris des Autochtones, propagande militariste et monarchiste, appui aveugle au colonialisme israélien, bâillonnement des groupes de femmes et de coopération internationale, exploitation autodestructrice des sables bitumineux albertains, opacité à l’endroit des journalistes, durcissement des peines à l’endroit des criminel·le·s, tergiversations autour du droit à l’avortement et de la peine de mort, lois antisyndicales, attaques sauvages à l’endroit de Radio-Canada, saccage de l’assurance-emploi... La liste est longue et terrifiante.
artactqc.com
Or, c’est un tout autre enjeu qui affaiblit actuellement les conservateurs : les allocations de dépenses de quelques sénateurs. Trois ex-membres du caucus conservateur se seraient illégalement fait rembourser des dépenses de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Maintenant que Brazeau, Duffy et Wallin ont été suspendu·e·s sans salaire – mais avec leurs bénéfices –, les regards se tournent vers le bureau du premier ministre pour savoir quel fut le rôle de ce dernier dans cette affaire. Et si Harper savait ? Et s’il avait collaboré ?
Comment expliquer que ce soit une histoire presque banale de dépenses injustifiées qui porte atteinte à la toute-puissance du gouvernement Harper ? Sans doute que la grogne de la base conservatrice y est pour quelque chose. Les militant·e·s du parti n’ont que faire des sans-emploi des Maritimes, mais poussent les hauts cris dès que leurs précieuses taxes sont dépensées injustement. Les divisions internes portent atteinte à la discipline de fer qu’avait réussi à imposer Harper au sein du Parti conservateur.
Si on peut se réjouir de voir l’unité conservatrice fragilisée et la légitimité de Harper atteinte, on ne peut qu’être consterné de voir les partis d’opposition se complaire dans cette critique relevant davantage de la realpolitik que de la défense d’une véritable alternative sociale. Le Nouveau Parti démocratique notamment, pour qui le terme de socialisme est officiellement devenu un mot sale en avril dernier lorsque les membres ont accepté de retirer le terme de la constitution du parti, saute à pieds joints dans la rhétorique de la défense de la « saine gestion » dans l’espoir d’y gagner en crédibilité... et en votes. La possibilité d’aller chercher du capital politique semble plus rentable que de s’attaquer aux véritables problèmes.
De même, on peut célébrer ce qui pourrait être le début de la fin du sombre règne conservateur, mais il nous faut demeurer extrêmement vigilant·e·s en ce qui a trait à la suite des choses. Ces dernières années, les fortes poussées des indigné·e·s de tout acabit, lorsqu’elles ont abouti à un changement de gouvernement, ont plus souvent qu’autrement mené à un « plus ça change, plus c’est pareil ». En Tunisie, en Égypte, mais aussi en France et au Québec – de façon moins prononcée et avec des conséquences moins dramatiques –, l’élite néolibérale a pris acte de l’usure de la faction politique locale la plus autoritaire et a réussi à s’assurer la docilité de la solution de rechange. Les islamistes ont poursuivi les mesures d’austérité, Hollande ne dit plus un mot contre la finance qu’il qualifiait pourtant de « véritable adversaire » quelques mois avant d’être élu, et le gouvernement Marois cède tranquillement au pétrole albertain, aux gens d’affaires et aux marchés financiers en nous distrayant et nous divisant à grands coups de charte. Rien ne nous porte à croire que la situation serait différente si le prochain ministre du Canada s’appelait Trudeau ou Mulcair.
Il nous faut profiter de l’affaiblissement du gouvernement pour l’attaquer sur nos propres bases. Les Autochtones de Elsipogtog au Nouveau-Brunswick, qui se battent courageusement contre l’exploitation des gaz de schiste, ont besoin de notre appui. La lutte vers un Québec et un Canada post-pétrole devrait être une priorité, d’autant plus qu’il apparaît possible de faire éclater la bulle pétrolière albertaine si le pipeline Keystone, destiné au marché états-unien, et ceux se dirigeant vers l’est du pays étaient tous rejetés. Les syndicats québécois et canadiens ont besoin de nos énergies pour contester fermement la brutalité des projets de loi liberticides à leur endroit. Et nous devons investir massivement le Forum social des peuples (Canada/Québec/Premières Nations) qui se tiendra à Ottawa en août 2014.
Se contenter d’être contre Harper n’est pas suffisant; il nous apparaît beaucoup plus prometteur de travailler à bâtir un véritable projet politique progressiste, pluraliste, féministe et écologiste, au fil des luttes en cours et à venir. Ω
Le Collectif de la revue À bâbord !
PK CxA? ? OEBPS/Flow_10.htmlTravail
Postes : fin d’un service public universel
Depuis quelques années déjà Postes Canada recherche la rentabilité absolue, sans se préoccuper des répercussions sur les travailleuses et travailleurs pas plus que sur les usagères et usagers des services postaux. Comme le soulignait Giuliana Fumagalli lors d’une entrevue réalisée récemment, le désir de la direction de dérèglementer Postes Canada ne date pas d’hier. Cette militante syndicale met l’accent sur les points qui accablent le plus le personnel des services postaux et leurs usager·ère·s.
Photo : Luciano Benvenuto
La dérèglementation du service postal
La Société canadienne des postes (ci-après « Postes Canada ») est censée viser la fourniture d’un service postal qui répond aux besoins de la population, dans les régions tant rurales qu’urbaines. Dans ce but, le gouvernement fédéral a mis en œuvre un Protocole du service postal canadien pour décrire ses attentes concernant les normes de service et les activités connexes de Postes Canada. Une réévaluation de ce texte est effectuée tous les cinq ans, la prochaine fois étant en 2014. Selon le protocole, Postes Canada cherche à fournir un service universel, des tarifs abordables, des livraisons fréquentes et fiables, un accès pratique aux services postaux, la sécurité de la livraison de même qu’un bon traitement des plaintes (avec enquête par exemple).
Pourtant en parallèle, la dérèglementation est en route depuis des années, engendrant d’importantes réductions de service notamment en fermant ou en réduisant la taille des bureaux de poste publics, en éliminant la livraison à domicile tant en zones urbaines que rurales et en implantant des boîtes postales communautaires et des boîtes aux lettres rurales, en diminuant le nombre de boîtes aux lettres publiques ou encore en portant atteinte aux conditions de travail des travailleur·se·s.
Qui plus est, la société d’État regroupe plusieurs entreprises dont Purolator, qui offre notamment les mêmes services que Postes Canada, soit Prioritaire ou encore Xpresspost. Il faut ici savoir que Postes Canada rend des services de meilleure qualité que Purolator, en termes de coût et de temps; elle se fait en quelque sorte concurrence à elle-même. Par ailleurs, Postes Canada a développé des liens avec un fournisseur de premier plan en matière de solutions de cybercommerce, soit l’entreprise GoEcart. Le tissu corporatif de Postes Canada se complexifie.
La stratégie de l’encerclement
En lien avec la tendance vers la dérèglementation, la stratégie de l’encerclement se développe; celle-ci prend la forme d’une manœuvre visant la fermeture de bureaux de Postes Canada en installant, autour des bureaux ouverts, des comptoirs postaux dans les pharmacies ou dans les dépanneurs (1). Voici deux exemples parmi tant d’autres : le bureau postal de la Place du Parc a fermé ses portes, car une concession de Postes Canada a été ouverte dans le même centre commercial, soit dans une pharmacie Uniprix, et avait des heures d’ouverture plus longues. Ce comptoir postal étant une concession, le pharmacien doit, en conséquence, le rendre conforme aux exigences de Postes Canada; ainsi il doit acheter des droits d’exploitation, payer les formations de ses travailleur·se·s qui vont travailler au comptoir, etc. Second exemple, les bureaux postaux n’acceptent plus les envois de colis et renvoient les usager·ère·s aux comptoirs postaux, cela dans le but évident d’aboutir à moyen terme à la fermeture des bureaux postaux. Aussi, en ce qui a trait aux horaires, les bureaux postaux sont fermés le dimanche, mais la plupart des comptoirs postaux dans les pharmacies sont ouverts sept jours sur sept. Il existe clairement une volonté de démanteler le réseau des bureaux postaux.
Diminution des envois ?
La société d’État a perdu de vue son rôle auprès des usager·ère·s en visant le profit à tout prix et en mettant de côté sa soi-disant politique « des valeurs ». La manière de présenter les chiffres est trompeuse; par exemple, dans un premier temps, elle affirme viser un profit et, dans un second temps, elle annonce une perte alors qu’en pratique elle n’a réalisé que la moitié de ses prévisions, qui devaient être trop ambitieuses. En outre, Postes Canada signale une nette diminution des envois postaux. Certes, il est vrai qu’il y a moins de lettres en circulation, notamment en raison de la facturation par Internet; mais d’un autre côté, il y a beaucoup plus d’envois de colis : d’une part, beaucoup de jeunes magasinent sur les sites Internet et commandent de nombreux produits techno, d’autre part, beaucoup de personnes âgées commandent divers produits par le biais des « télé-achats ».
Les factrices et les facteurs
Tout cela a bien sûr des répercussions sur le personnel de la société canadienne. La situation des factrices et des facteurs est assez bien connue du grand public dans la mesure où ils sont en contact direct avec la population. Par le passé, les factrices et facteurs étaient rémunérés pour trier leur courrier avant de partir le distribuer. Aujourd’hui, pour Montréal, tout est trié au centre de Saint-Laurent et les routes de livraison ont été allongées pour toutes et tous. La pression est ainsi plus forte et les risques d’accidents plus importants, en raison de la fatigue par exemple.
Par ailleurs, le tri du courrier se fait en liasse de manière séquentielle et de manière manuelle pour certains envois. Le problème réside ici dans l’organisation des liasses posées à même le bras des travailleur·se·s, ce qui de toute évidence peut entraîner des troubles musculo-squelettiques et des blessures. Plusieurs plaintes ont été déposées à ce sujet. En novembre dernier, un arbitre de grief a jugé que la nouvelle méthode de travail augmentait les risques de chute et de glissade.
Le tri postal à la sauce Lean
A priori, les choses n’ont pas tellement changé dans les centres de tri postaux, la journée de travail dure encore huit heures; les délégués syndicaux sont officiellement et réellement libérés. Toutefois, la supervision et la surveillance des travailleur·se·s ont pris des proportions totalement démesurées : une horde de gestionnaires, surintendants, superviseurs veillent sur eux. La réorganisation du travail sous les auspices de la méthode Lean est une véritable catastrophe, le but recherché étant la performance (en matière de productivité, qualité, délais et coûts), censée être plus facile à atteindre par l’amélioration continue et l’élimination du gaspillage. Or, plusieurs études scientifiques mettent en exergue les risques de dégradation tant des conditions de travail que de la santé et de la sécurité des travailleur·se·s occasionnés par cette méthode.
Aussi, la confiance est brisée entre la direction et les travailleur·se·s dans la mesure où elle explique aux ancien·ne·s membres du personnel comment faire le travail… Ce faisant, la direction porte aussi un coup magistral à l’autonomie de ses travail-leur·se·s. Cela se concrétise notamment de la manière suivante : le tri par code postal se fait maintenant par lecture électronique des codes barres collés sur le courrier. Cette méthode, appelée « vidéo-codage », permet de lire les codes postaux de 1 200 lettres à l’heure et de 800 colis à l’heure. Le courrier au code postal non reconnu par la machine est rejeté. Or, à l’époque où les factrices et facteurs classaient eux-mêmes le courrier et connaissaient leur « run de lait » ainsi que « leurs » usager·ère·s, ils faisaient le lien entre le courrier mal adressé par les expéditeurs et les destinataires et étaient en mesure de le livrer. Au fil du temps, ce service de proximité s’est étiolé et les travailleur·se·s sont devenus une pièce comme une autre dans le mécanisme Lean. Finalement, tout tend à être automatisé au détriment des factrices, facteurs, usagères et usagers.
Demain…
Le démantèlement de Postes Canada est engendré par la démonopolisation des services, l’accroissement des partenariats ou encore la sous-traitance de la livraison du courrier aux comptoirs postaux ainsi qu’à des entreprises privées, et peut-être, dans un avenir proche, la sous-traitance du vidéo-codage. On assiste à un véritable sabordage de la société d’État, des services et des commerces de proximité. L’idée d’un service public universel accessible à tous et toutes n’est plus.
Ce qui serait salvateur pour Postes Canada serait de développer de nouveaux services, comme l’ont fait d’autres systèmes postaux étrangers, en faisant face aux éventuelles pertes financières en offrant d’autres services générateurs de revenus, y compris des services financiers lucratifs comme le paiement des factures ou encore des services bancaires. Il faut sauver ce service postal universel et de proximité, qui survit malgré les nombreuses actions de sabotage. Le syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) envisage diverses voies d’avenir. À suivre… Ω
Photo : Luciano Benvenuto
Giuliana Fumagalli est membre du STTP et déléguée de plancher. C’est une militante bien connue d’À bâbord ! car elle a déjà fait partie du collectif de rédaction de la revue. Elle est engagée dans son quartier de Parc-Extension et dans la communauté pour la régularisation des immigrant·e·s sans statut. Giuliana comprend l’importance d’allier les luttes d’ici avec celles au niveau international. Elle revient de la Colombie, où elle a participé à l’audience publique contre la pétrolière Pacific Rubiales Energy dans le cadre du Tribunal populaire sur les politiques extractives en Colombie. Et elle repart bientôt pour les montagnes du Chiapas afin d’y approfondir une démarche sur l’autonomie par l’expérience.
Postes Canada
Notre vision :
Postes Canada sera un chef de file mondial en offrant des solutions novatrices en matière de livraison physique et électronique à l’avantage de ses clients, employés et de tous les Canadiens.
Nos valeurs :
• Transformation - Nous innoverons et nous nous transformerons en vue d’avoir du succès sur le marché.
• Client - Nous servons les Canadiens avec fierté et passion.
• Intégrité - Nous agissons de manière responsable et avec intégrité.
• Respect - Nous nous traitons mutuelle ment avec équité et respect.
• Sécurité - Nous nous engageons à assurer un environnement sain et sécuritaire pour toutes les parties intéressées.
Source : site Internet de Postes Canada, consulté le 11 novembre 2013.
PK C OEBPS/Flow_11.htmlLa haine sociale au poste de commande
Le gouvernement Harper récidive avec un nouveau projet de loi budgétaire omnibus qui s’attaque, entre autres choses, à deux acquis majeurs des droits des travailleuses et des travailleurs. D’abord, le droit de grève dans le secteur public fédéral, ensuite le droit de refuser d’exécuter une tâche au péril de sa santé ou de sa sécurité pour l’ensemble des salariés qui relèvent du Code canadien du travail. Suite au congrès du Parti conservateur qui a eu lieu à Calgary, d’autres mesures régressives anti-sociales sont à craindre. Scrutons cela d’un peu plus près.
Photo : Michel Pilon
L’attaque frontale anti-syndicale du gouvernement Harper…
Le 22 octobre 2013, le ministre des Finances déposait à la Chambre des Communes un volumineux projet de loi « budgétaire » qui ratisse large. Les changements proposés sont nombreux et affectent une foule de choses. Par exemple, dans le domaine des relations de travail dans la fonction publique fédérale, le gouvernement veut apporter des modifications draconiennes. Le projet de loi C-4 accorde à « l’employeur […] le droit exclusif de déterminer qu’un service est essentiel, ainsi que le nombre de postes nécessaires pour fournir ce service ». Alors qu’en ce moment, il a besoin de l’accord des syndicats pour déterminer quels services sont essentiels en cas d’arrêt de travail, il entend dorénavant s’arroger le droit exclusif de déterminer qui, dans la fonction publique fédérale, fera partie des services essentiels. Ce nouveau pouvoir décisionnel sera sans droit d’appel. Les salarié·e·s visé·e·s devront s’acquitter de toutes leurs tâches et non seulement de celles qui sont jugées essentielles pour assurer la sécurité des Canadiennes et Canadiens lors d’une grève.
De plus, là où 80 % ou plus des personnes salariées occupent un poste jugé essentiel, le droit de grève sera supprimé et remplacé par un processus d’arbitrage complètement remanié. Les décisions des conseils d’arbitrage seront fondées sur deux critères définis unilatéralement par le gouvernement : « le maintien en poste et la capacité de payer ». Les conseils d’arbitrage ne seront plus obligés de baser leurs décisions dans le respect de la rémunération équitable et la garantie des conditions de travail raisonnables. La loi confierait également au secteur privé la tâche d’évaluer la rémunération globale des employé·e·s du secteur public, rôle qui était jusqu’ici effectué par la Commission des relations de travail dans la fonction publique.
Le gouvernement Harper souhaite modifier le Code canadien du travail en apportant des changements qui ont pour effet de réduire radicalement la définition de ce qui constitue un « danger » au travail. Si le projet de loi est adopté tel que libellé en ce moment, la définition de danger s’appliquera uniquement aux menaces « imminentes ». Autrement dit, la menace pour la vie ou la santé doit venir de quelque chose qui se passe immédiatement ou très bientôt. Cette nouvelle exigence a pour effet d’introduire l’idée que les travailleuses et travailleurs ne méritent pas d’être protégés contre des activités ou des conditions qui pourraient affecter leur santé à moyen et long termes. Ce changement annoncé aura pour effet de rendre plus difficile pour les personnes salariées relevant du Code fédéral du travail l’exercice du droit de refus d’effectuer un travail dangereux. De plus, l’autorité et les pouvoirs des agents de santé et sécurité au travail seront transférés au ministre du Travail. Il est à redouter que l’application des mesures de santé et sécurité sera assujettie à une appréciation politique.
… et du Parti conservateur
Réunis en congrès à Calgary au début du mois de novembre, les délégué·e·s du Parti conservateur ont décidé de continuer à s’acharner sur les salarié·e·s syndiqué·e·s. Si les propositions régressives qu’ils ont adoptées devenaient lois, les cotisations syndicales servant à l’action politique ne seraient plus obligatoires et l’adhésion à un syndicat deviendrait optionnelle. Manifestement, le gouvernement Harper et le Parti conservateur affichent un souverain mépris à l’endroit des travailleuses et des travailleurs syndiqué·e·s. Les modifications annoncées ici trouvent leur inspiration dans la haine sociale.
Un appel à une riposte unitaire
Au terme de cette triste démonstration, force est d’admettre que le gouvernement Harper est de plus en plus habité par une obsession destructrice acharnée contre les droits syndicaux. Derrière le processus d’imposition de ce projet de loi anti-syndical s’affirme une certaine conception autoritaire du pouvoir. Une large coalition syndicale et progressiste doit urgemment prendre forme pour contrer cette charge indigne d’un pays qui a ratifié en 1972 la Convention de l’Organisation internationale du travail sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical qui reconnaît le droit d’association et de liberté syndicale, et son corollaire, le droit de grève. Ω
PK C[F F OEBPS/Flow_12.htmlDossier
Noam Chomsky, un scientifique militant
Photo-montage : Simon Pagé + Gérald Mackenzie + Luciano Benvenuto
L’économiste et militant états-unien Michael Albert a souvent raconté avoir découvert, lors de son séjour en Europe de l’Est communiste dans les années 1980, que bien des gens pensaient qu’il y avait deux Noam Chomsky, homonymes. Le premier était le fameux linguiste, professeur au prestigieux Massachusetts Institute of Technology (MIT). Le deuxième était le militant et théoricien libertaire et le plus célèbre dissident des États-Unis.
Il n’y a bien entendu qu’un seul Noam Chomsky. Mais il a signé tant de livres et tant d’articles, a prononcé tant de conférences, accordé tant d’entrevues, aussi bien à titre de scientifique qu’à titre de militant, que devant l’immensité et la diversité de l’œuvre, cette erreur est compréhensible. À vrai dire, et nous nous en sommes aperçus en préparant ce dossier en hommage à Chomsky à l’occasion de son 85e anniversaire, on pourrait même dire qu’il n’y a pas deux, mais bien cinq, six Chomsky, voire plus encore.
Nous ne prétendons pas, bien entendu, survoler l’immense territoire couvert par les écrits de Chomsky. Nous voulons plutôt ici, modestement, donner aux militantes et militants un aperçu de son œuvre scientifique et philosophique, souvent moins connue, et aux philosophes et scientifiques une idée de l’œuvre du penseur libertaire et du militant.
Nous vous présentons donc trois autres Chomsky, en plus de ceux précédemment évoqués : un théoricien de l’anarchisme, un penseur de l’université et de l’éducation et un analyste des médias. Il n’est donc pas du tout exagéré de dire que Chomsky est un des penseurs les plus importants de notre temps. Et dire que le présent dossier n’a pas pu tout couvrir…
Chacun des textes de ce dossier est accompagné par une question que leur auteur a adressée à Noam Chomsky, qui a eu la gentillesse de répondre à chacun : on lira ici ses réponses. Ω
PK C