La sexualité : un champ de recherche universitaire

Dossier : Sexe

Dossier : Sexe

La sexualité : un champ de recherche universitaire

Martin Blais, Sara Mathieu-C., Joanne Otis

Trois générations de chercheurs proposent une vision commune de la recherche sur la sexualité.

À bâbord ! : Pourquoi faire de la recherche sur la sexualité aujourd’hui ? Ne connaît-on pas déjà tout sur la question ?

Peut-on prétendre avoir fait le tour de la question ? Force est de constater que la diversité des projets de recherche dans lesquels nous sommes impliqués témoigne de la persistance de nombreuses zones de questionnement qui touchent, de près ou de loin, ce que nous étiquetons comme « sexuel ». Des questions toujours actuelles et qui servent, entre autres, à orienter l’action en prévention et en promotion de la santé sexuelle. Ces recherches peuvent également servir à déconstruire des mythes bien persistants à propos de la sexualité et offrir une version plus nuancée, égalitaire, voire diversifiée des objets étudiés.

La question serait plutôt : « Pourquoi croit-on tout savoir sur le sexe ? » La multiplication des discours sur la sexualité pourrait contribuer à cette impression. Du blogue à la publicité, en passant par les nombreux numéros thématiques (comme celui-ci !), le sexe semble être partout ! Il mousse les ventes, motive les « clics » et profite de la curiosité et du tabou qui entoure le sexuel. Et pourtant, ces discours contribuent probablement plus à entretenir des visions plutôt traditionnelles de la sexualité qu’à apporter un nouvel éclairage.

La recherche sur la sexualité offre donc une alternative aux discours médiatiques et aux croyances sans fondements scientifiques qui circulent allègrement. En comparaison, la recherche sur la sexualité s’inscrit dans une culture du doute, de l’hypothèse et du questionnement plutôt que dans la défense de faits généralisables et immuables. Malheureusement, les nuances ne font pas nécessairement les gros titres.

ÀB ! : Comment en vient-on à faire de la recherche sur la sexualité ?

Plusieurs chemins peuvent mener à la recherche sur des thématiques liées de près ou de loin à la sexualité. Au Québec, nombre de chercheurs et chercheuses travaillent au département de sexologie de l’uqam. Toutefois, d’autres collaborateurs et collaboratrices inscrivent leurs travaux dans des champs disciplinaires connexes et complémentaires. Il n’est donc pas surprenant de retrouver des chercheurs·euses en sciences infirmières et en santé publique lorsqu’il est question de planning des naissances, des anthropologues et des sociologues lorsqu’il est question du rapport aux normes socioculturelles ou encore des historien·ne·s de l’art pour aborder la représentation de la sexualité et du genre dans les médias.

Sara Mathieu-C. a complété un baccalauréat en sexologie, cadre dans lequel Joanne Otis et Martin Blais lui ont enseigné il y a une dizaine d’années. Pour leur part, Joanne Otis a complété un doctorat en santé publique, alors que Martin Blais est sexologue et sociologue. Si nous travaillons ensemble sur certains projets, c’est donc que ce sont les thèmes et les visées qui rassemblent, plutôt que l’appartenance à un champ disciplinaire précis.

N’importe qui peut-il se lancer dans de telles recherches ? Pas tout à fait. Chaque sujet de recherche détient ses particularités et exige son lot d’expertise. Dans le cas de la recherche sur la sexualité, il faut être à l’aise avec l’idée de jongler avec des sujets qui relèvent de l’intime, être au fait de ses valeurs et ne pas être aisément choqué. Nombre d’entre nous sommes curieuses et curieux lorsqu’il est question de sexualité, mais de là à en discuter dans un local d’université éclairé de néons cinq jours par semaine, c’est une autre histoire !

ÀB ! : Pouvez-vous décrire les recherches qui ont cours en ce moment et auxquelles vous participez ? Quels sont leurs sujets, leurs objectifs, les méthodologies utilisées ?

Nous sommes tous les trois impliqués dans trop de recherches pour les décrire d’une façon qui leur rende justice. Optons pour trois exemples dont les visées, les méthodologies et les répercussions diffèrent.

Un jeu vidéo à des fins d’éducation à la sexualité

Dans le cadre de sa thèse, Sara Mathieu-C. travaille au développement d’un modèle de design d’un jeu vidéo sérieux qui repose sur des données d’enquête et des théories éprouvées en promotion de la santé sexuelle. Il s’agit d’une recherche-développement où l’accent est mis sur une meilleure compréhension des ingrédients efficaces pour aider les gens à faire des choix libres, éclairés, sécuritaires, tout en tenant compte de l’importance du plaisir dans l’apprentissage. En optant pour le jeu vidéo, Sara Mathieu-C. souhaite tirer profit du côté ludique et d’un accès grandement favorisé par les technologies de l’information et des communications.

Une enquête en ligne sur les parcours relationnels intimes et sexuels

Récemment, les premiers résultats pour l’Étude des parcours relationnels intimes et sexuels (ÉPRIS) codirigée par Martin Blais étaient communiqués. Cette étude visait à mieux saisir la complexité des phénomènes relationnels. Du couple monogame hétérosexuel aux couples non cohabitants, en passant par les couples de même sexe et les relations sexuelles sans finalité de couple, il y avait beaucoup de notions et de vécus à documenter. En utilisant un questionnaire anonyme en ligne, plusieurs analyses quantitatives complexes ont pu être menées. Et que ressort-il d’ÉPRIS ? Un certain assouplissement des règles d’exclusivité sexuelle, un changement dans les valeurs et les besoins à combler dans les relations intimes, mais une dominance encore claire pour le couple traditionnel.

MOBILISE ! Agir ensemble pour mieux jouir

Joanne Otis contribue activement à MOBILISE !, un projet récent de recherche communautaire qui invite les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes à s’informer davantage des avancées pour la prévention du VIH pour qu’ils puissent combiner des stratégies préventives en accord avec leurs besoins et leurs pratiques. De par son approche hautement participative, ce projet favorise le dialogue entre les membres des communautés, les intervenant·e·s communautaires, les professionnel·le·s de la santé et les chercheurs·euses, MOBILISE ! est novateur à plusieurs égards, notamment par la mise en œuvre de stratégies qui impliquent des équipes citoyennes, des soirées de prises de parole et de création collective, des forums communautaires et des comités d’action.

ÀB ! : Comment arrive-t-on à faire financer la recherche ? Faut-il mettre de l’avant les questions de santé publique ?

Plusieurs thèmes de recherche sur la sexualité rejoignent des préoccupations sociales et gouvernementales d’actualité. Par exemple, la lutte contre les infections transmissibles sexuellement (ITS) telles que le VIH/Sida ou le VPH (virus du papillome humain), le soutien aux victimes d’agression sexuelle, la lutte contre l’intimidation sur la base du genre ou de l’orientation sexuelle, les facteurs associés à la consommation de pornographie en ligne ou encore la reproduction des stéréotypes de genre problématiques dans les médias sont des thèmes dont l’importance fait facilement consensus.

Dans le contexte d’une disponibilité moindre de fonds pour la recherche chez les organismes subventionnaires, et d’une compétition très forte pour l’obtention de ces fonds, la possibilité de cadrer ces thèmes de recherche dans les termes du risque pour le bien-être et la santé est certainement un atout. Néanmoins, plusieurs autres facteurs sont pris en compte dans l’obtention de fonds de recherche tels que la qualité des équipes de recherche et des demandes de fonds déposées ainsi que les réalisations antérieures des chercheurs et chercheuses témoignant de leur capacité à réaliser la recherche projetée. La compétitivité s’est certainement accrue dans les dernières années et l’obtention de financement est de plus en plus difficile dans tous les domaines. Et la recherche sur la sexualité ne fait pas exception !

ÀB ! : Où en sera la recherche sur la sexualité dans cinq ans ?

Les recherches porteront nécessairement sur des thématiques très diversifiées et continueront de s’inscrire dans des disciplines variées. La mise en commun des conclusions et l’élaboration de cadres explicatifs partagés seront nécessaires, compte tenu de la complexité des phénomènes étudiés.

Le recours à des approches participatives et communautaires, l’utilisation avisée et critique des technologies, à la fois comme stratégie de recherche et d’intervention, seront au cœur de nos démarches. La plupart des thématiques qui seront abordées dans les prochaines années ne seront pas « nouvelles ». Ce sont plutôt le regard à poser et la façon de mobiliser les communautés qui sont amenés à se renouveler. Par exemple, il s’annonce essentiel de tirer des leçons des recherches et des interventions en prévention des ITS et du VIH/Sida qui ont été menées dans les dernières années. Plusieurs questions s’imposent : comment réduire les risques tout en maximisant le plaisir ? Comment utiliser les technologies mobiles sans empiéter sur la sphère privée et réduire la qualité des services proposés ? Comment provoquer des changements rapides tout en impliquant les communautés ? Comment généraliser les démarches tout en respectant la diversité des phénomènes, des individus, des discours ?

Voilà quelques-uns des défis importants des prochaines années, des sources de motivation pour des chercheuses et chercheurs, toutes générations confondues.

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