Fuir l’histoire  ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui

No 38 - février / mars 2011

Domenico Losurdo

Fuir l’histoire  ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui

Guy Roy

Domenico Losurdo Fuir l’histoire ? La révolution russe et la révolution chinoise aujourd’hui, Paris, Éd. Delga, 2007.

À mesure que l’histoire se déroule à rebours, derrière soi, des certitudes tombent. Mais d’autres se raffermissent. Comme ancien maoïste, j’ai appris que dans la recherche de la vérité, plusieurs personnes aux affinités partagées peuvent se fourvoyer. Mais le point de vue selon lequel le capitalisme serait restauré en Chine emprunte des raccourcis questionnables. J’ai le sentiment qu’une gauche, ressuscitée autour de la lutte au sectarisme, peine encore à éviter ce genre de piège envers les communistes. Cela se manifeste en nous prêtant une histoire passée qui aboutit inévitablement aux crimes de Staline et de Mao.

La lecture de Losurdo y met un sérieux bémol. Celui-ci soutient qu’il est possible d’appliquer le matérialisme historique à l’histoire même d’un mouvement communiste international qui a son prolongement en Chine. Même ceux qui n’adhèrent pas au marxisme trouveront chez Losurdo une conception de l’histoire qui pourrait bien les surprendre. Pour ceux qui sont déjà des familiers, il s’agit d’une réflexion qui interroge leurs vieux concepts « sans jeter le bébé avec l’eau du bain ». Pour les plus critiques du marxisme, nos camarades anarchistes entre autres, Losurdo démontre que les capacités intellectuelles de ceux qui se réfèrent au marxisme ne se sont pas atténuées au fil des ans : le rationalisme et l’esprit scientifique des Lumières demeurent les fondements de cette façon de lire le monde pour le transformer sans renoncer à penser par soi-même.

Le raisonnement que tient Losurdo sur l’évolution du marxisme au sein du Parti communiste chinois est rigoureux et ne laisse pas beaucoup de place aux argumentaires de ceux qui veulent prendre leur distance de cette théorie. Personne ne peut nier à Marx ses talents de vulgarisateur. Il les a appliqués dans la rédaction du Mani­feste et a ainsi rendu accessible au plus grand nombre un point de vue révolutionnaire dont personne ne peut nier l’impact au XXe siècle. Losurdo met en évidence ces habiletés chez ses successeurs, mais il en montre aussi les limites ravageuses liées au XIXe siècle lui-même. Sur la conception de l’État, entre autres.

Ce philosophe de l’histoire italien jette un pavé dans la mare du communisme tout en s’en affichant l’adepte. Et ce n’est pas sans étonnement que le lecteur appréciera son appel à « dé-canoniser » Marx ou les autres classiques en « faisant du passé table rase ».

Thèmes de recherche Livres, Russie et Europe de l’Est, Asie
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