Dossier : Résistances autochtones

Idle No More

L’hiver où nous avons dansé

Daniel Chapdelaine

Depuis des centaines d’années, les peuples autochtones protègent leurs territoires, maintiennent et gardent dynamiques leurs langues, leurs traditions et leurs cultures, et tentent d’avoir des rapports justes et équitables avec les Canadien·ne·s. Or, ces efforts passent souvent inaperçus, et sont même ignorés, jusqu’à ce que se produisent l’étincelle, le point de paroxysme ou la crise

L’hiver 2012–2013 a été l’un de ces moments. On s’en souviendra – tout comme on se souvient du maelström de la conclusion des traités, du tourbillon politique provoqué par le mouvement Red Power ou de la mobilisation de 1969-1970 contre le Livre blanc, des mouvements de résistance qui ont eu lieu à Oka, au lac Gustefson, à Ipperwash, à Burnt Church, à Goose Bay, à Kanostaton, et ainsi de suite – comme l’un des moments les plus importants de notre histoire collective. « Idle No More », comme on en est venu à l’appeler, a été un moment décisif ; la concrétisation des efforts passés et leur projection dans l’avenir. La leçon qu’on peut tirer de cette brève mise en contexte est que la majorité des peuples autochtones n’ont jamais été apathiques lorsqu’il s’agissait de protéger ce qui est important pour nos communautés, et nous ne le serons jamais. […]

L’étincelle : le projet de loi C-45

[Idle No More] est le dernier maillon d’une très longue chaîne de résistance. Il a été forgé à la fin de novembre 2012, lorsque quatre femmes de la Saskatchewan ont organisé une assemblée afin d’éduquer les communautés autochtones (et canadiennes) sur les impacts du projet de loi C-45 du gouvernement fédéral canadien [adopté en décembre 2012 sous le nom de Loi de 2012 sur l’emploi et la croissance, ndlr]. Ces 457 pages de mesures législatives, un « omnibus » de nouvelles lois, apportent des changements majeurs à la Loi sur les Indiens, la Loi sur les pêches, la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale et la Loi sur la protection des eaux navigables, entre autres.

Intitulé Idle No More, cet atelier organisé par Sylvia McAdam, Jess Gordon, Nina Wilson et Sheelah Mclean a soulevé diverses préoccupations en lien avec la suppression de certaines mesures de protection de l’environnement (en particulier de l’eau et de l’habitat du poisson), « l’emprunt » inapproprié des territoires des Premières Nations, ainsi que le manque (voire l’absence) de consultation des personnes les plus concernées alors que les traités et les droits autochtones étaient menacés. Avec l’aide des médias sociaux et des activistes autochtones impliqués directement sur le terrain, dans leur communauté, ce rassemblement a inspiré un mouvement d’un bout à l’autre du continent. Des centaines de milliers d’Autochtones, dans les communautés comme dans les centres urbains, ont participé à des ateliers de partage, des manifestations, des blocus et des « round dances  » dans des espa­ces publics et en plein air, dans nos réserves et dans nos espaces sacrés. […]

Avec créativité et passion, le mouvement Idle No More a mis en évidence les dynamiques abusives présentes de longue date entre les gouvernements canadiens successifs et les peuples autochtones. Il a fait la lumière sur des années de malhonnêteté, de racisme et de vol pur et simple. Il a secoué la population canadienne comme jamais auparavant. En quatre mois, Idle No More a dépassé les limites de l’Île de la Tortue [1] pour devenir un mouvement mondial, aux revendications multiples.

Idle No More est, si on l’explique de la façon la plus simple possible, une réponse à l’héritage de colonisation et de violence, historiquement ancré, mais toujours à l’œuvre en Amérique du Nord et à travers le monde. Cet héritage implique le vol de terres ancestrales, la violation de traités et, bien sûr, de nombreux malentendus. Pour toutes ces raisons, il y a encore beaucoup de sujets qui doivent être discutés et réfléchis, et beaucoup d’actions doivent être entreprises afin de réparer les torts causés. En ce sens, Idle No More est une occasion unique, une opportunité pour chacun et chacune d’approfondir sa compréhension des circonstances et des choix qui ont mené à la situation actuelle, et un espace de débat pour trouver des solutions ensemble. Ce mouvement est un moment important pour entamer un dialogue sur comment vivre ensemble, convenablement et pacifiquement, en tant que nations et voisin·e·s.

The Winter We Danced rassemble une bonne partie de l’important travail qui a été accompli et se veut une contribution aux nouvelles trajectoires d’Idle No More et aux mouvements à venir. Ce livre témoigne de ce que le mouvement représente dans notre histoire et pose des questions essentielles sur l’état de la militance autochtone aujourd’hui. Plus important encore, il nous permet de jeter un œil vers notre avenir. Comme lors d’une « round dance », les lectrices et les lecteurs sont invités à réfléchir à ce moment si beau et signi­ficatif, à se remémorer les événements qui sont survenus, à les célébrer ainsi qu’à penser et prendre part à un changement qui soit pour le plus grand bénéfice de tous et toutes. The Winter We Danced aimerait servir à créer un espace ouvert à tou·te·s, et peut être même inspirer d’autres mouvements. […]


[1L’île de la Tortue est le nom que donnent plusieurs Premières Nations à l’Amérique du Nord

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