Nos corps sont toujours un champ de bataille

No 36 - oct. / nov. 2010

Féminisme

Nos corps sont toujours un champ de bataille

Les stratégies anti-choix du gouvernement Harper

Ainsley Jenicek

Le récent sommet du G8 a servi de plateforme de diffusion internationale pour les politiques anti-choix du gouvernement Harper, fouettant du même coup les ardeurs des groupes qui les appuient au Canada. Cette attaque sur deux fronts s’inspire principalement du mouvement anti-choix aux États-Unis. Elle nous permet d’entrevoir les conséquences possibles d’une reprise de l’appro­che états-unienne au nord du 49e parallèle.

Le front international  : le cas du G8

En janvier dernier, le premier ministre Stephen Harper a annoncé qu’il allait accorder la priorité à la santé maternelle et infantile lors de sa présidence du G8. Mais entre les mois de janvier et de mars 2010, des députés conservateurs ont précisé que cela n’inclurait pas l’accès à l’avortement, à la contraception ni à des services de planification des naissances au sens large.

Après la réaction négative suscitée par ces propos – notamment au sein de groupes canadiens, de plusieurs ONG et chez la secrétaire d’État américaine, Hillary Clinton, le gouvernement Harper a révisé son approche. Le 26 avril dernier, la ministre de la Coopération internationale, Bev Oda, a affirmé que «  [l]a contribution du Canada à la santé maternelle et à la santé des enfants implique plusieurs interventions, dont le planning familial qui inclut l’utilisation des méthodes contraceptives [...] Néanmoins, la contribution du Canada n’inclura pas le financement de l’avortement.  » Malgré les nuances, il s’agissait d’une réaffirmation ferme d’une opposition à l’avortement.

Plusieurs organismes canadiens et internationaux ont conseillé au Canada de ne pas imposer de telles restrictions de financement aux pays en développement, affirmant que cela viendrait affaiblir l’initiative en faveur de la santé maternelle et infantile dans son ensemble. Même l’Agence canadienne de développement international (ACDI), un organisme gouvernemental, a recommandé le financement d’une offre complète de services de planification familiale, ainsi que des «  services d’avortement sécuritaire (lorsque l’avortement est légal) ». Peine perdue : le gouvernement Harper a maintenu son approche anti-choix.

Pourtant, l’adoption d’une telle stratégie ne réduit en rien le nombre d’avortements pratiqués dans le monde. À preuve, la Règle du bâillon mondial de l’ancien président George W. Bush, qui obligeait les cliniques fournissant une gamme complète de services de santé reproductive de réduire leur offre, ou carrément de fermer. Ne diminuant en rien le nombre de grossesses non désirées, cette politique a plutôt contraint les femmes à des options non sécuritaires, les privant du même coup de leur autonomie corporelle.

Fait encore plus inquiétant, cette politique a été accompagnée d’une série de mesures intérieures allant à l’encontre des droits reproductifs des femmes. Cela est allé des coupes dans les programmes de planification des naissances pour les femmes défavorisées à la nomination de juges anti-choix à la Cour suprême, en passant par le renforcement d’une fausse opposition entre la femme et son foetus, en reconnaissant à ce dernier des droits indépendants.

Le front intérieur  : menaces aux droits des femmes et intensification du mouvement anti-choix

Le Canada n’est pas à l’abri d’attaques semblables sur son territoire. Moins de deux semaines avant l’annonce du gouvernement canadien au sujet du financement des avortements outremer, le député conservateur Rod Bruinooge a déposé un projet de loi (C-510) visant à criminaliser le fait de «  contraindre  » une femme à avorter. Président du Caucus pro-vie du parlement fédéral, M. Bruinooge a même déclaré ouvertement que son projet de loi était un premier pas dans la lutte pour la recriminalisation de l’avortement. Le projet de loi fera par ailleurs l’objet d’une deuxième lecture en Chambre cet automne, et comme les projets de loi des députés sont soumis au vote libre, il n’y aura pas de ligne de parti et les élus pourront voter selon leurs propres convictions [1].

En vue du G8, la sénatrice conservatrice féministe Nancy Ruth, qui siège au Caucus du parti, a même conseillé aux groupes pro-choix de se taire au sujet de l’avortement pendant le sommet, de peur que le gouvernement ne réplique en faisant reculer le droit et l’accès à l’avortement au Canada. Peu après, 12 organismes œuvrant pour la défense des droits des femmes sur le plan international et au Canada ont perdu leur subvention fédérale. Ce n’était pas la première fois que le gouvernement conservateur utilisait cette stratégie pour intimider les voix critiques et affaiblir l’infrastructure féministe  : il avait déjà aboli le financement fédéral de nombreux groupes de femmes en 2008.

Toutes ces décisions à l’encontre des droits reproductifs ont enhardi le mouvement anti-choix canadien. Mgr Marc Ouellet, ancien archevêque de Québec, a même avoué que c’était à cause de cette ouverture au niveau fédéral qu’il avait pris la liberté de réitérer son opposition à l’avortement en toute circonstance, même en cas de viol.

Des leçons à tirer

L’actualité récente montre à quel point les enjeux internationaux sont intimement liés aux politiques intérieures. Entre 19 et 20 millions de femmes dans le monde ont recours à un avortement non sécuritaire chaque année. Nous devons rester solidaires de leurs luttes en faveur des droits reproductifs, telles que définies par elles, et nous opposer au vol de leur pouvoir d’autodétermination corporelle par notre gouvernement. Sans compter que c’est la survie de ces femmes qui est en jeu : 13 % des décès maternels sont la conséquence d’un avortement non sécuritaire.

Il faudrait également tirer des leçons des années Bush et anticiper les prochains coups des anti-choix au Canada, au lieu de tenir pour acquis le droit à l’avortement alors que l’accès aux services de santé reproductifs n’est même pas une réalité pour tous au pays. Les opposants à l’avortement, eux, s’organisent déjà...


[1Presque la moitié des députés siégeant au Parlement depuis l’élection de 2008 sont anti-choix. Pour plus d’information, consulter la «   List of Anti-choice MPs After October 2008 Election » de la Coalition pour le droit à l’avortement au Canada  :
www.arcc-cdac.ca/action/list-antichoice-mps-nov08.html.

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