Aide internationale féministe. Trop d’armes et pas assez de développement

No 72 - déc. 2017 / janv. 2018

International

Aide internationale féministe. Trop d’armes et pas assez de développement

André Jacob

L’hiver dernier, l’organisation One, cofondée par le chanteur Bono du groupe U2, invitait le premier ministre Justin Trudeau à passer de la parole aux actes en ce qui a trait à la place des femmes dans sa politique de développement international. Près d’un an plus tard, force est de constater que les progrès restent très minces.

Le 11 juin 2017, le gouvernement de Justin Trudeau lançait sa nouvelle politique d’aide internationale dite féministe. La ministre des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, en présenta les grandes lignes d’une manière péremptoire : « L’objectif premier de cette politique est de contribuer aux efforts déployés à l’échelle internationale pour éliminer la pauvreté dans le monde. Pour y arriver, il faut travailler sur les inégalités. Plus particulièrement, il faut permettre aux femmes et aux filles de développer leur plein potentiel pour qu’elles soient en mesure d’assurer leur propre bien-être qui profitera également à celui de leurs familles ainsi qu’à la croissance économique de leur communauté et de leur pays. »

Depuis, c’est le silence complet. Les débats autour de l’exemption fiscale de Netflix, les renégociations de l’ALENA, la légalisation du cannabis et les autres sujets chauds ont pris toute la place dans l’actualité. Pourtant, le soutien à la condition féminine dans les pays en difficulté devrait être un enjeu à l’avant-plan de notre politique internationale.

L’armement d’abord

Par mesure de contraste, rappelons que la veille de cette annonce, le gouvernement Trudeau promettait une augmentation de 70% du budget de la défense canadienne, passant ainsi de 19 milliards de dollars en 2016 à 32,7 milliards de dollars par année pour la période de 2017 à 2022. Ce faisant, le Canada se retrouve dans un programme d’achats d’armes pour renforcer l’armée et créer l’image d’un pays fort aux yeux du monde. En fait, le premier ministre a plié les genoux devant les pressions des États-Unis et de l’OTAN, qui réclament en chœur que chaque pays membre en vienne à investir 2% de son produit intérieur brut (PIB) dans son budget de défense. Cela signifie que le Canada se laisse emporter toujours plus loin dans la dangereuse spirale de la course aux armements.

En comparaison, qu’en est-il de la politique d’aide internationale dite féministe ? Éclipsés par ce projet militariste, les organismes de femmes peineront à respirer avec un budget famélique limité à 150 millions de dollars (soit l’équivalent d’un seul avion de combat Super Hornet) répartis sur cinq ans pour couvrir pas moins de trente pays différents. Pourtant, depuis 1970, l’Organisation des Nations unies (ONU) demande aux pays riches d’investir 0,7% de leur PIB dans l’aide internationale. Malgré cet objectif mondial, le Canada se traîne toujours les pieds. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la contribution du pays représente 0,26 % de son PIB. Dans un communiqué, l’Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) a aussi dénoncé un tel décalage entre les allocations budgétaires de ces deux domaines – défense et développement. En somme, les beaux discours au sujet du féminisme et des droits des femmes dans les pays en difficulté ne semblent servir qu’à la surenchère verbale et à l’image de Justin Trudeau.

Des principes qui demeurent à concrétiser

Cette nouvelle politique du gouvernement libéral invite les femmes à participer aux négociations de paix, mais sans qu’elles en aient les ressources. Dans un contexte de misère généralisée dans plusieurs pays, déclarer sur la place publique que le renforcement du pouvoir des femmes « constitue le meilleur moyen de bâtir un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère » ne veut rien dire si la priorité n’est pas accordée au développement des collectivités locales. Cette politique ne s’attaque pas aux causes structurelles de la pauvreté des femmes et de leur famille, même si le gouvernement dit chercher des solutions aux inégalités et à l’exclusion. Les femmes des pays les plus vulnérables ont besoin de plus de ressources pour l’éducation, les services à la petite enfance, les soins de santé, la qualité de l’habitat, l’accès à l’eau potable, le développement de coopératives, etc. En d’autres termes, des mesures concrètes, cohérentes et suivies devraient commander une augmentation considérable du budget à l’aide internationale, et non un gel des sommes allouées.

Cette politique dit vouloir « renforcer la paix et la sécurité dans le monde », mais comment ? Rien ne semble fait pour concrétiser cette visée fondamentale. Évidemment, une telle perspective suppose des investissements judicieux et conséquents. À ce sujet, plusieurs questions restent en suspens. Lorsque cette politique « féministe » proposera des mesures tangibles et structurantes et que le budget sera augmenté de façon significative, elle deviendra crédible. À cette étape-ci, elle ressemble davantage à une coquille vide qu’à un véritable levier de développement fondé sur la justice sociale et la recherche de la paix.

À la lumière de la complaisance du gouvernement canadien à l’égard de la situation des femmes sans voix en Arabie saoudite et dans bien d’autres pays, rien ne permet de croire que des efforts importants seront déployés pour renforcer le respect des droits des femmes dans le monde. Dans un tel contexte, que signifie l’expression « investir dans l’avenir de la paix et du développement » par des programmes féministes ? Comment, concrètement, le gouvernement s’y prendra-t-il pour développer les « capacités locales » des femmes ? Une fois décodé ce principe général, cela signifie que seules les femmes bien éduquées et relativement bien nanties auront droit à ce privilège. Enfin, comment le gouvernement travaillera-t-il avec les organismes de coopération internationale déjà très actifs sur le terrain ? Tout cela reste brumeux.

En résumé, restent intouchés les véritables facteurs structurels d’insécurité des femmes tels les systèmes d’exploitation, les inégalités historiques, les systèmes patriarcaux et autres pratiques de violation systématique des droits des femmes, particulièrement dans les zones de conflits armés. Répétons-le, l’avenir supposément radieux de l’aide internationale féministe du Canada est compromis par un discours tarabiscoté et faussement progressiste. L’anémie de moyens financiers et l’absence de volonté politique réelle pour la mettre en œuvre en sont la preuve. Entre les principes et les moyens, il y a effectivement loin de la coupe aux lèvres.

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