Gestion des déchets radioactifs

No 026 - oct./nov 2008

Gentilly 2 : un futur laboratoire

Gestion des déchets radioactifs

Michel Duguay, Michel Fugère, Pierre Lambert

Des militants du Mouvement vert de Mauricie proposent l’arrêt permanent du réacteur nucléaire Gentilly-2 et la transformation de la centrale en grand laboratoire pour la sécurisation physique et le monitoring des 2 500 tonnes de déchets hautement radioactifs qui y sont logés. Ces activités maintiendraient tous les emplois en nucléaire à Bécancour et permettraient même d’en créer de nouveaux.

Le réacteur Gentilly-2 atteindra la fin de sa période de production électrique en décembre 2010. Pour l’après-2010, Hydro-Québec veut reconstruire le réacteur à un coût estimé de 1,5 milliard de dollars. Mais la situation nucléaire au Canada a changé en 2007-2008. En effet, la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN) a publié de nouvelles normes que doivent respecter les nouveaux réacteurs nucléaires et ceux que l’on veut reconstruire. Ces nouvelles normes sont conformes aux meilleures normes internationales, qui sont cependant très exigeantes de sorte qu’une reconstruction de Gentilly-2 serait beaucoup plus coûteuse que ce que Hydro-Québec avait prévu. Les nouvelles normes s’appliquent également à l’entrepôt de déchets radioactifs, situé à côté du réacteur de Bécancour.

Cette augmentation des coûts, qui risque de s’élever jusqu’à trois milliards ou plus (les coûts de Gentilly-2 avaient quadruplé entre les estimés initiaux et la facture finale), va rendre le kilowatt-heure nucléaire beaucoup plus cher que maintenant. Mais quel est en ce moment le coût du kilowatt-heure nucléaire ? Les données économiques d’Hydro-Québec étant confidentielles, on peut se faire une idée en regardant du côté de l’Ontario, la province qui abrite Énergie Atomique Canada Limitée (EACL), la firme de la Couronne qui construit les réacteurs canadiens de type CANDU.

Le 21 juillet 2008, un groupe de gros consommateurs d’électricité ontariens, l’Association of Major Power Producers in Ontario (AMPCO), a témoigné devant le Ontario Energy Board (OEB), qui règlemente les tarifs d’électricité, et a critiqué la compagnie d’électricité Ontario Power Generation (OPG) qui faisait anciennement partie d’Hydro-Ontario. Selon l’AMPCO, « les réacteurs nucléaires de OPG constituent la deuxième et triste partie du tableau. L’histoire de la partie nucléaire est une tragédie qui est une longue et malheureuse litanie d’échecs technologiques et opérationnels caractérisée par une performance bas de gamme à des coûts exorbitants et en augmentation rapide – coûts qui retombent sur les consommateurs ontariens. Cette situation malheureuse a conduit AMPCO à conclure que la partie nucléaire de OPG est une histoire qui est plutôt un exercice de soins palliatifs envers une technologie CANDU non rentable et sans avenir, et non pas une histoire qui donne l’image d’une branche de compagnie caractérisée et animée par un esprit d’endurance et de renouvellement. »

De plus, le témoignage de l’AMPCO montre que le coût de l’électricité produite à la centrale Pickering A, près de Toronto, a été de 11,2 cents le kilowatt-heure en 2007 (données du Electric Utility Cost Group aux États-Unis). Fina-lement, l’AMPCO concluait que « durant la période 2005-2007, la production d’électricité à Pickering A n’a pas été rentable. Elle a été un drain pour les ressources de OPG, elle a causé des dommages aux consommateurs, et elle soulève des questions sérieuses sur la prudence de poursuivre l’opération de la centrale. »

Comme les dépassements de coûts nucléaires ont souvent doublé et même quadruplé les estimés initiaux, il est prudent de penser que le prix du kilowatt-heure nucléaire après une reconstruction serait de 22 cents ou plus, soit deux fois plus que l’éolien, de sorte qu’investir dans une reconstruction de Gentilly-2 serait un gaspillage de nos précieux milliards.

Avant de pouvoir reconstruire Gentilly-2, Hydro-Québec doit fournir à la CCSN une étude exhaustive de la sûreté nucléaire intitulée Integrated Safety Review (ISR). Au début de 2008 en Ontario, OPG a soumis à la CCSN son ISR afin de pouvoir reconstruire la centrale Pickering B, qui comprend quatre réacteurs. Mais dans une lettre adressée à OPG le 7 avril 2008, Tom Schaubel de la CCSN exprimait le refus ferme de la commission d’approuver le ISR de OPG pour Pickering B. Dans le document CMD 08-H4.10A, le personnel de la CCSN faisait état de nouveaux faits qui ont été découverts depuis l’adoption en 2001 de nouveaux logiciels pour modéliser la physique des neutrons dans les réacteurs de type CANDU. Il ressort de ces « découvertes » que ces réacteurs sont beaucoup plus difficiles à contrôler de façon sécuritaire qu’on ne le croyait auparavant. Dans certaines circonstances, notamment quand un tuyau de pression éclate, une impulsion de puissance excessivement forte peut apparaître et endommager le cœur du réacteur. À la limite, il peut y avoir un déversement important de déchets radioactifs dans l’environnement.

Pour respecter les nouvelles normes, Hydro-Québec devra modifier considérablement le design de Gentilly-2 si elle veut le reconstruire. Hydro-Québec ne possède pas d’expertise dans le design des réacteurs nucléaires. Seule l’EACL possède cette expertise au Canada. Mais on a vu récemment l’EACL abandonner les deux réacteurs MAPLE 1 et 2 à Chalk River, lesquels devaient prendre la relève du réacteur NRU, vieux de 50 ans, pour la fabrication des isotopes radioactifs médicaux. Cet échec de l’AECL, ajouté aux multiples problèmes des réacteurs CANDU en opération (l’Ontario avait mis sept réacteurs en arrêt en 1997), soulève de graves doutes sur la fiabilité et la sûreté des réacteurs conçus par AECL.

Un autre risque provient d’un avertissement donné cette année par l’agence Moody’s de New York. Moody’s a prévenu les compagnies d’électricité états-uniennes que de nouveaux investissements en nucléaire pourraient faire baisser leur cote et leur faire payer des frais d’intérêts plus élevés. Le Québec a une dette de plus de 100 milliards sur laquelle il doit payer chaque année des intérêts.

Regardons le maintien des emplois à Gentilly-2. À la centrale Pickering A qui comprend quatre réacteurs CANDU, la première ronde de reconstruction dans les années 1980 a ajouté seulement sept années de production électrique en moyenne ; dans le meilleur cas un réacteur a connu 10 ans de plus après reconstruction.

Au lieu de reconstruire Gentilly-2, on pourrait transformer la centrale en grand laboratoire de gestion et de monitoring des 2 500 tonnes de déchets radioactifs. Le premier élément nouveau de cette gestion est la sécurisation physique de tout le site, lequel comprend le réacteur, la salle de contrôle et l’entrepôt de déchets radioactifs. Tel que maintenant voulu par la CCSN, le site doit être à l’épreuve des séismes et de l’impact malveillant d’un avion, d’un camion ou d’un bateau chargé d’explosifs. Ces travaux seront considérables. Ils pourraient impliquer l’industrie québécoise du granite, qui est bien développée. Le granite est excellent pour contenir les produits radioactifs et bloquer les rayons gamma intenses et pénétrants. Ces travaux s’étendraient sur une période d’au moins 50 ans, le temps minimum qui sera requis afin de développer un entrepôt pour les déchets radioactifs dans le granite du bouclier canadien.

Le deuxième élément de cette gestion serait la mise en œuvre d’activités plus poussées de monitoring de la radiation non seulement sur le site, mais aussi dans l’environnement provincial de la centrale. Ces activités de monitoring sont en cours sur une grande échelle aux États-Unis afin de déceler à temps des actes terroristes. De plus, des retombées importantes de radioactivité pourraient provenir d’un accident nucléaire en Ontario ou aux États-Unis. Étant donné l’énormité des 2 500 tonnes de produits hautement radioactifs sur place à Bécancour, dans un des plus grands parcs industriels au Québec, ces activités seraient essentielles pour assurer l’intégrité du patrimoine génétique et pour la santé de tous les organismes vivants.

Il est important de noter que la transformation de la centrale Gentilly-2 pourrait bénéficier du fait que celle-ci abrite aussi le réacteur Gentilly-1 mis en marche en 1972 et fermé en 1977. Gentilly-1 a fonctionné seulement 180 jours sur cette période, a eu le temps de voir baisser la radioactivité de façon importante sur les 30 ans écoulés et est donc beaucoup moins radioactif que Gentilly-2. Les travailleurs pourraient donc œuvrer dans deux environnements ayant des niveaux très différents de radioactivité. Le temps de travail permis au début près du réacteur à Gentilly-2 serait environ de 15 minutes ; près de Gentilly-1 ce temps est beaucoup plus long.

Thèmes de recherche Ecologie et environnement, Energie
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