Éditorial du no 60
Ces pères Fouettard qui nous gouvernent
En kiosque le 12 juin
Face à une opposition sociale croissante à leurs politiques d’austérité, nos gouvernants manient alternativement la matraque, le discours lénifiant et la novlangue. Le gouvernement provincial, où 91 % du budget est contrôlé par des hommes blancs, veut nous faire croire que papa a toujours raison et que c’est pour notre bien qu’on sabre dans l’éducation, la culture, la santé publique ou les programmes sociaux. Tant pis si ce sont des femmes qui en font majoritairement les frais comme travailleuses dans les services publics, comme usagères de ces services ou encore comme substituts lorsqu’ils disparaissent ; l’ordre patriarcal s’en trouvera conforté.
Des ministres au gabarit imposant nous serinent sur tous les tons que la récréation a assez duré, qu’il faut se serrer la ceinture et arrêter de vivre au-dessus de nos moyens, après avoir tout fait pour réduire ces moyens en encourageant l’évasion fiscale ou en réduisant les impôts des plus riches. On veut brader les institutions publiques et concentrer encore plus le pouvoir décisionnel aux mains de quelques-uns : le système de santé sera désormais géré entièrement depuis le bureau du ministre tandis que le ministre de l’Éducation appelle les directions des cégeps et des universités à rétablir la fessée comme mode de gestion des trublions qui perturbent nos institutions d’enseignement supérieur et s’entêtent à faire grève. Au-dessus d’eux trône un premier ministre qui utilise son titre de docteur pour nous administrer sa sinistre potion de l’austérité, alors que l’exercice de la médecine n’a occupé qu’une portion congrue de son parcours professionnel.
Bienvenue au gouvernement idéologique du néolibéralisme où, comme naguère au Politburo, la langue de bois se marie bien au culte du chef. Les discours et les pratiques austéritaires (autorité + austérité) riment avec la loi et l’ordre. Les cowboys de Calgary ont maintenant des émules à Québec et ils partageant la même frénésie pétrolière et la manie du contrôle. Pour eux, notre problème serait trop de démocratie.
Leurs solutions : le mépris des institutions parlementaires et la criminalisation de l’opposition. Les consultations publiques, en commission parlementaire ou dans les organismes officiels de consultation comme le BAPE, prennent trop de temps et soulèvent des questions gênantes pour le pouvoir ? Pas de problème, il n’y a qu’à les court-circuiter pour un passage accéléré à la pollution. La période des questions à la Chambre des communes ou à l’Assemblée nationale embête les conseils des ministres ? Pas de problème, on écrit le scénario des questions des députés d’arrière-ban et on punit les récalcitrants. Les partis d’opposition veulent critiquer un projet de loi ? Pas de problème, on utilise la procédure du bâillon. On veut faire passer en douce des mesures discutables ? Pas de problème, on fait une loi mammouth. Et on s’étonne ensuite que la participation au vote diminue !
Quand la population choisit d’occuper la rue, là encore, c’est le mépris et le bâton. Les étudiant·e·s font grève ? On refuse de discuter avec eux, on les menace de sanctions disciplinaires, on en arrête certains et le ministre conseille aux directions d’établissement d’en expulser deux ou trois par jour, pour l’exemple. Les profs de cégeps votent une grève sociale de 24 heures le 1er mai ? On convoque de toute urgence le Conseil des relations de travail pour décréter la grève illégale et prendre des sanctions. Des gens veulent utiliser leur droit de manifester ? On promulgue des règlements, on prend en souricière les manifestants pour leur faire passer l’envie de l’action collective et on leur inflige de lourdes amendes. Ça ne se passe pas en Arabie saoudite, mais dans une rue près de chez vous.
Une telle érosion de la vie démocratique n’est pas inéluctable. De plus en plus de voix s’élèvent contre les visées sexistes, racistes et classistes des pères Fouettard. À leurs velléités austéritaires, nous pouvons opposer le poids de la réflexion et de l’action collectives. Le mouvement est commencé, il faut l’amplifier. La grève sociale des profs nous fait renouer avec la tradition combative du mouvement ouvrier où la grève n’était pas qu’un instrument à utiliser parcimonieusement pour améliorer les conditions de travail d’un groupe particulier de salarié·e·s, mais un instrument de lutte des classes et de mobilisation sociale pour plus de justice et de dignité. Le mouvement « Occupe toute », qui a fait ressurgir les tentes du mouvement Occupy devant les établissements scolaires, est une autre façon de valoriser l’action collective protestataire. Les blocages et manifestations du 1er mai un peu partout au Québec ont montré que la majorité en avait marre d’être réduite au silence et de se faire imposer les mots des ventriloques du pouvoir. L’attaque est généralisée, notre mobilisation doit l’être tout autant. Comme le dit le slogan : « C’est tous ensemble qu’il faut lutter, c’est tous ensemble qu’on va gagner ! »