L’optimisme gouvernemental

No 65 - été 2016

Le travail au Québec en 2016

L’optimisme gouvernemental

Léa Fontaine

À en croire un document du gouvernement québécois, tout va bien en matière de travail au Québec cette année ! Voyez le document ci-contre. Regardons-y de plus près et vérifions si l’enthousiasme du gouvernement est justifié…

Équité salariale

Le principe de l’équité salariale va plus loin que le principe de l’égalité salariale (un salaire égal pour un travail égal), puisqu’il exige un « salaire égal pour un travail différent, mais équivalent  [1] ». Cette équité salariale a été remise au goût du jour et se rapporte au « droit des personnes qui occupent un emploi à prédominance féminine [soit un emploi traditionnellement ou majoritairement féminin] de recevoir une rémunération égale à celle obtenue par les personnes qui occupent un emploi à prédominance masculine […] équivalent », c’est-à-dire de même valeur. Dans les faits, la Loi sur l’équité salariale « a pour objet de corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d’emplois à prédominance féminine. Ces écarts s’apprécient au sein d’une même entreprise, sauf s’il n’y existe aucune catégorie d’emplois à prédominance masculine » (Chap. E-12.001, article 1).

Cet exercice représente tout un défi. C’est qu’il peut se transformer en véritables débats internes, parfois teintés d’une certaine rancœur qui laissera des traces. Par ailleurs, il occasionne un certain investissement financier, qui n’est pas à la hauteur de toutes les bourses. Qui plus est, il doit se faire en lien avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, nouvel organisme mis sur pied il y a peu de temps.

Tant mieux, si l’exercice de l’équité salariale est de plus en plus exécuté, mais n’ignorons pas que cela implique des difficultés, notamment d’application, par exemple en raison de l’identité de la personne qui fait l’exercice (employeur seul, comité, etc.). Le dossier n’est d’ailleurs pas clos pour autant. La loi oblige les entreprises qui y sont assujetties à réévaluer tous les cinq ans cet exercice, de manière à s’assurer que l’équité salariale est maintenue dans le temps.

Signature sans conflit

Réjouissons-nous du nombre de conventions collectives signées sans qu’un conflit ne soit déclen­ché : soit pour 2015-2016, 95% des contrats collectifs. Toutefois, n’oublions pas que parmi ces 95% de conventions collectives, un bon nombre ont été signées sous une pression parfois « qu’il n’y a pas conflits qu’il n’y a pas dépenses. En effet, toutes les pratiques de médiation et conciliation entraînent des coûts importants qui sont à la charge des parties.

Et puis, pensons à ces 5% de conflits de travail… Selon le ministère du Travail, en 2015, il y a eu 152 « arrêts de travail en cours », notamment en raison de la négociation des conventions collectives dans le secteur public. Celle-ci a donné lieu, uniquement pour cette année-là, à 396 233 travailleuses et travailleurs touchés et à 1 271 687 de « jours-personnes » perdus, soit des chiffres très élevés. Ce n’est pas rien…

La diminution du nombre de conflits de travail est d’une certaine façon inquiétante dans la mesure où les meilleurs gains des travailleuses et travailleurs ont été obtenus au fil des luttes sociales, et ce, du 19e siècle à nos jours. Le rapport de force entre les parties patronale et syndicale flanche au bénéfice des employeurs. Les avancées relatives aux conditions de travail sont, aujourd’hui, lentes et faibles. La grève de valeur – enfin – constitutionnelle garantit pourtant ce droit, qui, selon les statistiques est peu exercé.

« Fight for 15 »

Ça y est, le gouvernement québécois a haussé le salaire horaire minimum à 15 $ !

Désolée c’est une mauvaise blague !

Le mouvement américain visant l’augmentation salariale horaire à 15 $ est bien loin de l’autocongratulation du gouvernement québécois qui se satisfait bien facilement avec son augmentation fara­mineuse de 20 ¢, qui porte le salaire minimum à 10,75 $ depuis le 1er mai dernier.

Cette mobilisation de motivé·e·s qui défendent ardemment une augmentation significative du salai­re minimum ne concerne pas seulement les États-Unis, mais aussi des citoyennes et citoyens d’autres pays. Au Québec, des acteurs syndicaux et citoyens se sont mobilisés en octobre 2015 et ces efforts ont donné lieu à une manifestation un mois plus tard devant les bureaux du premier ministre pour revendiquer cette augmentation du salaire minimum à 15 $ de l’heure. Cette mobilisation a occupé les lieux pendant environ deux heures, avec une visibilité certaine assurée par la présence média­tique. Le message est clair : « Aidez-nous à faire vivre la campagne 15+ ! Impliquez-vous !  » (15plus.org)

Création de patentes administratives

Dans ce domaine, le Québec est roi ! Nous voilà avec, d’une part, une Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), et d’autre part, un Tribunal administratif du travail (TAT), qui regroupe notamment l’ancienne Commission des relations de travail (CRT), qui avait elle-même absorbé en 2011, notam­ment, le Conseil des services essentiels (CSE), les relations de travail concernant les artis­tes, les travailleurs de la construction. Ouf !

Par exemple, avec la création de la CNESST, certains n’y voient qu’une réforme administrative, d’autres pensent qu’il s’agit davantage de réformes politiques. En effet, si l’on retourne un peu en arriè­re – en 2011, lors du transfert des pouvoirs du CSE à la CRT –, il a été aisé de constater qu’une seule commissaire du CSE a été transférée à la CRT et celle-ci n’a pas été désignée pour les litiges relatifs aux services essentiels. En clair, n’importe quel commissaire peut intervenir dans n’importe quel dossier. Pour le moins, de nombreuses expertises ont été perdues ici et là, ce qui est plus que déplo­rable. Par ailleurs, certains estiment que ce jeu de déconstruction et de fusion institutionnelles aurait un effet bénéfique dans la mesure où il permettrait aux différents organismes d’être un peu déstabilisés, avant de se renouveler dans un contexte différent. Toutefois, à mon sens, il ne faut rien attendre de positif de ce qu’il adviendra des changements actuels.

Gicleurs et tours de refroidissement

Après avoir pensé à tout le reste, ceci semble assez anecdotique… Et pourtant, c’est fondamental en termes de santé et de sécurité au travail ! Le gouvernement a beau se targuer d’une plus grande sécurité pour les aîné·e·s et d’un premier règlement sur l’entretien des tours de refroidissement au Cana­da, il n’empêche qu’il s’agit de réglementations qui surviennent après des drames. Celui de la résidence de L’Isle-Verte (32 morts) en 2014 dans le cas des gicleurs, et l’épisode de légionellose qui a frappé Québec en 2012 (14 morts). Il aura fallu ces deux tragédies pour que le gouvernement assume son rôle de régulateur dans ces domaines.

Femmes au travail

Dans son document, le gouvernement se penche spécifiquement sur l’insertion et le travail des femmes dans la construction. On aurait pu imaginer une vue d’ensemble de l’insertion des femmes dans les industries à prédominance masculine, notamment dans le camionnage, mais aussi tout simplement dans le marché global du travail québécois. Si l’on reprend le travail dans les industries de la construction et du camionnage, le taux de présence des femmes se situe aux environs de 2-3 %. « Soutenir l’insertion des femmes au sein de l’industrie de la construction est une bonne chose, et ce n’est pas la première fois que le gouvernement se penche sur le sujet. Si l’expérience est convaincante, il faudra passer aux autres industries.

À mes yeux, ce bilan est très mitigé. Je suis bien moins enthousiaste que le gouvernement, tout en essayant de voir le verre à moitié plein. Au lieu de réorganiser les institutions, le gouvernement pourrait concentrer ses efforts sur d’autres réformes, par exemple la réforme du régime d’extension des conventions collectives qui permettrait l’accès de bon nombre de salarié·e·s à de meilleures conditions de travail (soit faire de la loi sur les décrets un instrument de progrès social très significatif et effi­cace), l’encadrement de l’intervention des agences de location de personnel ou encore l’amélioration des conditions d’emploi des travailleuses et travailleurs migrants du Sud.


[1Pour en savoir sur l’équité salariale, consultez le site : <http://.cse.gouv.qc.ca/equite-salariale/>

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