Soigner le mal par le mal

No 38 - février / mars 2011

Économie

Soigner le mal par le mal

Mesures d’austérité : une tendance mondiale

Claude Vaillancourt

Pendant la crise économique, en 2008, plusieurs ont cru que le capitalisme, blessé au cœur, se relèverait difficilement. Le fait d’avoir suivi aveuglément ses principes les plus élémentaires avait mené à la perte de ses plus puissantes institutions. Mais celles-ci ont survécu par des transfusions de plusieurs milliers de milliards de dollars. Et la crise est devenue le prétexte pour appliquer la stratégie du choc qui se concrétise par les plans d’austérité que l’on applique partout dans le monde, y compris au Québec.

Au Forum social mondial de Belém en 2009, de nombreux militants étaient portés par une curieuse frénésie. Certes, la crise avait amené avec elle son lot de souffrances et de malheurs. Mais elle donnerait aussi l’occasion de faire un sérieux ménage. Les altermondialistes avaient prévu la crise, qui s’est produite pour les raisons annoncées. Si on avait posé le bon diagnostic, c’est donc qu’on avait aussi en main les bons remèdes.

De nombreuses organisations ont lancé un appel intitulé Mettons la finance à sa place qui prônait une série de mesure pour transformer le monde  : un contrôle public et citoyen des banques, la mise en œuvre d’un système monétaire international, l’éradication de la spéculation sur les matières premières, le démantèlement des paradis fiscaux, l’imposition d’une taxe sur les transactions financières pour financer les biens publics.

Rien de cela n’a vu le jour. La crise a plutôt créé un effet domino, alors que des effondrements successifs, découlant l’un de l’autre, nous donnent l’impression qu’elle n’aura plus de fin. Les prêts hypothécaires irresponsables accordés par les banques états-uniennes et la spéculation sauvage ont provoqué la chute des banques, qui ont nécessité leur renflouement par de l’argent public, ce qui a forcé les États à s’endetter, à trouver l’argent sur les mêmes marchés financiers qui ont provoqué la crise, en faisant payer le tout à une population appauvrie, victime d’un chômage élevé, à qui l’on demande de se serrer la ceinture, de payer plus de tarifs, alors qu’on réduit les services publics et que l’on coupe dans les programmes sociaux. Aucune volonté politique ne vient contrer ce qui semble porté par une logique infernale.

Des principes de base

La situation actuelle se corse d’autant plus que ces plans d’austérité sont imposés en respectant trois principes fondamentaux relativement nouveaux, et qui montrent une troublante insensibilité des gouvernants devant les drames vécus par les populations.

Ces principes sont les suivants  :

Les classes les plus aisées ne doivent pas contribuer à l’effort collectif pour rétablir les finances publiques.

Dans aucun pays où l’on applique des mesures d’austérité, il n’est question de revenir sur les baisses d’impôts et sur les privilèges fiscaux des riches. Le principe de progressivité est devenu désuet : les hausses de taxes et de tarifs font que tous déboursent le même montant pour un service, qu’ils soient riches ou pauvres. Quant aux banquiers et aux spéculateurs qui ont causé la crise et accentué de façon dramatique l’endettement des États, pas question de leur faire payer quoi que ce soit, et encore moins de les punir.

Les mesures d’austérité sont établies de façon permanente, et non pas temporairement, pour régler un problème conjoncturel.

Peu après son élection, David Cameron, premier ministre britannique, a affirmé que ses décisions – ses mesures d’austérité – affecteraient « chaque personne au pays » et qu’elles «  s’appliqueraient pendant des années, voire des décennies ». Cameron aurait pu parler au nom de tous ceux qui adoptent des plans d’austérité. Les privatisations, les hausses de tarifs, les coupes dans les programmes sociaux, la réduction du filet social sont des mesures permanentes qui transformeront en profondeur nos sociétés et qui réduiront de façon considérable le rôle de l’État.

Aucune mesure ne doit être prise pour contrer la spéculation.

La spéculation peut avoir les objets les plus variés. Et elle se perpétue avec un cynisme inégalé. Après avoir misé sur les hypothèques des pauvres, les matières premières, la nourriture, voilà qu’elle se trouve un nouveau terrain de jeu : la dette des pays confrontés à de graves difficultés financières. Une spéculation à la baisse sur celle-ci transforme les problèmes économiques des pays en bonnes affaires pour les courtiers et leurs clients. Et ces succès sont récompensés par de somptueux bonis.

Ces politiques contre l’intérêt commun doivent être appliquées avec un aveuglement dogmatique qui empêche tout débat ou dialogue. La volonté de combler les désirs de la classe financière devient la plus noble mission des gouvernants. Il en va de leur orgueil et de leur crédibilité  : céder à des revendications populaires est vu comme un signe de faiblesse, un manque de leadership.

Réactions en chaîne

Les plans d’austérité se répandent donc comme une maladie contagieuse. Les États-Unis, la Grèce, le Portugal, l’Italie, la France, l’Allemagne, l’Irlande, le Royaume-Uni ou tous adopté des budgets très contraignants qui ont comme dénominateur commun de faire payer par les plus pauvres et la classe moyenne la folie spéculative de la classe financière. Même si le Québec a été beaucoup moins éprouvé par la crise que beaucoup de pays, notre ministre des Finances a suivi la mode et sans imagination, il a concocté lui aussi son budget fidèle aux nouveaux préceptes du genre (lire à ce sujet l’article de Philippe Hurteau, dans ce numéro).

Ces plans correspondent très bien aux principes du consensus de Washington et du Fonds monétaire international (FMI), ressuscité d’entre les morts grâce aux bons soins et aux injections d’argent du G20. Rappelons que le FMI avait été discrédité à cause de ses plans d’ajustements structurels qui avaient forcé les pays pauvres et endettés à mettre la hache dans les services publics, à privatiser le plus grand nombre de secteurs dans le but de rembourser leur dette. L’inhumanité de ces mesures avait mis la noble institution au ban et beaucoup espéraient que, devant un bilan aussi désastreux, elle ne sévirait plus jamais.

Mais voilà que le cancer de la dette touche désor­mais les pays riches. Et devant le même problème, on ne parvient qu’à proposer les mêmes solutions. Le plan d’austérité du Royaume-Uni est à lui seul un cas d’école. Il frappe de plein fouet la cinquième économie au monde (selon le PIB). Les coupes sont telles qu’elles rendent inoffensives, en comparaison, celles effectuées dans les années 1980 par le gouvernement Thatcher. Elles atteignent si brutalement l’État social britannique qu’on se demande ce qui en restera.

Un regard rapide nous permet de constater, entre autres, que les droits de scolarité passeront de l’équivalent de 5 200 $ par année à 14 000 $, que les taxes à la consommation augmenteront de 2,5 %, que les dépenses des ministères baisseront de 25 % sur quatre ans, que près d’un demi million d’emplois seront supprimés dans le secteur public et que l’aide sociale sera réduite de 18 milliards de livres. Pendant que tous se serreront la ceinture, les grandes corporations et les petites compagnies, quant à elles, profiteront de baisses d’impôt. Les banques paieront en guise de punition pour leurs méfaits un gros 0,7 % de leurs profits.

Le gouvernement britannique justifie de pareilles mesures par un déficit croissant et hors contrôle et une volonté de contrer les décisions que pourraient prendre les agences de notation. Les notes données par ces dernières font trembler les gouvernements  : une décote rend plus difficile l’accès au crédit et fait augmenter la dette. Pourtant, ces entreprises (Moody’s, Standard & Poor’s, FitchRatings) offrent une expertise plus que discutable  : elles se sont souvent trouvées en conflit d’intérêt et évaluent en fonction de présupposés idéologiques – selon la conformité des choix gouvernementaux avec l’idéal néolibéral. Ainsi, les évaluations faites par une poignée de technocrates prosélytes et mercenaires affectent dramatiquement le sort de millions d’individus.

Une importante fracture

Devant les décisions du gouvernement britannique, qui trouvent des équivalents, avec de nombreuses variations, dans la plupart des pays occidentaux, une question vient à l’esprit, maintes fois répétée par de nombreux observateurs  : comment se sortir d’une pareille crise si on étouffe les populations et si aucune mesure importante n’est prise pour relancer l’activité économique ?

Le contraste entre les politiques adoptées par les États et les besoins des populations révèle un isolement de plus en plus marqué de la classe politique qui, pourrait-on dire, fait même preuve de dissonance cognitive : les théories économiques appliquées par les chefs d’État ne conviennent pas pour améliorer la situation, ce qui ne les empêche pas de les mettre en branle avec d’autant plus de vigueur.

L’économiste Thomas Coutrot explique bien la nature du phénomène  : « Alors que les élites politiques étaient sociologiquement distinctes des élites économiques, elles tendent désormais à fusionner dans une seule classe dominante, au caractère d’ailleurs de plus en plus transnational. On peut qualifier ce phénomène “d’hyperpouvoir étatico-financier” [1] ». Cet hyperpouvoir, qui lie de façon à ne plus parvenir à les distinguer les classes politique et financière, ne voit plus que ses intérêts immédiats et vit dans une sphère fermée qui le rend imperméable à tout autre discours que les siens.

Jusqu’ici, la stratégie de cet hyperpouvoir consistait à s’accaparer en douceur du plus de biens possible en privatisant à petits pas les services publics, en réduisant la contribution à l’impôt des plus riches, en limitant les pouvoirs des États. Les plans d’austérité précipitent la démarche ; plus de gants blancs désormais, les changements sont radicaux et parfaitement assumés.

Ce qui déclenche de fortes réactions. Mal couvertes par nos médias, les manifestations en Europe sont nombreuses et souvent violentes. En France, en octobre dernier, par exemple, des millions de manifestants qui ont pris les rues pendant plusieurs jours, appuyés par des blocage visant le ravitaillement en pétrole, n’ont pas réussi à ébranler le gouvernement sur la question des retraites. À Rome, au Royaume-Uni, les affrontements entre les manifestants et la police ont été particulièrement agressifs. En Grèce, les manifestations se succèdent depuis plusieurs mois, dans un pays encore plus cruellement puni que les autres pour l’irresponsabilité de ses élites.

Partout le mot d’ordre des gouvernements est le même  : ne rien céder. La fracture est profonde entre cet hyperpouvoir qui ne veut pas prendre ses responsabilités et fait payer ses frasques par l’immense majorité qui n’a rien eu à voir avec les décisions désastreuses qui ont créé la situation actuelle. Où nous mèneront les choix et le manque d’écoute de nos dirigeants ? Vers un appauvrissement systématique de la majorité et des années de confrontations ? Il est à souhaiter que les batailles collectives à venir, longues et difficiles sans doute, permettront de sortir de ce grand piège tendu par les mesures d’austérité.


[1Thomas Coutrot, Jalons vers un monde possible ; redonner des racines à la démocratie, Paris, Le Bord de l’Eau, 2010.

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