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Catalogne. Lutte pour une société nouvelle
La situation politique est devenue explosive en Catalogne. Une délégation de Québec solidaire a pu le constater sur place au cours du mois d’octobre dernier. À l’invitation de la gauche radicale, la Candidatura d’Unitat Popular (CUP), la délégation a pu observer non seulement la répression de Madrid, mais aussi l’auto-organisation du peuple catalan pour la tenue de ce référendum historique.
Pour mieux comprendre la situation, il faut d’abord tenir compte du contexte récent. Aux élections de 2015, une majorité d’indépendantistes entre au parlement catalan. Il est cependant difficile de connaître le résultat exact que le parti du président Carles Puigdemont, le Partit Demòcrata Europeu Català (PDeCAT, centre droit) a obtenu dans les urnes en raison du fait qu’il s’était allié avec l’Esquerra republicana de Catalunya (ERC, gauche) au sein d’une coalition nommée Junts pel Si (« ensemble pour le Oui »). Plusieurs estiment toutefois que le PDeCAT a certainement perdu des appuis par rapport aux élections précédentes en raison des mesures d’austérité qu’il avait appliquées alors qu’il était au pouvoir. Cette majorité parlementaire, en tout état de cause, ne correspondait pas à une majorité en votes obtenus et c’est pourquoi Puigdemont avait alors décidé de reporter le référendum sur l’indépendance.
État des rapports de force
S’il a favorisé l’exercice d’une campagne politique, le référendum du 1er octobre 2017 n’aura cependant pas réussi à mobiliser les citoyen·ne·s qui désirent certes changer les bases de cette société sans toutefois être convaincu·e·s de la nécessité de l’indépendance. Cette frange de la population croit plutôt que le changement en faveur de la justice sociale peut et doit se faire dans l’ensemble espagnol. C’est le positionnement de Podemos et de plusieurs syndicats catalans qui représentent des travailleuses et travailleurs de toute l’Espagne, telle l’Union générale des travailleurs (UGT) qui est également proche du Parti socialiste espagnol (PSOE, centre gauche). Cette réalité permet de mieux prendre la mesure de la manifestation du 29 octobre dernier qui a réuni 300000 personnes en faveur de l’unité de l’Espagne. Le mouvement indépendantiste catalan, la gauche indépendantiste surtout, doit tenir compte de ce fait. L’indépendance fiscale à laquelle aspirent les classes moyennes ne suscite aucune sympathie dans les classes populaires du reste de l’Espagne, y compris chez une partie importante de la Catalogne, en particulier dans les secteurs populaires des quartiers de Barcelone.
Cet état des rapports de force est d’une très grande importance si l’on veut comprendre la différence entre l’opposition de l’extrême droite et des bandes fascistes à l’indépendance catalane, d’une part, et celle d’une bonne partie de la population ouvrière, de l’autre. Si la situation continue de s’aggraver et si la gauche indépendantiste ne fait pas de la souveraineté un enjeu social et ne tente pas de convaincre la population ouvrière, cette dernière risque alors de se sentir reléguée dans le même camp que l’extrême droite et pourrait finir par y adhérer.
La lutte de la population catalane pour la souveraineté possède un potentiel réel de changement. Elle pourrait modifier profondément le cours des choses, mais pour y arriver la gauche souverainiste catalane doit développer des perspectives qui permettent de rejoindre aussi la population de l’Espagne, comme le mouvement des indigné·e·s avait réussi à le faire il y a quelques années.
Ce potentiel est d’autant plus réel que le système étatique espagnol et sa constitution rigide et autoritaire élaborée à la fin de l’ère franquiste dégagent des odeurs de fin d’époque. Le régime n’est plus en mesure de répondre à l’idéal démocratique auquel la population aspire. Son système monarchique le rappelle encore davantage. La lutte catalane représente donc en quelque sorte la pointe avancée de la crise de l’État espagnol.
Mais cette lutte rencontre de nombreux obstacles. À la manière du peuple grec il y a deux ans, le peuple catalan fait face à une Union européenne qui fait bloc avec le président espagnol Mariano Rajoy (issu du Parti populaire, centre droit). Les enjeux sont éminemment politiques et économiques, car le cartel du 1% n’a pas l’intention de se laisser déposséder.
Les défis de l’indépendance
Au terme du processus référendaire, il n’y a pas véritablement eu de proclamation d’indépendance. La déclaration faite par Puigdemont n’a pas été publiée dans le Journal des débats et elle n’a pas non plus été traduite en une série d’actes administratifs (décrets ou autres) nécessaires pour former un État et déployer son autorité sur le territoire. Cela implique notamment de prendre le pouvoir sur l’administration générale de l’État en Catalogne et de remplacer les organes répressifs de l’État espagnol par une police catalane.
Même au niveau des symboles, le drapeau espagnol n’a pas été retiré. Il n’y a pas eu de manifestation pour célébrer l’événement. En fait, au lendemain de la « déclaration d’indépendance », tout se déroulait encore comme avant.
La stratégie de Puigdemont semble donc en être une de sortie de crise uniquement. Elle n’offre pas de perspectives pour poursuivre la construction de l’indépendance. C’est le sentiment d’une bonne partie des membres de la CUP en ce moment : elles et ils reprochent à Puigdemont de n’avoir aucun plan. Certains pensent qu’il se doutait ou qu’il savait déjà que Rajoy déclencherait des élections de toute façon, ce qui est maintenant le cas.
Sa fuite inattendue à Bruxelles semble correspondre à ce scénario : gagner du temps jusqu’aux élections. Or, il est accusé de sédition et le procureur général espagnol a réclamé la peine maximale de 30 ans de prison pour le président destitué. Et même si cette « déclaration d’indépendance » demeure sans effet, Madrid a pris le contrôle total de l’administration catalane. Tous les fonctionnaires sont maintenant sur la liste de paye du gouvernement central, la police est aussi sous l’autorité nationale et c’est le gouvernement de Rajoy qui a dorénavant le pouvoir de décréter toutes les lois qui relevaient du gouvernement catalan auparavant. Il faut dire cependant que les lois catalanes devaient antérieurement être entérinées par Madrid.
Le déclenchement des élections par Rajoy est une stratégie habile pour trois raisons. Premièrement, si les partis catalans acceptent le jeu électoral, ils donnent une légitimité à l’autorité de l’État central et le gouvernement élu devra respecter la constitution espagnole. Deuxièmement, si les partis souverainistes remportent une majorité, ils se retrouveront à nouveau au point de départ du processus d’accession à la souveraineté. Troisièmement, s’ils refusent d’y participer, ils courent le risque de voir les partis de droite prendre le pouvoir en plus de devoir recourir à d’énormes mobilisations pour s’opposer à ces élections et pour soutenir un gouvernement destitué ayant à sa tête un président en exil.
En somme, la gauche a maintenant la responsabilité de trouver des solutions afin que le camp souverainiste puisse reprendre l’initiative. Jusqu’ici son attitude pacifique a donné beaucoup de crédibilité au mouvement. Mais Rajoy s’est ajusté et vient de reprendre la main avec le déclenchement d’élections anticipées pour le 21 décembre. Il est important de trouver d’autres voies qui permettront d’élargir la mobilisation en approfondissant la compréhension du projet social que peut représenter l’indépendance. L’appel à une assemblée constituante qui réunirait de larges secteurs de la population et qui serait appelée à définir ce que doit devenir la société catalane en termes de société égalitaire pourrait permettre d’élargir cet appui.