Mes conseils à la prochaine génération

No 72 - déc. 2017 / janv. 2018

Mini-dossier : L’Acadie

Mes conseils à la prochaine génération

Joël LeFort

Je suis un produit de la francophonie hors Québec, plus particulièrement de l’Acadie néo-écossaise. J’ai passé les dix-huit premières années de ma vie dans une communauté, Louisdale, où ma langue et ma culture étaient en permanence mises à l’épreuve. À Moncton depuis cinq ans, j’ai aujourd’hui plus d’occasions d’affirmer mon acadianité, ma francophonie, mais je dois néanmoins faire des choix conscients en vue d’assurer le maintien de ma langue et de ma culture. Par ce texte, j’ai voulu proposer un guide de survie, c’est-à-dire une série de mesures, petites et grandes, qui m’ont permis et me permettent toujours de vivre mon acadianité.

Sans m’en rendre compte initialement, ma famille et ma communauté ont largement contribué à mon développement identitaire et m’ont donné la piqûre de l’engagement social. Fils de parents pleinement investis dans la lutte pour des écoles françaises en Nouvelle-Écosse, j’ai très tôt senti vibrer la fibre familiale de l’implication communautaire. Je me suis laissé emporter par l’énergie des militant·e·s acadien·ne·s et je suis convaincu que mon engagement est à la source de mon développement comme jeune leader acadien. Je vous incite donc à mettre l’épaule à la roue en vous impliquant dans de grands projets de société ou dans des activités ponctuelles.

Les francophones « majoritaires » ne sont ni tes ennemis ni tes adversaires

Il m’a fallu beaucoup de temps pour m’en rendre compte. D’un point de vue acadien, les Québécois·es ou les Français·es peuvent sembler privilégié·e·s, dans le sens où leur langue et leur identité linguistique ne sont pas des terrains de luttes quotidiennes. Parfois, certains se sont peut-être permis de remettre en question ta francophonie ou ton français, de rire de ton accent ou de tes expressions.

Pendant mon enfance, si le français était parlé plus souvent que l’anglais à la maison, c’est parce que mes parents en avaient fait un choix conscient. Mes grands-parents maternels vivaient avec nous et m’ont raconté plusieurs histoires où des Québécois·es ou des Français·es avaient refusé de reconnaître la légitimité de leur français acadien. Chez mes grands-parents paternels, les histoires tournaient autour de l’un des frères de mon grand-père qui habitait désormais à Montréal. Ce dernier était accusé de parler avec un « petit accent fancy québécois », un accent qu’on lui demandait de laisser à la porte durant ses visites en Acadie.

J’ai l’impression que la « peur des francophones majoritaires », très répandue en Acadie et ailleurs en francophonie canadienne, est souvent causée par une mauvaise expérience d’intimidation linguistique. Or, il ne faut pas perdre de vue que les Québécois·es et les Français·es peuvent eux aussi connaître cette réalité.

Pour moi, le point tournant fut le déménagement de ma sœur au Québec, et plus particulièrement la rencontre de son copain québécois. Après une discussion franche sur le français, les langues françaises, je me suis rendu compte que l’intimidation linguistique était aussi une réalité québécoise. Mon propre beau-frère, avec qui au départ j’avais senti le besoin d’ériger un mur pour protéger mon acadianité, avait aussi subi des épisodes tels que « je n’aime pas votre accent » ou « vous parlez mal, monsieur ». Une discussion franche venait d’exposer des similitudes entre les Québécois·es et les Acadien·ne·s, entre les francophones en situation de majorité et de minorité. C’est donc que je vous invite à aller à la rencontre de l’autre, à partager les réalités de la vie en contexte minoritaire. Je suis à gager que vous serez surpris·e de constater que nos similitudes éclipsent nos différences.

Cela est quant à moi le conseil le plus important que je puisse donner. Pour ceux et celles qui vivent leur vie à la fois dans l’univers francophone et l’univers anglophone, assurez-vous d’être en mesure de vivre pleinement dans les deux. J’entends par-là que l’appropriation d’une langue et d’une culture, selon mon expérience, passe par l’émotion, les tripes. Pour le dire simplement, il faut être en mesure de se fâcher en français, de rire en français, d’aimer en français, etc., afin de pouvoir véritablement vivre sa culture. Consommez des médias francophones (films, émissions de télévision, musique, théâtre), allez à la rencontre de gens et vivez des moments marquants dans votre langue : c’est par ces moyens que la langue française s’affirmera comme trait identitaire et deviendra également un réflexe.

De mon bord, l’appropriation de ma langue s’est jouée quand je suis tombé amoureux d’un homme acadien qui ne parlait pas trop-trop bien en anglais. J’ai grandi au milieu de nulle part au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse, entouré d’anglophones et submergé par la culture anglo-américaine. Au moment de rencontrer mon chum, mon français était parsemé de mots anglais et d’anglicismes. La passion et l’amour que j’ai pour lui ont servi de catalyseurs pour le perfectionnement de ma langue et l’appropriation de culture francophone.

Alors voilà mon guide de survie. Ce n’est qu’une perspective, de toute évidence incomplète, mais j’ose espérer que mes conseils vous seront utiles – du moins, je l’espère. Je vous lance donc un défi, non pas une grande épreuve, mais plutôt de réfléchir à la place qu’occupent actuellement votre langue et votre culture dans votre vie. La réponse vous plaît-elle ? Sinon, je vous dis que votre place dans la francophonie, votre identité en tant que francophone, votre accent, vos tournures de phrases et vos patois sont valides. Vous avez une place importante dans la mosaïque de la francophonie : soyez en fiers !

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