Dossier : Gaspésie - Forces vives

L’action communautaire en Gaspésie

Une présence incontournable

Dossier : Gaspésie - Forces vives

Patricia Chartier

Il en va des organismes communautaires en Gaspésie comme du chapelet de villages qui longent les centaines de kilomètres de côtes de notre vaste région : ils sont nombreux, plus de cent, et ils ont chacun leurs couleurs, leurs accents, leurs défis, leur succès. Leur grand nombre démontre la vitalité des communautés, la culture d’entraide typique de la région.

Ces organismes communautaires contribuent grandement à la solidarité, entre autres grâce à la proximité qu’ils créent, aux milieux de vie qu’ils animent, à la prévention et l’accompagnement qu’ils effectuent, dans toutes les sphères d’activités : loisirs, santé, éducation, culture, environnement, famille, etc. Le milieu communautaire aide à développer une certaine cohésion sociale autour d’enjeux importants, de par leurs pratiques citoyennes et démocratiques. À l’écoute des milliers de personnes qui les fréquentent, ces organismes jouent souvent le rôle d’éclaireur des besoins et des tendances à venir, des potentialités et des obstacles qui se trouvent sur le chemin de l’égalité et de la justice sociale.

Il va sans dire que l’importance des organismes communautaires fait l’unanimité pour les différents acteurs sociaux qui peuplent la région. Une grande partie de la population y a souvent été impliquée directement ou indirectement. On compte par milliers les gens rejoints par ces organismes, souvent implantés depuis des dizaines années. Que ce soit par leur implication même (au sein des conseils d’administration d’organismes, dans des comités, activités ponctuelles, telles des collectes de fonds pour les personnes atteintes de cancer ou d’Alzheimer, actions de revendications et de mobilisation) ou qu’ils aient été desservis par des services rendus par ces organismes (popotes roulantes, ateliers pour enfants ou d’alphabétisation, aide aux devoirs, dépan­nage alimentaire), les citoyennes et citoyens ont appris à apprécier ces organismes et ont souvent développé un fort sentiment d’appartenance envers ces groupes, qui touchent toutes les catégories de population, de la femme enceinte à la personne en fin de vie.

Aussi, même s’ils ne peuvent compenser les conditions socioéconomiques difficiles, les organismes communautaires atténuent assurément les traumatismes des personnes vulnérables, qui autre­ment seraient laissées sans ressources : victi­mes d’agressions sexuelles ou de violence conjugale, toxicomanes, personnes en crise, sans emploi ou en situation d’itinérance.

Sous-traitant de l’État

Au-delà du filet social qu’ils contribuent à préserver, ces organismes participent aussi de la vitalité des communautés et démontrent beaucoup de débrouillardise et de créativité. Ils sont souvent le terreau de projets innovants : coop de services, peti­tes entreprises d’économie sociale, etc. De plus, ils ont un rôle économique important, étant créateurs de centaines d’emplois, entre autres pour la relève qui y est de plus en plus présente.

Toutefois, la reconnaissance dont ils bénéficient ne s’accompagne pas du financement suffisant. Le ministère de la Santé, grand bailleur de fonds de la majorité de ces organismes, n’accorde qu’une mince indexation des subventions depuis belle luret­te et tend à changer les règles de financement, considérant de plus en plus ces organismes comme des sous-traitants privés pour les services dont l’État se déleste. Pourtant officiellement reconnus depuis le début des années 2000 par une politique ministérielle comme des lieux d’implication citoyen­nes et de prévention en santé, plusieurs groupes éprouvent de la difficulté à réaliser la mission pour laquelle ils ont été fondés et dont les participant·e·s sont les premiers porteurs.

Bien qu’ils soient financés également par la communauté elle-même, par des fondations et autres types d’autofinancement, l’avenir est sombre pour plusieurs d’entre eux. Ces organismes réussiront-il à poursuivre leur rôle de prévention et d’éducation citoyenne au cours des prochaines années ou seront-ils happés par les besoins du système de santé en crise ? Pour les intervenant·e·s sur le terrain, les demandes de gens vulnérables deviennent une pression parfois difficile à supporter.

Car il ne faut pas s’y tromper, actuellement, les organismes redonnent la dignité perdue à des personnes laissées pour compte par les services publics « en décomposition », par une économie en crise, par l’appauvrissement constaté dans l’économie régio­nale, particulièrement depuis les attaques en règle aux instances de concertation régionale. Les centaines d’emplois coupés dans les CLSC, CH, CHSLD, Agence de santé, CRÉ, CLD s’ajoutent aux autres pertes d’emplois que subit la région depuis plusieurs années. Ce sont les instances où les citoyen·ne·s qui peuvent s’impliquer et influencer les décisions les concernant qui disparaissent lentement mais sûrement : conseils d’administration des défuntes régies de la santé et CRCD, commissions scolaires, caisses populaires Desjardins et tant d’autres.

Les décisions de plus en plus centralisées, les inter­ventions comme celle récente du Conseil du patronat – à l’effet qu’il faudrait déménager les « ressources humaines » là où il y a des emplois – rappellent aux Gaspésiens de désolants épisodes du passé, qui ont classé les régions rurales comme des zones sans avenir. L’ère Harper a aussi affecté les petit·e·s salarié·e·s, chômeurs·euses, petites muni­cipalités.

Dans ce contexte de morosité économique et démocratique, les organismes communautaires prennent toute leur importance. Les citoyen·ne·s n’ont toutefois pas fini de se battre pour préserver leur vitalité essentielle à la Gaspésie.

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