Dossier : L’utopie a-t-elle un (…)

Dossier : L’utopie a-t-elle un avenir ?

Les angles morts du néolibéralisme

Louis Gaudreau

L’arsenal de mesures néolibérales mis en œuvre un peu partout sur la planète depuis quelques décennies a échoué à construire la société plus égalitaire qu’avaient pourtant annoncée ses promoteurs. Cet échec tient en grande partie au fait que le monde dont le projet néolibéral est supposé permettre le plein développement n’existe que dans les mythes où l’économie classique puise ses présupposés.

Le monde imaginaire qui sert de support au projet néolibéral serait constitué par un agrégat d’individus rationnels, indépendants, libres de faire des choix et mus par la poursuite de leur seul intérêt personnel. Cet objectif les pousserait à entrer en contact les uns avec les autres et ainsi à former un vaste marché dont la principale fonction serait de réaliser l’arbitrage entre les différents besoins particuliers. Selon cette conception particulière du monde, ce marché ne revêtirait sa forme la plus pure et la plus profitable pour tous qu’une fois dépouillé de toute interférence extérieure (d’un État par exemple) biaisant l’expression des intérêts individuels.

Ce récit, faisant l’éloge de l’individu isolé et maître de sa destinée, a d’abord de quoi surprendre. Ne vit-on pas au contraire dans un monde où les individus n’ont jamais été aussi dépendants les uns des autres, où la subsistance et le quotidien de chacun n’ont jamais été aussi tributaires de ce que l’ensemble de la société peut produire, ne serait-ce que la moindre livre de beurre ou pièce de vêtement  ? De plus, si le marché capitaliste existe bel et bien, c’est sous une forme assez différente de celle que nous présente la fable néolibérale. Ce marché est façonné par des interventions de nature politique et juridique. Celles-ci donnent naissance à des institutions qui, loin de nuire à son fonctionnement, en sont plutôt la condition préalable. La monnaie en est certainement l’une des plus importantes. Elle rend possible les échanges commerciaux et ne remplit cette exigence qu’à condition d’être émise et garantie par les autorités publiques. Le rôle des gouvernements et des banques centrales n’est-il pas d’ailleurs de veiller à la stabilité des systèmes monétaires nationaux et de pallier l’incapacité des banques privées à s’acquitter de cette tâche, trop préoccupées qu’elles sont justement par la sauvegarde de leurs intérêts ? Aussi, comment imaginer la moindre transaction financière, même la plus libéralisée, sans l’existence de règles encadrant les pratiques, punissant les délits et, par conséquent, lui permettant de se réaliser en toute confiance ?

L’utopie n’est donc pas uniquement ce mal dont on affuble les opposants au néolibéralisme, mais surtout la propriété fondamentale de l’idéologie qui domine aujourd’hui les débats politiques.

Thèmes de recherche Capitalisme et néolibéralisme
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