Dossier : Gaspésie - Forces vives

Développement régional

Quelle place pour les femmes ?

Dossier : Gaspésie - Forces vives

Mireille Chartrand

Au cours des dix dernières années, la région Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine a été un terreau fertile en matière de développement, notamment pour la condition féminine. Des ententes de collaboration ont été développées entre les divers acteurs de la région, préoccupés par l’avancement de l’égalité femmes-hommes et de l’amélioration des conditions de vie des femmes, sur le plan autant économique que social.

Les actions telles que la publication d’un recueil de données ventilées selon les sexes, le développement d’un plan d’action communautaire en pauvreté, la réalisation d’activités permettant aux femmes de s’impliquer en politique ou encore pour favoriser la diversification professionnelle de celles-ci ont permis des avancées significatives. Notamment l’augmentation du nombre de femmes élues sur les conseils municipaux, l’augmentation du nombre d’inscriptions de femmes dans les formations à prédominance masculine et l’appropriation par plusieurs intervenant·e·s en développement social du processus de l’analyse différenciée selon les sexes et de son utilisation dans l’élaboration de leurs actions.

Cependant, sur le plan de la capacité d’intégration au marché du travail et de la diversification professionnelle en emploi, force est de constater que la situation des femmes de la région a très peu évolué et qu’elles se voient encore cantonnées dans peu de secteurs : la ségrégation professionnelle est plus forte dans la région que dans l’ensemble du Québec. La discrimination systémique agit fortement en région et il ne suffit pas de dire aux femmes, comme l’a fait la ministre Thériault, « Tu veux prendre ta place ? Let’s go, vas-y ! », pour qu’elles réussissent à s’accomplir selon leurs souhaits et aspirations.

Il existe plusieurs raisons à cet état de fait et l’une d’elles est liée à la structure de l’économie régionale, qui repose notamment sur l’exploitation et la première transformation des ressources naturelles, en particulier la forêt et la pêche, secteurs d’activité où les femmes sont moins présentes. On constate en effet qu’une part du développement économique régional s’oriente vers l’industrie d’extraction des matières premières et que les créneaux d’excellence (là où l’économie de la Gaspésie se démar­que de façon compétitive) mis de l’avant sont aussi en lien avec les ressources naturelles (sciences et technologies marines, récréotourisme et énergie éolienne). Ces filières représentent enco­re des secteurs où les femmes sont très peu présentes. Les femmes sont plutôt majoritairement dans l’industrie des services, y représentant une part de 89,2 % de la main-d’œuvre.

Une importante interrogation

De ce constat, une question émerge : les femmes doivent-elles s’intégrer aux secteurs de développement économique régional afin d’accéder à des emplois mieux rémunérés ou devrait-on revoir notre modèle de développement afin qu’il permette d’y inclure toute la population ? Pour l’instant, si aucun effort particulier n’est fait pour permettre d’améliorer l’intégration au marché du travail des femmes, marché rappelons-le, fortement orienté dans des secteurs où elles sont largement absentes, il semble peu probable que la situation change… C’est dire que la ségrégation professionnelle demeu­rera et que les femmes continueront de gagner des revenus moindres que les hommes.

Les emplois issus de la construction et de l’opération de la cimenterie McInnis, par exemple, sont des emplois majoritairement masculins. Bien sûr, cette industrie permettra aussi la création de nouveaux emplois indirects dans les commerces de la région, mais cela ne permettra pas de contrer la ségré­gation professionnelle et d’améliorer l’autonomie économique des femmes.

Puisque notre développement régional est basé en grande partie sur les ressources naturelles dont nous disposons, la réponse à la question posée plus haut pourrait s’énoncer ainsi : nous devrons à la fois intégrer les femmes aux secteurs de développement régional, mais nous devrons également adapter le modèle de développement afin qu’il puisse faire une plus grande place aux secteurs dans lesquels les femmes sont déjà présentes. Les secteurs agroalimentaires et du récréotourisme, par exemple, sont des secteurs potentiellement inclusifs : environ 25 % des exploitant·e·s agricoles sont des femmes.

En même temps, dans le contexte actuel, il est très difficile de voir comment les choses s’amélioreront puisque le présent gouvernement, par ses mesures d’austérité, contribue à maintenir les inégalités de genre. Les femmes ne profitent pas des mesures de relance économique comme le plan Nord, les investissements dans les infrastructures et l’investissement dans l’industrie de l’extraction. Et elles écopent des compressions budgétaires puisqu’elles se font dans les secteurs où elles travaillent. Si l’on veut que les inégalités économiques entre les femmes et les hommes s’atténuent, il faudra que tous ensemble nous travaillions à ce que celles-ci et ceux-ci puissent être inclus équitablement dans le développement de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine.

En mai 2015, la Table des groupes de femmes a lancé son manifeste « En Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine, nous serons sur votre route » visant à exprimer au gouvernement son profond désaccord avec le modèle de développement axé sur le démantèlement de l’État, la privatisation des services et des biens publics et l’industrie d’extraction des matières premières. Les mesures d’austérité déployées depuis deux ans ont des impacts sur l’ensemble de la population, mais particulièrement sur les femmes et les régions. Pour lire le manifeste : http://www.femmesgim.qc.ca/manifeste

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème