Dossier : L’université entre (...)

L’université entre déclin et relance

La crise du financement universitaire

Gaétan Breton

La crise financière qui affecte l’UQAM ne peut s’appréhender isolément et ne pourra être comprise qu’en la rapportant d’une part aux conséquences de la mondialisation sur les économies et particulièrement sur les services publics, d’autre part à ce que le capitalisme, à son stade actuel de développement, demande de l’éducation.

Même sans crise, l’UQAM est en crise

Même si on ne prenait pas en compte les effets sur son budget de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler la « dérive immobilière » de l’UQAM, il manquerait toujours à cette université des fonds pour en assurer les activités courantes. Or, ces activités sont, depuis plusieurs années déjà, assurées avec des fonds minimaux. Les conclusions de la firme PriceWaterhouseCoopers le montraient d’ailleurs bien : l’UQAM, y rappelait-on, a un rendement comparable aux autres universités ; mais ce rendement est obtenu avec moins de professeurs, qui sont moins bien payés, avec moins de locaux et avec des ressources documentaires d’une pauvreté affligeante, etc. Il ne fait pas en conclure que cela prouve qu’il faut réduire les budgets des autres universités ! Car le fait est que l’UQAM a depuis toujours survécu malgré un financement ridiculement bas. Mais les limites de l’étirement budgétaire sont désormais atteintes, voire dépassées, et si des fonds ne sont pas très rapidement réinjectés, cette institution est condamnée à s’étioler ou à disparaître.

Les premiers coups de butoir immobilier à l’UQAM ont été donnés sous le règne de la rectrice Paule Leduc durant les années 1990. La construction du Centre sportif et des résidences du boulevard René-Lévesque avait généré des déficits que seules des compressions drastiques, faites à même le fonds de fonctionnement, avaient permis de résorber. Et c’est ainsi que malgré tout, jusqu’en 2006, le solde du fonds de fonctionnement de l’UQAM s’est en moyenne maintenu du côté positif. Pendant ce temps, d’autres universités cumulaient des déficits dépassant parfois les 100 millions $ (Université Laval), sans que ni les journaux ni le ministère de l’Éducation ne s’émeuvent. Même le siège social de l’UQ, cette entité qui ne produit rien, a déjà eu 75 M$ de déficit cumulé sans que cela ne suscite de réactions. L’UQAM était loin de ce montant que déjà tous les journaux allaient allègrement à la curée, que la situation semblait, à tous, intolérable et que des mesures étaient prises à l’encontre de l’UQAM (sous la forme de rétention des subventions gouvernementales conditionnelles à l’absence de déficit).

Les documents budgétaires publiés par l’UQAM pour 2007-2008 montraient un déficit total de 30 M$, desquels 18 M$ étaient attribuables aux questions immobilières. Il restait donc un déficit de 12 M$ provenant du fait que les subventions gouvernementales augmentent moins vite que les dépenses, lesquelles sont pourtant, comme nous le disions plus haut, limitées au strict minimum. Dans ces conditions, le déficit structurel de l’UQAM ne peut qu’augmenter et se cacher derrière la dérive immobilière pour refuser de voir cette réalité en face ne fera qu’aggraver le problème.

D’autant que l’UQAM, qui ne dispose pas d’un réseau de donateurs privés comme l’Université McGill, par exemple, dépend dans une plus grande proportion que les autres des fonds gouvernementaux. Le recours au financement privé, qu’impose le processus de mondialisation, risque donc d’être plus difficile encore pour elle. Et la question reste posée de savoir si un tel financement privé est bien ce que nous voulons pour nos institutions d’enseignement.

Mondialisation et services publics

Car ce qui se pose désormais, c’est toute la question du financement de l’éducation supérieure et, derrière elle, toute une conception de l’université qui se fait jour.

L’Association canadienne des professeurs d’université et la Fédération québécoise des professeurs et professeurs d’université ne cessent de produire des données qui mettent en évidence le retrait de l’État, fédéral comme provincial, du financement de l’éducation supérieure et les phénomènes concurrents de hausse des frais de scolarité et des frais afférents ainsi que les obstacles à l’accessibilité qui recommencent à se dresser. Avec l’imposition de tarifs, nous revenons au temps où le coût individuel de l’éducation en fermait les portes à la majorité. Le renvoi de l’éducation dans la sphère individuelle oblitère son caractère collectif. Un haut niveau d’éducation dans une société enrichit la vie civile et économique. La volonté d’accroître le niveau d’éducation dans une société est véritablement collective et se fonde sur une vision du bien public qui est attaquée de tous les côtés par le « processus » de la mondialisation marchande.

En « privatisant » les effets de l’éducation, en éliminant toute responsabilité sociale liée à l’éducation pour la remplacer par des bénéfices individuels – calculés en termes de capacité à faire de l’argent avec son diplôme sur le marché mondial des cerveaux – il devient évident que le coût de l’acquisition de cet actif (capital symbolique) doit être assumé par celui qui en retirera les dividendes, lesquels sont de moins en moins taxés par un État qui aura de moins en moins de services publics à financer. Un des symptômes de ce revirement est décelable dans la tendance à parler des étudiants comme étant les clients de l’université alors qu’en réalité, c’est la société qui en est la véritable cliente. Même au ministère du Revenu, les contribuables (mot qui implique que chacun doit payer sa part du bien commun) sont devenus des clients, transformant ainsi la fiscalité en un mal de moins en moins nécessaire si on fait disparaître la notion de bien commun.

La tarification des services publics accompagne un processus de privatisation de ceux-ci qui doivent alors produire des profits. Partout, la privatisation a amené des hausses de tarifs, la diminution de la qualité des services et souvent une diminution drastique de l’accessibilité.

Le destin de l’UQAM

L’UQAM et le réseau de l’UQ avaient été créés pour donner accès à l’éducation supérieure à une grande partie de la population qui trouvait l’ascension de la montagne difficile, voire impossible. On sait qu’en général les étudiants de l’UQAM travaillent durant leurs études plus que ceux des autres universités. Autrement dit, ils doivent compter sur eux-mêmes pour financer leurs études. On sait aussi que l’UQAM a plus d’étudiants à temps partiel pour un nombre donné d’étudiants équivalents à temps plein (EETP). Ce sont ces étudiants là qui souffriront véritablement d’une éventuelle disparition d’une UQAM facile d’accès à tous égards.

La crise de l’UQAM va bien plus loin que les questions de construction, surtout, comme le relevait le Vérificateur général du Québec, que des édifices sont subventionnés par le ministère de l’Éducation pour des universités dont le déficit d’espace est bien moins grand que celui de l’UQAM. Toutes les universités construisent, que ce soit avec des cadeaux du gouvernement (Concordia), des fonds privés ou des subventions normales du ministère de l’Éducation. Le gouvernement, en laissant l’Université de Sherbrooke se construire à Longueuil, l’Université du Québec à Rimouski se construire à Lévis, etc., place les universités en concurrence les unes avec les autres. Une telle concurrence n’a pas de sens si le financement provient de la même source. On peut donc croire qu’on prépare une diversification des sources de financement universitaire. Cela s’appelle la privatisation. Dans un tel contexte, l’UQAM, qui est toujours apparue comme le phare d’une certaine conception du bien public à tous les niveaux, doit être réduite au silence. C’est très exactement ce qu’on est en train de faire.

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