Propriété intellectuelle à l’université
Quand j’ai les BLEUS
Il y a une vingtaine d’années, un dossier consacré aux universités n’aurait sans doute pas abordé la question de la propriété intellectuelle. Pour l’essentiel, un principe guidait la pratique en cette matière : la propriété intellectuelle de toute production réalisée par un professeur dans le cadre de ses activités universitaires lui était reconnue de plein droit.
Les années qui ont précédé l’an 2000 sont venues bouleverser ce principe aussi vieux que l’institution universitaire elle-même, quand on s’est mis à parler d’une société du savoir, qui a vite révélé son vrai visage, celui du discours d’une économie du savoir, où les mots-clés étaient innovation, partenariat, commercialisation, compétitivité. Alors que le savoir développé et diffusé dans les universités intéressait peu jusqu’alors les décideurs, même s’il est à l’origine de progrès sociaux et d’avancées scientifiques, il a tout à coup acquis une nouvelle valeur… économique, au moment où, paradoxalement, le financement public des établissements universitaires s’est mis à décroître de façon importante sous prétexte d’assainissement des finances publiques.
Dans ce contexte, on a commencé à parler de la valorisation des résultats de la recherche universitaire dans l’optique plus précise de leur commercialisation. C’est ainsi que les BLEUS, ces Bureaux de liaison entre l’entreprise et l’université, ont fait leur apparition dans les établissements universitaires pour voir à soutenir des partenariats de recherche et promouvoir le transfert des connaissances vers les entreprises en vue de leur commercialisation. Aux yeux des promoteurs de cette nouvelle mission pour l’université, la reconnaissance de la propriété intellectuelle aux professeures et professeurs d’université est vite apparue comme un obstacle susceptible de freiner les processus de commercialisation.
À la suite des incitations des organismes subventionnaires en ce sens, les administrations universitaires se sont dotées de politique en matière de propriété intellectuelle où d’entrée de jeu, pour la plupart, elles affirmaient que les productions réalisées en milieu universitaire étaient soit la propriété exclusive de l’université, soit partagées entre l’université et le professeur qui avait réalisé la production. En fait, en envisageant de s’arroger la propriété intellectuelle des professeures, beaucoup d’administrations ont vu dans la possibilité de commercialiser les résultats de la recherche universitaire un moyen pour compenser la réduction du financement public.
Pour encourager les universités à aller dans le sens de la commercialisation, alors que le financement des activités de base pour l’enseignement et la recherche était en nette décroissance, des programmes de financement ont été créés par les divers paliers de gouvernements pour favoriser la mise sur pied de sociétés de « valorisation » et la promotion d’un transfert accéléré des connaissances en vue de leur exploitation, essentiellement selon une optique de développement économique.
La Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) a rapidement réagi aux incitations à la commercialisation et dénoncé les risques que cela représente pour la protection de la propriété intellectuelle et pour le respect de la liberté académique et de l’autonomie universitaire.
Cela n’a pas empêché les gouvernements, leurs organismes subventionnaires et les établissements universitaires à continuer d’aller dans le sens de la commercialisation, mais cela a sensibilisé l’ensemble du corps professoral aux enjeux de la propriété intellectuelle et a incité les syndicats à suivre avec attention cette question, notamment en lien avec d’autres enjeux, tels ceux liés au développement des technologies de l’information et de la communication. Le combat pour la protection de la propriété intellectuelle se poursuit dans chaque université par l’entremise des syndicats de professeures et professeurs qui veillent à introduire ou à maintenir dans leur convention collective des clauses à cet effet, tout en résistant aux politiques et aux modes de gestion qui cherchent strictement à faire du travail professoral un outil de développement économique et d’innovation sociale, dont la rentabilité entend pouvoir se mesurer à court terme.