Trump, l’Alt-Right et la résistance

No 72 - déc. 2017 / janv. 2018

États-Unis

Trump, l’Alt-Right et la résistance

Ashley Smith

L’administration Trump est l’une des plus réactionnaires de l’histoire des États-Unis. Le milliardaire-président a promulgué une série de décrets ciblant les musulman·e·s, les immigrant·e·s, les femmes et plusieurs autres groupes opprimés. Ces mesures sont non seulement rétrogrades, elles ont aussi permis d’ériger un écran de fumée pour accélérer la déréglementation de l’économie américaine au seul bénéfice de la classe capitaliste.

La base électorale de Trump n’est pas, comme beaucoup de commentateurs libéraux le prétendent, la « classe ouvrière blanche ». Il s’agit plutôt de la petite-bourgeoisie qui votait déjà pour le Parti républicain. Le revenu des électeurs et électrices de Trump est nettement plus élevé que le revenu moyen à l’échelle du pays. La véritable explication de la défaite de Clinton réside plutôt dans la baisse du taux de participation de la base traditionnellement démocrate – au sein de la classe ouvrière et parmi les groupes opprimés – dans les États pivots (Swing states).

Néanmoins, certaines franges de la classe ouvrière ont effectivement voté pour Trump : elles ont succombé sous le poids du désespoir et des conditions difficiles qui ravagent leurs régions, illustrées de façon spectaculaire par l’épidémie de décès dû aux surdoses d’opioïdes. Clinton et le Parti démocrate sont toutefois les premiers responsables de cette défection. Leur programme néolibéral et impérialiste avait tout simplement très peu à offrir aux désœuvré·e·s.

L’élection de Trump n’est cependant qu’une des conséquences de la crise qui secoue l’ordre néolibéral mondial depuis la grande récession de 2007. Les classes dirigeantes ont réussi à éviter la catastrophe et à restaurer temporairement la croissance économique, bien qu’à un rythme plus lent et à des taux de profit inférieurs. Nous sommes présentement dans une phase d’expansion temporaire, qui se situe au cœur de ce que le marxiste Michael Roberts appelle une « longue dépression ». Cette reprise est le produit d’investissements étatiques importants, suivis de réductions d’impôts et de mesures d’austérité massives contre la majorité laborieuse. Cette relance est donc plutôt synonyme d’appauvrissement, de précarisation et d’insécurité pour la majorité, alors qu’elle permet de maintenir à flot les actionnaires.

Un déséquilibre politique mondial

La crise et les politiques drastiques pour en sortir ont déstabilisé l’ordre néolibéral, que les États-Unis supervisaient depuis la fin de la guerre froide. Ce déséquilibre provoque une recrudescence des antagonismes entre la puissance impériale hégémonique et ses rivaux potentiels, dont la Chine et la Russie, mais on observe aussi une foule de petits États qui cherchent à profiter de la situation. De surcroît, nous assistons à une crise de légitimité des partis politiques pro-capitalistes, qui ont assuré la mise en œuvre du néolibéralisme et imposé l’austérité au cours des dernières décennies.

Ces mesures d’austérité ne se sont pas imposées sans résistance. Pensons aux soulèvements de la vague rose en Amérique latine et au printemps arabe, au nouveau militantisme des travailleurs et travailleuses en Chine et à la vague de grèves contre l’austérité en Europe, au mouvement Occupy et à Black Lives Matter aux États-Unis, enfin au printemps érable au Québec. Malheureusement, la plupart de ces mouvements ont échoué à accomplir leurs objectifs, à défaut d’avoir pu combiner la force de réels partis politiques de gauche, d’organisations syndicales combatives, de mouvements sociaux d’ampleur et d’un réseau de solidarité internationale.

En même temps, les travailleuses et travailleurs, les opprimé·e·s et la petite bourgeoisie ont commencé à chercher des alternatives aux partis pro-capitalistes et à leur programme néolibéral. Il en résulte une polarisation politique profonde dans le système mondial au sein de chaque État-nation, bien qu’à des degrés divers en fonction de leurs conditions politiques et économiques particulières. Alors que le centre est déstabilisé, des forces de droite comme Marine Le Pen et Donald Trump ont émergé et, de l’autre côté, une nouvelle gauche est apparue sur la scène politique, illustrée par Jeremy Corbyn en Grande-Bretagne et Bernie Sanders aux États-Unis.

Les nouvelles forces politiques américaines

Aux États-Unis, Trump a remporté la course au leadership dans un Parti républicain en profonde crise. Il a formé une coalition contradictoire et fragile, alliant l’aile droite de la classe capitaliste, une faction radicalisée de la petite-bourgeoisie sous la bannière de l’alt-right, les banquiers de Wall Street qui cherchent à faire de l’argent rapidement, les généraux du Pentagone et l’establishment républicain qui n’a eu d’autre choix que de suivre son chef.

L’élection de Trump a profondément polarisé la société américaine. Elle a enflammé l’extrême droite, permettant à une constellation de nouvelles figures de s’imposer sur la scène publique. On pense à l’éditeur d’extrême droite Milo Yiannopoulos, au pseudo-scientifique raciste Charles Murray, en passant par la montée d’organisations authentiquement fascistes comme le traditionaliste Workers Party.

Dans le champ gauche, l’élection de Trump a déclenché l’émergence de ce que nous appelons aujourd’hui « la Résistance ». Celle-ci s’incarne à travers une multitude d’évènements, comme la manifestation monstre de la Marche des femmes après l’investiture présidentielle, la Marche pour la science ou encore la Marche pour le climat. Les attaques de Trump contre les immigrant·e·s ont également stimulé des actions plus petites mais non moins importantes, comme la vague de manifestations dans les aéroports. Et les attaques envers la Loi sur les soins de santé abordables ont déclenché des manifestations contre les représentant·e·s républicain·e·s du Congrès dans tous les districts du pays.

De fait, depuis l’élection de Trump, la gauche radicale américaine a connu une croissance spectaculaire. Les Democratic Socialists of America (DSA) sont passés d’une organisation mineure et vieillissante à un groupe de plus de 30000 membres, dont la plupart sont de jeunes travailleuses et travailleurs. Les DSA sont maintenant principalement orienté·e·s vers les élections, mais elles et ils œuvrent toujours au sein du deuxième parti capitaliste américain, le Parti démocrate. La plupart des organisations de la gauche sont en croissance, y compris des organisations révolutionnaires comme Socialist Alternative et l’International Socialist Organisation.

Tant la Résistance que la nouvelle gauche sont dans leurs premiers stades de développement politique et organisationnel. Le taux de grève, un indice clé du militantisme de classe, est à son plus bas seuil historique. Les organisations de la gauche sont à peine en phase de reconstruction après des années de défaite et de recul. Leur sous-développement entrave la mise en place d’une résistance cohérente contre Trump et le développement d’une alternative accessible et crédible aux politiques capitalistes. La proposition de Bernie Sanders d’une nouvelle assurance-maladie nationale et gratuite constitue tout juste une première percée dans la construction d’une alternative de gauche.

Le défi de la gauche américaine

Dans ce contexte, la gauche radicale américaine doit à la fois construire ses propres organisations et combattre la droite. Dans sa lutte contre l’extrême droite, elle doit adopter une stratégie qui évite les écueils de la position des libéraux et celle des antifascistes (antifas). Les premiers ignorent l’extrême droite ou comptent sur l’État pour la réprimer, alors que les seconds s’en remettent à des actes de contre-violences isolées pour chasser les fascistes des rues. Ces deux modus operandi sont voués à l’échec. Au lieu de cela, la gauche doit s’inspirer de la manifestation antifasciste à Boston, où des dizaines de milliers de personnes ont marché contre l’extrême droite. Elle doit construire une alliance unie capable de confronter directement la droite.

De plus, il ne faut pas seulement s’opposer à l’extrême droite, mais également proposer une solution de rechange au protofascisme ainsi qu’aux partis pro-capitalistes dont les politiques néolibérales ont poussé une fraction de la petite bourgeoisie à soutenir des politiques réactionnaires. Aux États-Unis, cela implique de construire une nouvelle gauche indépendante du Parti démocrate. Cela exigera une nouvelle rupture à la gauche de Bernie Sanders, une tâche difficile alors qu’il deviendra très tentant de se rallier aux démocrates à l’approche des élections de mi-mandat en 2018.

Pour que la nouvelle gauche devienne une force réelle dans la société américaine et puisse mettre en avant un programme socialiste cohérent, elle doit impérativement opérer cette rupture avec le Parti démocrate, qui a coopté la gauche génération après génération et l’a forcée à défendre une politique du moindre mal. Il est maintenant temps de cesser de répéter les erreurs du passé. Cela passera par la création d’un nouveau parti des travailleurs et des travailleuses, capable de mener une lutte de classe contre les inégalités et contre toutes les formes d’oppression, tant dans la rue que dans les urnes. Ultimement, ce parti doit viser le renversement complet du système défaillant qu’est le capitalisme et son remplacement par une nouvelle alternative socialiste et internationaliste.

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