Présentation du dossier du no. 36
Violence et politique
Il y a 40 ans, le gouvernement Trudeau décrétait la Loi des mesures de guerre, en temps de paix, invoquant l’insurrection « appréhendée » d’une population refusant pourtant massivement les méthodes insurrectionnelles des felquistes ; il y a 20 ans, l’armée débarquait à Oka pour démanteler des barricades de Mohawks voulant empêcher la construction d’un terrain de golf sur un cimetière ancestral et dans une des rares forêts centenaires de la région ; il y a quelques mois, les forces de « l’ordre » procédaient dans l’arbitraire le plus total à la plus grande arrestation de masse de l’histoire du Canada pour une nouvelle menace « appréhendée », provenant d’une population qui ne commettait aucun autre crime que celui d’exercer le droit de manifester.
Démesures d’exception
Ces quelques exemples emblématiques d’un usage démesuré de la force contre des menaces imaginaires ne sont malheureusement pas exceptionnels et encore moins propres au Québec. Pratiquement toutes les avancées de ce qui deviendra postérieurement des droits se sont d’abord soldées par des massacres, des arrestations massives ou l’interdiction des partis ou des mouvements qui les soutenaient. Pensons, simplement, au droit de syndicalisation et à la journée de 8 heures qui ont connu une lutte pluriséculaire, comportant son lot de sanglantes répressions, avant de devenir des droits internationalement reconnus (bien que pas toujours respectés).
Dissidence, sédition et répression
Bien que les actions violentes et illégales posées par les felquistes il y a 40 ans semblaient justifier des mesures d’exception, leur application de manière indiscriminée à quiconque avait un profil gauchisant a fourni certains indices sur la nature de la « menace » qui était combattue : celle-ci venait moins de quelques dizaines d’extrémistes que du mouvement indépendantiste (syndical, communautaire, socialiste, etc.) dans son ensemble. De même que quelques graffitis, vitrines cassées et voitures de police incendiées (« négligemment » laissées sur place sans surveillance), ne peuvent justifier l’arrestation massive de près d’un millier de citoyens manifestant pacifiquement. Pas plus que n’était justifié le déploiement de la Sûreté du Québec contre des Mohawks manifestant leur légitime opposition à un ignoble projet.
Dans tous les cas, l’illégalité de certains actes ne suffit pas à justifier les mobiles qui se manifestent dans la démesure répressive, raflant sur son passage toute forme de dissidence. Dans les deux premiers cas (Octobre 70 et Oka), on peut toujours argumenter que l’État ne faisait que réagir devant la menace à l’une de ses prérogatives de base (le monopole de la violence légitime) par des groupes armés politiquement organisés. Par contre, dans le troisième cas (celui des pseudos émeutes de Toronto), c’est moins la « violence » que la « légitimité » de l’État qui est mise en jeu – non seulement celle de l’État canadien mais également celle des États du G8 ou du G20 – à gouverner l’humanité entière.
Violences légitime, structurelle et symbolique
En fait, c’est toujours la légitimité qui est au cœur des situations exceptionnelles. La violence politiquement organisée n’est qu’un des moyens permettant à un groupe de devenir « immédiatement » un acteur politique (antagoniste, contre-hégémonique) central. C’est aussi le plus superficiel – puisqu’il fétichise la violence – et le plus risqué – puisqu’il « justifie » d’autant plus aisément l’usage « légitime » de la violence étatique.
Beaucoup plus profondes et pérennes sont les actions qui dévoilent et combattent la violence structurelle d’un système économique mondial qui carbure à l’exclusion et à l’exploitation (de l’humain autant que de la nature) ou qui s’attaquent aux violences symboliques – aux effets bien réels – de la discrimination, du sexisme, du racisme, de la haine de classe, etc.
La violence exercée par l’État contre ce type de luttes, pourtant « pacifistes » (ou du moins non armées), est à la mesure de la « menace » que représente l’organisation autonome de la société sur d’autres bases que celles du statu quo (et souvent en opposition à celui-ci). Pour que la violence étatique exercée contre ses propres citoyens paraisse légitime, il est nécessaire de les accuser d’être violents. C’est ainsi qu’on peut obtenir l’approbation des deux tiers des Canadiens pour des actes répressifs violant la Constitution autant que la Charte des droits, comme dans les trois cas mentionnés.
Ainsi, entre violence et politique se tissent des liens interconstitutifs qui font en sorte que l’analyse de l’un nous conduit à l’élucidation de l’autre. C’est ce que nous tenterons de faire dans les pages qui suivent à la lumière des cas des plus patents de violence politique au Québec comme ailleurs dans le monde.