Négos des secteurs public et parapublic : L’heure du bilan... et de la préparation

No 89 - septembre 2021

Travail

Négos des secteurs public et parapublic : L’heure du bilan... et de la préparation

Rachel Sarrasin

Quelles réflexions préliminaires peut-on tirer des négociations des secteurs public et parapublic menées en pleine crise sanitaire, en vue du prochain cycle de discussions qui viendra rapidement ?

Alors qu’au printemps et à l’été 2021, les organisations syndicales des secteurs public et parapublic en sont arrivées à une entente de principe en vue du renouvellement des conventions collectives de leurs membres, l’automne sonne l’heure des consultations en assemblées générales et des bilans à tirer de cette ronde de négociations. Qui plus est, nous nous trouvons déjà en pleine préparation du prochain cycle de pourparlers avec le gouvernement, puisque les contrats de travail des travailleur·euse·s de ces secteurs – bien qu’encore non officiellement signés – viendront à échéance dans un an et demi, soit en mars 2023.

Pour la CAQ, la fin justifie les moyens

Dire que François Legault n’est pas un allié naturel du monde syndical ne surprendra personne ! Son parcours politique comporte bon nombre d’exemples qui en témoignent : pensons à ses déclarations incongrues sur le caractère « non raisonnable » des demandes syndicales lors du conflit de travail à l’Aluminerie de Bécancour (ABI) il y a quelques années. Ces déclarations ont trouvé écho dans les propos tenus par le premier ministre au moment où il entamait sa toute première ronde de négociations à la tête de l’État-employeur : il n’a pas hésité à afficher clairement ses couleurs en affirmant que « les surplus budgétaires n’appartiennent pas aux syndicats ». Les positions du parti politique qu’il dirige – réduction de la taille de la fonction publique, opposition à la hausse du salaire minimum à 15 $ de l’heure, etc. – s’inscrivent en toute continuité avec cette antipathie affirmée envers l’action collective des travailleur·euse·s. Le déroulement des dernières négociations confirme cette observation et nous invite à retenir que le gouvernement caquiste, fidèle à ses intentions annoncées, ne lésine pas sur les moyens à adopter dans son bras de fer avec les syndicats.

Dès le début des négociations, le gouvernement caquiste déclarait son intention d’offrir des bonifications salariales différenciées, s’adressant spécifiquement au personnel enseignant du réseau scolaire et aux préposé·e·s aux bénéficiaires dans le secteur de la santé. Tout en reconnaissant l’importance des besoins auxquels il fallait répondre dans ces milieux, force est d’admettre que cette annonce gouvernementale aux accents populistes laissait déjà entrevoir le recours à la stratégie visant à « diviser pour mieux régner ».

La CAQ a aussi tenté d’innover quant au cadre institutionnel balisant habituellement la négociation et, ce faisant, a cherché dès le départ à redéfinir à son avantage le champ de bataille avec sa proposition de créer des « forums sur les priorités gouvernementales  ». Ces espaces de concertation inédits et distincts des tables de négociations usuelles, dont il n’est jamais arrivé à préciser clairement les objectifs et le fonctionnement, ont été rejetés du revers de la main par les organisations syndicales sceptiques face à cette démarche qui relevait surtout d’une opération de relations publiques [1].

Le chamboulement engendré par la crise sanitaire n’a pas modifié les visées caquistes dans le dossier des négociations. Alors que François Legault exhortait le Québec entier à se mettre sur pause à la mi-mars 2020, son gouvernement profitait du contexte pour tenter d’accélérer les négociations dès les premiers jours du confinement. Cette démarche n’a pas rencontré de succès : en fait, la suite des choses a plutôt été marquée par le ralentissement imposé des discussions, qui se sont ensuite étirées sur de nombreux mois. Cette situation a été des plus difficiles pour les organisations syndicales, notamment du point de vue de la mobilisation. Pendant ce temps, le gouvernement, lui, n’a pas hésité, pour arriver à ses fins, à se servir du mode de gestion directif qu’il s’était autorisé avec la crise sanitaire. Ainsi, les primes payées au personnel de la santé en raison de la surcharge de travail pendant la pandémie ont aussi eu pour effet corollaire de limiter le recours à la grève pour les travailleur·euse·s de ce milieu qui se seraient alors vu couper leurs versements [2]. La déclaration candide de Christian Dubé comme quoi le maintien de l’état d’urgence sanitaire demeurait nécessaire « tant qu’on n’a pas réglé les conventions collectives » a constitué un aveu à peine voilé des ambitions autoritaires du gouvernement [3]. Néanmoins, c’est sur une vaste entreprise de communication publique que le gouvernement a misé en fin de parcours, n’hésitant pas à s’appuyer sur un sondage aux questions tendancieuses [4] ou à véhiculer des informations mensongères sur les offres salariales faites aux organisations syndicales [5].

Des points de convergence sur lesquels prendre appui

Lorsque la ronde de négociations qui se termine a officiellement débuté, avant la pandémie, on annonçait des surplus budgétaires dans les fonds publics. Ce contexte économique favorable permettait de contrebalancer un tant soit peu l’absence de front commun et d’envisager que le cumul des forces respectives des organisations syndicales créerait tout de même un rapport de force suffisant pour obtenir des investissements conséquents dans les différents secteurs en négociation. Cette nécessité d’un réinvestissement dans nos services publics mis à mal par les années d’austérité a constitué le socle sur lequel ont pris appui les travailleur·euse·s dans l’élaboration de leurs demandes, l’amélioration des conditions de travail dans ces secteurs ayant un effet indéniable sur la qualité des soins rendus à la population.

On connaît toutefois la suite : la crise sanitaire a servi de prétexte au renforcement de l’argumentaire gouvernemental sur les moyens financiers limités de l’État au vu de la « capacité de payer de la population ». Le revirement de conjoncture quant aux ressources disponibles a eu pour effet d’amplifier l’effet de concurrence entre les différents secteurs en négociation, d’autant plus que la CAQ a gardé le cap sur son objectif initial des offres salariales différenciées. Les tensions, déjà vives dans un contexte où le personnel des services publics était poussé à bout par le travail à poursuivre en pleine pandémie, ont ainsi été habilement activées dans la stratégie gouvernementale. La CAQ a su tirer profit de tactiques comme des rythmes de négociation variables offerts aux différentes tables de négociations, un accès direct à des membres du Conseil du Trésor pour certains secteurs, ou une manipulation des informations, livrées de manière asymétrique aux différentes organisations syndicales.

Aujourd’hui, force est d’admettre que le gouvernement a su tirer son épingle du jeu dans ces négociations, qui plus est sans même recourir à une loi spéciale. Reconnaissons par ailleurs que, malgré le décalage avec les objectifs syndicaux fixés au départ de la négociation, certaines organisations se réjouissent des résultats obtenus dans le contexte. Mais à l’heure des bilans, il importe de relever que la lecture comptable dans laquelle se complait le gouvernement, qui se vante des améliorations salariales obtenues par certains secteurs, est bien loin de répondre aux enjeux de précarité, de surcharge de travail ou encore de traitement inéquitable des secteurs d’emploi majoritairement féminins, tous soulevés par les organisations syndicales dans le cadre des négociations. La non-reconnaissance de ces enjeux normatifs abordés par les syndicats a mis en lumière la vision néolibérale des services publics promue par le gouvernement, au nom de marges de manœuvre gestionnaires à maintenir pour assurer « l’agilité  » patronale et « l’efficience » des institutions.

La lutte à poursuivre contre le néolibéralisme constitue l’un de ces points de convergence à partir desquels il faut impérativement construire des ponts entre nos organisations syndicales, afin de nous préparer à la prochaine ronde de négociations. La pandémie a renforcé nos attentes collectives quant à la responsabilité sociale dont nous voulons que l’État québécois soit garant. Ce principe, qui s’incarne dans des services publics gratuits, accessibles et de qualité, est au cœur de la mission de nos organisations syndicales qui, bien qu’elles se trouvent parfois en compétition les unes avec les autres, ne sont certes pas des ennemies. Face à un gouvernement déterminé dans la poursuite de ses objectifs politiques, il importe de nous engager dans la mobilisation en vue de cette bataille à poursuivre avec la CAQ, et ce, sans interruption entre les cycles de négociations.


[1NDLR : Les forums ont aussi été critiqués comme constituant une stratégie du Conseil du Trésor visant à centraliser et à contrôler les discussions. Voir Jean-Noël Grenier, « Des forums de discussion pour mieux contrôler les négociations », Le Devoir, 23 janvier 2020.

[2Yvan Perrier, « Retour sur la déclaration de Christian Dubé… », Presse-toi à gauche, 25 mai 2021. Disponible en ligne.

[3Voir Yvan Perrier, « Le sondage comme mode de légitimation… », Presse-toi à gauche, 26 mai 2021. Disponible en ligne.

[4Alex Boissonneault, « L’état d’urgence sanitaire au service du gouvernement ? », Radio-Canada, 18 mai 2021.

[5Lors d’une conférence de presse tenue un dimanche après-midi, François Legault et Sonia LeBel ont prétendu avoir offert 8 % d’augmentation salariale : or, la proposition réelle est de 2 % par année pour 3 ans, mais le gouvernement incluait les montants forfaitaires non récurrents dans ses calculs.

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