Travailleuses et travailleurs : dans la rue le 1er mai !

No 59 - avril / mai 2015

Travailleuses et travailleurs : dans la rue le 1er mai !

Nicolas Beaudoin, Catherine Ladouceur, Steve Mckay

Nous publions une lettre ouverte signée par plus de 160 enseignant.e.s du niveau collégial. La liste complète des signataires peut être consultée ici.

La grève sociale est nécessaire. Nécessaire parce que les politiques d’austérité néolibérales du gouvernement Couillard s’attaquent à nos conditions de travail et qu’elles le font dans le cadre d’un projet politique bien plus large qui menace, sans débat préalable, les valeurs au cœur de nos institutions. On s’attaque ainsi à la propriété collective de nos biens publics essentiels (santé, éducation, services de garde, ressources), au principe de solidarité dans le financement de ces biens publics, à nos structures de concertation, à nos espaces démocratiques. Chaque semaine qui passe, ce sont des services de premières lignes qui sont amputés ou qui disparaissent carrément. Ce sont les régions du Québec qui perdent des ressources de développement précieuses. Ce sont des institutions d’enseignement qui se trouvent sous-financées et incapables d’accomplir correctement leur mission éducative. C’est la défense de l’environnement et la promotion de la culture qui passent à la trappe. Et comme toujours, ce sont les plus vulnérables parmi nous qui pâtissent le plus de ces politiques. Bref, c’est une attaque au monde même en tant que monde commun.

C’est dans un tel contexte que la grève sociale est pensable, légitime et nécessaire. Puisque c’est une idée de la société qui est attaquée, le débat doit être porté sur ce plan, et la grève sociale ouvre cet espace. Déjà, les étudiant-es nous ont ouvert la voie, courageusement. Ils emboitent le pas de nombreux groupes sociaux et communautaires qui préparent de longue haleine une journée de mobilisation nationale le 1er mai dont l’objectif sera de marquer sans équivoque l’opposition aux politiques d’austérité. Puis, le même mouvement s’amorce chez des syndicats du secteur public. Certains ont déjà dit oui à la grève sociale ; plusieurs décideront, dans les prochains jours, s’ils se joignent au mouvement.

Il va sans dire que les récentes déclarations faites par certains représentants syndicaux, notamment Jacques Létourneau, président de la CSN, ébranlent les certitudes. D’aucuns voudraient « plus de temps », un « repli stratégique », un front social « le plus large possible », « laisser la chance à la négociation ». D’autres souhaitent « clarifier le but », ou seulement « suivre le train » des employé.e.s du secteur public qui risquent d’être dans la rue à l’automne. Que penser de ces arguments ?

D’abord, ici, le temps (chronos) ne nous appartient pas, d’autant qu’il n’existe pas de moment parfait : tous ont leurs contraintes. Nous ne pouvons espérer avoir la maîtrise totale sur le moment ou sur la « planification » d’une grève sociale, car dans l’horizon du politique, c’est le temps opportun, l’occasion (kairos), qu’il nous faut saisir. À cet égard, en sortant les premiers, les étudiant.e.s ont créé une brèche. En déclenchant une grève contre l’austérité, ils ont ouvert un espace politique dans lequel l’ensemble de la collectivité peut s’inscrire, et qu’il nous faut maintenant occuper. Comme travailleuses et travailleurs, nous devons nous unir dès maintenant avec les autres acteurs progressistes du Québec et poser un geste concret qui indique le niveau de notre détermination. En participant à une grève sociale contre l’austérité le 1er mai, nous montrons que nous ne reculerons pas, même devant les pires menaces.

Bien sûr, il est illusoire de penser défaire le projet néolibéral en un seul printemps. L’automne sera aussi un moment fort de la lutte contre l’austérité. Ce sera l’occasion pour les syndicats de revendiquer une convention collective juste et équitable, conditions essentielles à des services publics de qualité. Parce que combattre l’austérité, c’est aussi se battre pour nos conditions de travail. Mais pour les syndicats, combattre l’austérité ne peut pas et ne doit pas se borner à revendiquer une convention collective. Si nos actions se limitent à l’obtention de gains pour nos membres, ne soyons pas surpris d’être taxés de « corporatistes ». Alors, plutôt qu’attendre le « grand soir », ne devons-nous pas dès maintenant mettre l’épaule à la roue pour créer une vague de fond qui ne s’arrêtera pas ? Et peut-être est-il nécessaire, pour cela, de sortir du paradigme de la négociation qui nous paralyse et nous isole les uns des autres ? Cesser enfin de consentir à notre propre servitude dans une attente complice ?

C’est pourquoi la grève du 1er mai a, avant toute chose, valeur de symbole. L’important, ici, ce n’est pas tant la quantité de personnes qui seront dans la rue le 1er mai, que le saut qualitatif que nous faisons par le simple fait d’oser ce possible, ouvrant la voie à la suite. Car si nous espérons, un jour, en arriver à un vaste mouvement social, il nous faut faire les premiers pas dès maintenant, ce qui implique de construire des alliances et de créer des liens de confiance entre nous. Et pour cela, il faut accepter, nous aussi, de prendre des risques, comme lorsque nous avons su gagner nos droits, le plus souvent après de chaudes luttes.

Les syndicats ont ici une occasion historique à saisir et une responsabilité à assumer. Veulent-ils demeurer des machines à négocier des conventions collectives, ou redevenir ce qu’ils ont déjà été, soit des outils de transformation sociale ? Or, nous avons la possibilité, cette année, de nous appuyer sur le droit pour améliorer le droit. De récents jugements de la Cour suprême du Canada nous autorisent à penser que nous pourrions défendre en cour la légitimité d’une grève sociale. Si cela s’avérait, le 1er mai ouvrirait l’espace de la démocratisation de la société, dans un contexte où la société et la démocratie sont menacées.

Il est bien fini le temps où l’État se faisait l’arbitre des intérêts des corps sociaux constitués. Désormais, l’État a changé de rôle, il a choisi son camp. Prié de « s’adapter aux besoins » de la grande entreprise, il devient la succursale où la richesse collective transite pour être convertie en profits privés, laissant derrière des territoires désolés et des communautés déstructurées. Ne laissons pas faire. Nous savons où aller. Trouvons les moyens appropriés à notre époque, et réapprenons à marcher. Le 1er mai, nous serons dans la rue !

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