Répression politique 101

No 65 - été 2016

Débat politique

Répression politique 101

Yvan Perrier

Pinochet, Suharto, crise d’Octobre, Printemps érable... La répression politique est souvent convoquée pour nommer des faits et réalités très divers, tant en degrés qu’en pratiques. Qu’en est-il vraiment ? Qu’est-ce que la répression politique ?

Le dictionnaire Le Petit Robert nous apprend que le verbe « réprimer » (dont la répression est l’action), c’est « empêcher (une chose jugée condamnable ou dangereuse pour la société) de se mani­fester, de se développer ». Réprimer consiste donc à poser une action qui va contraindre une personne à s’abstenir d’agir comme elle l’entend.

Le mot « politique » est un peu plus difficile à délimiter parce qu’il peut s’agir de plusieurs choses différentes, notamment si l’on parle de la politique ou du politique.

Ordre et désordre

La politique fait référence à cet espace social où divers acteurs rivalisent et se font concurrence en vue d’influencer (à travers des manifestations ponctuelles) ou de conquérir le pouvoir politique de manière légale (dans le cadre d’une campagne électorale) ou illégale (par un coup d’État ou une révolution). Le politique, pour sa part, est une notion qui renvoie au pouvoir étatique compris au sens de ce grand ordonnateur, c’est-à-dire celui qui met en ordre la société.

La politique est donc une activité qui met en présence des hommes et des femmes qui ont des objec­tifs à atteindre et qui font des pressions et des représentations auprès du gouvernement en place. La politique réfère également aux activités des hommes et des femmes qui luttent en vue de conquérir le pouvoir.

La politique est ce lieu hautement animé où se déploient les passions. Il s’agit d’un espace social où se crée du désordre. Le politique se spécialise dans la production de l’ordre. Il vise à contenir le désordre et à imposer une cohésion à la société. Les moyens qu’il a à sa disposition pour faire triompher l’ordre sont considérables. Il n’a rien de moins que « le monopole de la violence légitime », pour reprendre la célèbre formule du sociologue Max Weber.

L’État – c’est-à-dire le pouvoir politique (soit l’union des pouvoirs exécutif [le gouvernement] et législatif [l’ensemble des élu·e·s]) et le pouvoir judi­ciaire – est exercé par des personnes qui sont les seules à avoir la possibilité d’adopter (d’interpréter, dans le cas des tribunaux) des lois et de recourir éventuellement à la force ou à la coercition pour les appliquer. L’État dispose d’une très grande capacité d’action et de contrainte sur ses ressortissant·e·s. Il s’arroge, de temps à autre, le droit de se servir impu­nément de la force quand, selon lui, les circonstances le justifient.

Machiavel a démontré que le jeu politique est un lieu où la raison occupe peu de place. Il s’agit plutôt d’un espace social qui se structure autour de la passion de dominer, de gouverner et de se venger. C’est à travers l’image du lion (la force) et du renard (la ruse) qu’il illustre le rôle de l’homme d’État. S’il est vrai que la manière de combattre par la force est propre aux bêtes, la manière de combattre par les lois, qui est propre aux hommes, souvent ne suffit pas, selon Machiavel. Celui-ci dit, dans Le Prince, qu’on « peut combattre de deux manières : ou avec des lois, ou avec la force. La première est propre à l’homme, la seconde est celle des bêtes ; mais comme souvent celle-là ne suffit point, on est obligé de recourir à l’autre : il faut donc qu’un prince sache agir à propos, et en bête et en homme.  » Et voilà pourquoi l’État se réserve le monopole de la violence dite légitime.

L’apanage du pouvoir

Revenons à l’expression « répression politique » : il s’agit d’une action qui vise à punir sévèrement une personne ou un groupe de personnes qui, aux yeux des autorités étatiques, veulent poser, posent ou ont posé un geste qui s’apparente au désordre social. Il s’agit donc de l’exercice de contraintes graves, voire de violences excessives. C’est ainsi que des dirigeant·e·s entendent éliminer les voix de l’opposition et de la dissidence trop dérangeantes.

La répression politique fait mal parce qu’elle consiste en l’oppression (c’est-à-dire soumettre une personne à une autorité excessive et injuste) ou la persécution (imposer à une personne un traitement injuste et cruel de manière acharnée) d’un individu ou d’un groupe de personnes (organisées ou non) pour des motifs politiques. Cette répression vise à restreindre ou empêcher la participation de cet indi­vidu ou de ces groupes à la vie politique de la société. La répression politique se manifeste à travers des gestes comme la discrimination politique, la violence policière, l’emprisonnement, la déportation, la suppression des droits et libertés constitutionnels, etc. Elle s’accompagne d’actions violentes comme le meurtre, la torture, la disparition et ainsi de suite. Quand cette répression politique est organisée en haut lieu et sanctionnée par les instances étatiques, on peut parler de « terrorisme étatique ».

La répression politique n’est pas réservée exclusivement aux dictatures ou aux États totalitaires. Elle est bien présente dans tous les types de régimes poli­tiques, y compris au sein des régimes démo­cratiques. Moins brutale et ostentatoire, elle ne fait pas moins partie de l’arsenal qu’a à sa disposition le pouvoir lorsqu’il se sent attaqué ou menacé.

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