Des tarifs pour subventionner une énergie fossile, décrète la CAQ

18 août 2022

Des tarifs pour subventionner une énergie fossile, décrète la CAQ

Viviana Isaza, Emmanuel Patola

Depuis plus de 40 ans, les scientifiques sonnent l’alarme sur la crise climatique. Récemment, nous avons appris que la Régie de l’énergie accepte que les clients d’Hydro-Québec compensent la perte financière estimée à 400 millions de dollars à son concurrent, Énergir, pour sa contribution à la réduction des gaz à effet de serre.

Actuellement, l’environnement est une question vitale en raison de la fréquence des feux dévastant nos forêts et les vagues de chaleur causant la mort de centaines de personnes. Plus près de nous, au Québec, ce sont des orages violents et des tornades qui privent des milliers de Québécois•es d’électricité.

Nous sommes la génération confrontée à l’urgence climatique : l’urgence d’agir.

Il est donc impératif de comprendre que la transition énergétique, amorcée par la CAQ et présentée comme une solution environnementale, est plutôt une transition économique qui cadenasse le Québec dans le gaz fossile jusqu’en 2050. En effet, la transition énergétique est une transition économique pour Énergir, une compagnie gazière privée, lui assurant le marché de distribution de gaz généreusement subventionné par les clients d’Hydro-Québec.

Quelle est la stratégie politique adoptée par la CAQ pour imposer le financement de cette transition économique aux Québécois•es ?

La politique environnementale PEV 2030

En 2020, la CAQ adopte le Plan pour une économie verte 2030 (PEV 2030) [1] qui est la première politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques. Cette politique a pour but de réduire les gaz à effet de serre de 37,5 % d’ici 2030 en mettant l’accent sur l’électrification de l’économie. Cependant, dans son plan, nous constatons une contradiction entre la priorité d’électrifier notre économie et la mise en place d’un mécanisme augmentant le recours au gaz fossile : la conversion seulement partielle du gaz naturel (énergie fossile) vers l’électricité.

Le Décret 874-2021 : Une union forcée

Au Québec, notre géographie qui est parsemée de centaine de bassins d’eau permet de produire l’hydro-électricité. D’ailleurs, nous sommes fier•ères de cette énergie propre et renouvelable qui est produite, transformée et distribuée par notre expertise québécoise : Hydro-Québec, une entreprise étatique mise en place notamment par René Lévesque, qui appartient à tous ceux et celles qui vivent au Québec.

En plus de l’hydro-électricité, on trouve le réseau de distribution d’énergie de gaz naturel qui est assuré au Québec par l’entreprise Gaz Métro. En 2017, ce dernier est devenu Énergir, une compagnie détenue par des actionnaires privés. Sous le gouvernement caquiste, Énergir est devenue une compagnie entièrement québécoise, détenue complètement par des investisseurs québécois à l’aide de la Caisse de dépôt et placement du Québec.

Alors que l’industrie du gaz tente de verdir son image avec du « gaz naturel renouvelable », présentement, c’est autour de 1 % du mélange de combustibles qui est renouvelable  [2]. D’ailleurs, le Règlement concernant la quantité de gaz naturel renouvelable devant être livrée par un distributeur  [3] exigera que 5 % du mélange de combustibles soit renouvelable d’ici 2030. Énergir, lui, vise 10 % d’ici la même année  [4]. Le reste, 90 % du mélange, restera du gaz qui provient surtout de la fracturation hydraulique, ce qui accélère la crise climatique et nuit à la santé des communautés locales où il est extrait.

Une fois qu’Énergir est devenue une compagnie privée entièrement québécoise, le gouvernement caquiste a déposé le 23 juin 2021 le Décret 874-2021  [5]. Ce décret impose l’union de ces deux distributeurs concurrents, Énergir et Hydro-Québec, pour offrir de façon complémentaire leur énergie. C’est ce qu’on appelle l’offre biénergétique : électricité et gaz fossile. Dans les faits, elle impose la pérennisation des gaz fossiles au Québec jusqu’en 2050.

Taxer les Québécois•es pour prolonger la survie du gaz fossile

En plus de ne pas être une solution environnementale viable, c’est une manœuvre gouvernementale détournée pour faire payer aux Québécois•es une faramineuse subvention à une compagnie privée. En effet, le Décret vise à imposer la compensation des pertes financières du concurrent, Énergir, en refilant la facture aux client•es d’Hydro-Québec. Faire payer aux Québécois•es les factures de cette transition revient à une taxe déguisée.

Là pourrait intervenir la Régie de l’énergie. Il s’agit d’un organisme de régulation économique créé en 1996 dont le mandat est défini à l’article 5 de la Loi sur la Régie de l’énergie  [6] et qui a pour but d’assurer la conciliation entre l’intérêt public, la protection des consommateur•rices, un traitement équitable du transporteur d’électricité et des distributeurs, et finalement, les besoins énergétiques ainsi que le respect des objectifs des politiques énergétiques. Que pense la Régie de l’énergie de cette taxe déguisée ? Qu’importe, la CAQ s’est aussi servie de ce décret pour contourner ce contre-pouvoir.

Une fois le décret déposé, Hydro-Québec et Énergir se sont entendus sur les principes de cette offre biénergie et ont demandé conjointement à la Régie qu’Hydro-Québec compense la perte financière demandée par Énergir d’au moins 400 millions. Cependant, certain•es analystes environnementaux argumentent que cela coûtera jusqu’à 7,2 milliards de dollars au total  [7].

Énergir justifie sa perte financière en avançant qu’elle ne pourra plus fournir ses client•es en gaz naturel comme elle le faisait avant en raison de sa contribution à la réduction à l’émission de gaz à effet de serre (GES). Selon elle, comme la contribution à la réduction des GES est une dépense liée aux activités courantes d’Hydro-Québec, cette perte doit être payée par cette dernière. Or, pour que celle-ci soit imputable aux client•es d’Hydro-Québec, la contribution à la réduction des GES ne doit être ni une activité réglementée par la Régie, ni une dépense liée à un coût de fourniture, ni un coût pour assurer l’exploitation du réseau de distribution de l’électricité.

Ingérence politique dans la Régie

Le 19 mai 2022, la Régie accueille leur demande et justifie sa décision en s’appuyant sur le PEV 2030 et le Décret qui lui ont été imposés en contournant sa propre loi  [8]. L’effet pervers de cette ingérence est que cette décision va à l’encontre du mandat de la Régie, de l’intérêt public : l’urgence d’agir face à la crise climatique.

En plus de donner la responsabilité aux client•es d’Hydro-Québec pour compenser la perte financière d’Énergir, la Régie permet d’inclure dans la notion de client•es actuel•les les bâtiments futurs qui auront le droit d’être connectés au gaz naturel pour bénéficier de la biénergie.

Pourquoi ne pas connecter les nouveaux bâtiments à l’électricité seulement ? Pourquoi payer l’ajout de perte financière de ces nouveaux client•es ? Pourquoi nous enfermer dans le gaz fossile jusqu’en 2050 ? Pourquoi ne pas prioriser la connexion électrique et déterminer les secteurs qui ne peuvent pas être électrifiés ?

Malgré l’ingérence politique de la Régie de l’énergie, il est important de conserver cet organisme, car il dispose d’un mécanisme pour faire réviser ses décisions comme celle qui entérine l’entente survenue entre Hydro-Québec et Énergir. Par conséquent, nous saluons la dissidence du juge Jean-François Émond et les demandes de révisions déposées par les groupes environnementaux, notamment celles du ROÉÉ [9] et du RNCREQ [10], qui dénoncent les impacts financiers et environnementaux et proposent des solutions plus écologiques et moins coûteuses.

L’entente entre Hydro-Québec et Énergir est une action du gouvernement qui a des impacts majeurs sur l’avenir du Québec. Ce n’est pas une solution environnementale. C’est une demi-mesure permettant la pérennisation des gaz fossiles et l’augmentation des GES au Québec jusqu’en 2050.

C’est une transition économique planifiée par la CAQ qui vise à taxer une partie des Québécois•es en catimini pour subventionner une compagnie privée et leur assurer la distribution de gaz. En effet, l’ingérence politique de la CAQ dans la Régie a permis que la perte financière d’Énergir soit assumée entièrement par les client•es d’Hydro-Québec.

La Régie est notre gardienne qui surveille les activités d’Hydro-Québec et celles des distributeurs de gaz. Il faut la préserver et réhabiliter son rôle de régulateur économique tout en renforçant son caractère neutre, non partisan, impartial, transparent et indépendant, cela afin d’éviter ce genre de stratagème politique ou pire, l’imposition de l’abolition de la Régie de l’énergie !


[2Gouvernement du Québec, « Québec encadre la quantité minimale de gaz naturel renouvelable et met en place un comité de suivi », [en ligne], https://www.quebec.ca/nouvelles/actualites/details/quebec-encadre-la-quantite-minimale-de-gaz-naturel-renouvelable-et-met-en-place-un-comite-de-suivi

[3Règlement concernant la quantité de gaz naturel renouvelable devant être livrée par un distributeur chapitre R-6.01, r. 4.3

[4Énergir, « Cap sur 2030, c’est la nouvelle vision d’Énergir pour ses activités de distribution de gaz naturel au Québec », [en ligne], https://www.energir.com/fr/a-propos/lentreprise/qui-sommes-nous/notre-engagement/# : :text=Acc%C3%A9l%C3%A9rer%20l’injection%20de%20gaz,%C3%A0%20l’horizon%20de%202030.

[5Gazette officielle du Québec, « Décret 874-2021, 23 juin 2021 », [en ligne], http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=1&file=75152.pdf 

[6Loi sur la Régie de l’énergie (L.R.Q.,c R-6.01)

[7Patrice Bergeron, « Énergir : l’entente pourrait coûter 7,2 milliards $ à Hydro-Québec », La Presse canadienne, 2022, [en ligne], https://www.ledevoir.com/depeches/710307/energir-l-entente-pourrait-couter-7-2-milliards-a-hydro-quebec

[8Régie de l’énergie, « Demande relative aux mesures de soutien à la décarbonation du chauffage des bâtiments, D-2022-061, R-4169-2021 Phase 1 », 19 mai 2022, [en ligne] http://publicsde.regieenergie.qc.ca/projets/597/DocPrj/R-4169-2021-A-0061-Dec-Dec-2022_05_19.pdf

[9ROÉÉ = Regroupement des organismes environnementaux en énergie

[10RNCREQ = Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec

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