La Charte : Quel débat public ?

No 54 - avril / mai 2014

Société

La Charte : Quel débat public ?

Diane Lamoureux

Depuis le début de l’automne, le gouvernement Marois essaie de faire monter sa cote de popularité en utilisant la Charte que je ne nommerai pas, parce qu’elle est encore susceptible de muer dans son énoncé. Le gouvernement tente également de nous faire croire qu’il mène un vrai débat public sur les enjeux reliés à cette Charte. Jusqu’à présent, il nous a plutôt instruits sur la manière dont on peut noyer un débat.

D’abord, utiliser la rumeur. Le projet de Charte aurait été coulé aux médias en août 2013. On pourrait penser que le ministre responsable du dossier, lui-même ancien journaliste tout comme deux de ses collègues, connaissait les manières d’éviter de tels coulages. Un esprit mal tourné pourrait même penser que le coulage a été orchestré en haut lieu pour permettre de prendre le pouls de la population. Toujours est-il que les rumeurs les plus farfelues ont commencé à se répandre l’été dernier et que le ministre Drainville lui-même a contribué à les alimenter, multipliant les entrevues sur un projet dont il ne pouvait pas vraiment parler puisqu’il faisait l’objet de discussions au Conseil des ministres.

Un miroir aux alouettes

Ensuite, promettre plus que ce qui était offert. On nous a fait miroiter une Charte de la laïcité qui aurait autant d’impact sur la structuration du Québec que la Charte de la langue française ; en lieu et place nous avons eu un projet de Charte des valeurs québécoises. À l’usage, peu de laïcité il y eut ! Il y a en effet lieu de s’étonner d’une compréhension de la laïcité qui s’accommode de la présence d’un crucifix à l’Assemblée nationale et dans la salle de réunion de plusieurs conseils municipaux ; qui ne trouve rien à redire aux subventions publiques aux écoles confessionnelles [1] ; qui continue d’accorder le statut d’organisme de charité à plusieurs églises ou groupes confessionnels, leur permettant ainsi d’échapper à l’impôt (foncier notamment). Alors qu’il existe un certain consensus sur le manque de diversité ethnique de la fonction publique québécoise en regard de la diversité de la population, notre gouvernement a jugé bon de s’en prendre accessoirement aux kippas et aux turbans, mais surtout aux hijabs, niqabs et autres abayas, bref, à certaines femmes musulmanes. Cachez ce sein que je ne saurais voir !

Tout le monde en parle

À ce stade, les individus pouvaient faire part de leur opinion au ministre sans que ces opinions ne soient rendues publiques ou encore analysées publiquement. Peut-on vraiment penser que la juxtaposition de quelques opinions combinée à un soupçon de rencontres régionales constitue un débat public ? D’autant plus que l’arsenal populiste éculé des « intellectuels » contre le « peuple », de Montréal contre le reste du Québec et de « nous » contre « eux » a été mobilisé. Quel grand pas en avant pour le Québec que de voir se déverser des discours racistes en toute impunité, quand ce ne sont pas les insultes ou les agressions physiques à l’encontre de femmes voilées ou les menaces d’inté­gristes religieux vis-à-vis de celles qui refusent le voile ! Qu’il est édifiant de voir un document de consultation gouvernemental préciser le format de l’ostensible ! Ça m’a d’ailleurs rappelé cette religieuse catholique (qui portait l’uniforme de sa congrégation) dirigeant la section classique de mon école secondaire publique et mesurant le nombre de pouces au-dessus des genoux de nos mini-jupes.

Enfin, déposer un projet de loi et entamer des consultations publiques interminables. Non seulement tout un chacune, comme il va de soi dans une démocratie, pouvait y aller de son opinion, mais se voyait même garantir audience devant la commission parlementaire chargée d’examiner ledit projet de loi qui désormais portait sur « la laïcité et la neutralité religieuse de l’État, la promotion de l’égalité entre les hommes et les femmes et l’encadrement des demandes d’accommodements raisonnables  ». Et l’on s’assurait du caractère plus ou moins bien argumenté des opinions émises en imposant un délai très serré pour la soumission des mémoires.

Qui débat ?

Le vivre ensemble collectif repose sur le débat public. Avec cette Charte qui nous présente un ersatz des champs qu’elle est supposée régir, on a aussi droit à un ersatz de débat public. Ce n’est pas à un débat alimenté par une certaine évaluation des faits, c’est à la mise en scène publique des préjugés que nous assistons, sans que ces préjugés puissent être perçus pour ce qu’ils sont et démontés pour laisser place à une véritable confrontation des opinions. Loin de viser le vivre ensemble de toutes les personnes partageant le territoire québécois, le débat autour de la Charte favorise la montée du racisme, de l’intolérance et des intégrismes. Le Parti québécois arrivera peut-être à obtenir un mandat majoritaire avec un tel projet, mais le vivre ensemble des Québécoises et Québécois en subira un accroc difficilement raccommodable.


[1Voir à ce sujet la chronique de Normand Baillargeon dans ce même numéro : « Une laïcité inachevée en éducation », p. 10 (ndlr)

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