Loi 21. Entre contestations et normalisation de la discrimination

No 81 - novembre 2019

Société

Loi 21. Entre contestations et normalisation de la discrimination

Bochra Manaï

Au Québec, l’année 2019 a été marquée par le débat et la loi sur les signes religieux dans la fonction publique. En réalité, le sort de cette conversation avait été scellé dès l’élection de la Coalition avenir Québec le 1er octobre 2018, puisque ce parti annonçait déjà que cette loi viserait l’interdiction, pour tou·te·s les enseignant·e·s et certaines catégories d’employé·e·s de l’État, de l’affichage de signes religieux.

Les contestations contre le projet de loi 21 devenu la Loi sur la laïcité de l’État ont rythmé la vie civique des Québécois·es. Entre les manifestations, les chaînes humaines devant les écoles ou celle devant le Palais de Justice de Montréal, les citoyen·ne·s ont utilisé de nombreux moyens de protestation pour se faire entendre. Seule cette effervescence citoyenne, appuyée par les institutions telles que la Ligue des droits et libertés, la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, les syndicats et par des personnalités publiques allant de politicien·ne·s à des universitaires, a semblé correspondre à une pratique démocratique. En effet, le processus de consultation mis en place par le gouvernement a surtout brillé par son manque de représentativité. Toute cette démarche, qui devait permettre d’écouter une multitude de perspectives émanant d’organisations, d’intellectuel·le·s, d’institutions ou de citoyen·ne·s a fait fi des nombreuses voix de la société civile du Québec, parmi lesquelles les groupes religieux ou de défense des droits, qui œuvrent au quotidien avec les premiers et premières concerné·e·s par l’interdiction de travailler.

Par ailleurs, comme prévu par divers acteurs, la loi aussitôt adoptée a été contestée devant les tribunaux. En juin, au lendemain de son adoption, réalisée sous le bâillon et modifiée sans préavis, le Conseil national des musulmans canadiens, l’Association canadienne des libertés civiles et la plaignante Ichrak Nourel Hak, étudiante et future enseignante, ont contesté la Loi sur la laïcité de l’État sur la base de son caractère anticonstitutionnel.

La demande de sursis visait à geler l’exécution de la loi en attendant que la discussion sur la constitutionnalité puisse se faire. Malgré les témoignages de plusieurs personnes touchées, surtout des femmes, le juge Yergeau de la Cour supérieure du Québec a estimé que le préjudice vécu par les plaignant·e·s ne présentait pas d’urgence d’agir. Cette première étape de la bataille juridique a rapidement laissé place à la requête en appel de cette décision. En juillet, après une courte audition des deux parties, la Cour d’appel a ainsi accepté d’entendre la requête des associations et de la demanderesse. Le rendez-vous serait donné durant l’automne pour que la Cour d’appel analyse la demande.

L’action judiciaire étant longue, les contestations et résistances collectives ont pris également d’autres formes. Depuis la rentrée 2019, une campagne intitulée « Non à la loi 21 » a été lancée et implique les mouvements de lutte pour les droits ainsi que des enseignant·e·s concerné·e·s, même s’ils et elles sont « protégé·e·s » par la clause d’antériorité (ou clause « grand-père ») incluse dans la loi.

En réalité, l’adoption de la Loi sur la laïcité de l’État, qui s’annonçait peu claire, difficilement exécutable et qui laissait présager une division des milieux scolaires, a fait émerger plusieurs cas graves. Entre les parents d’élèves qui estimaient avoir le droit de demander de changer d’enseignant·e·s et les professeur·e·s embauché·e·s avant la Loi recevant des lettres de mise à pied s’ils et elles ne retiraient pas leurs signes religieux, il serait devenu légitime d’interpréter la loi et de l’appliquer selon sa propre compréhension ou perception.

Cette rentrée 2019 semble entériner des pratiques discriminatoires, laissant des enseignantes qualifiées de côté, dans un contexte où les commissions scolaires connaissent une pénurie de main-d’œuvre.

Au Québec, en 2019, sous le gouvernement de la CAQ, tout se passe comme si la discrimination des un·e·s était devenue légitime. Comme une société intériorise souvent les discriminations par leur institutionnalisation, il est fort à parier que les voies de résistances et de contestations devront durer jusqu’à ce que la loi soit revisitée dans quelques années pour déterminer s’il est encore nécessaire de dévier des chartes.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème