Culture numérique
Des données pour le bien commun
Entrevue avec Janosch Ortmann, responsable de la division montréalaise de Data For Good
Les groupes progressistes ont aujourd’hui accès à une incroyable quantité d’information sous la forme des données numériques qu’elles accumulent au fil de leurs activités. Or, il faut souvent des compétences techniques de pointe pour en tirer du savoir utilisable. La fondation Data for Good réunit des hackers indépendants et bénévoles qui partagent leur expertise afin que ces ressources numériques puissent servir l’intérêt général. Propos recueillis par Isabelle Bouchard.
À bâbord ! : Quelles sont les valeurs et la mission de Data for Good ?
Janosch Ortmann : La fondation canadienne Data for Good a été créée en 2013 à Toronto par Joy Robson et Victor Anjos, qui dirigent maintenant l’organisation nationale. Leur objectif était de mettre sur pied une fondation canadienne équivalente à des organisations caritatives comme DataKind aux États-Unis et au Royaume-Uni, qui aident d’autres organisations non gouvernementales et à but non lucratif à tirer profit des données dont elles disposent. Depuis la création de Data for Good, le mouvement s’est répandu dans tout le pays. Il existe maintenant neuf divisions, de Vancouver aux Maritimes. La division de Montréal a été fondée en 2016. Depuis, nous avons été en mesure de croître de façon constante.
Notre mission est d’aider des organismes de bienfaisance qui pourraient ne pas connaître la richesse des données sur lesquelles ils sont assis ou ne pas savoir comment en tirer profit ou les manipuler pour en extraire les connaissances souhaitées. Pour ce faire, nous fournissons à nos partenaires des services-conseils gratuits en matière de données. L’objectif n’est pas seulement de leur fournir les résultats escomptés, mais de permettre aux organismes de poursuivre eux-mêmes ce travail. Ainsi, nous cherchons des solutions qui peuvent être mises en œuvre et ensuite adoptées par le personnel de l’organisation partenaire. Notre objectif n’est pas d’influencer le travail de nos partenaires, mais de leur donner les moyens de le faire de façon encore plus efficace.
Data for Good offre de l’accompagnement sous la forme de « datathons », qui sont des sessions de collaboration courtes, mais intenses en présence de multiples partenaires visant à obtenir rapidement des informations exploitables, et des partenariats à plus long terme avec un partenaire unique, avec qui une équipe de Data for Good va collaborer pendant des semaines ou des mois pour découvrir tout ce que les données ont à offrir. Tous nos services sont gratuits, parce que nous souhaitons mettre nos compétences au service du bien public.
ÀB ! : Quelles sont les particularités de la division de Montréal ?
J. O. : La division montréalaise de Data for Good a la particularité de disposer d’une équipe de bénévoles bilingues, capables de répondre en français et anglais aux besoins des organismes partenaires. Nous ne nous concentrons pas sur des domaines spécifiques, comme l’environnement, par exemple, mais essayons plutôt de faire connaître nos services de manière générale afin de maximiser notre impact sur la communauté. À Montréal, l’accent a été mis jusqu’à présent sur les projets à plus long terme, à l’exception de deux datathons.
ÀB ! : Comment sélectionnez-vous les projets que vous accompagnez ?
J. O. : Nous appliquons deux critères principaux pour sélectionner les projets, basés sur les parties « data » et « for good » de notre nom. D’une part, il faut que notre futur partenaire dispose d’une base pour l’analyse des données. C’est en fait un obstacle moins important qu’il n’y paraît : les organisations ont accès à beaucoup plus de données qu’elles ne le pensent. Par exemple, de nombreuses organisations caritatives disposent d’une base de données sur leurs donateurs, mais aussi d’un grand nombre d’informations sur leurs activités. La confidentialité des données est un autre facteur. Nous avons mis en place des politiques rigoureuses de confidentialité des données et nous veillons à ce que seuls nos bénévoles de confiance y aient accès.
D’autre part, nous cherchons des organisations qui œuvrent pour le bien public. Ce deuxième critère est plus subjectif. Heureusement, nous n’avons été en contact qu’avec des organisations qui y satisfont clairement. Pour ne citer que quelques exemples, nous avons travaillé avec des organisations d’aide humanitaire, des associations d’éducation et des refuges alimentaires. Bien que nous n’ayons pas travaillé avec des syndicats dans le passé, nous sommes certainement ouverts à le faire. Nous travaillons présentement avec une organisation de maisons de femmes. Je suis impressionné par le travail accompli par cette organisation qui fait face à l’adversité et aux réductions budgétaires. L’un des premiers constats que nous avons pu faire est que le taux d’occupation de la plupart des refuges dépasse largement les 100 %, c’est-à-dire que les services offerts surpassent la capacité de l’organisme. Un autre constat, c’est que le taux de retour aux refuges a une forte corrélation inverse avec le statut d’immigration. En d’autres termes, les femmes ayant un statut plus précaire (par exemple, les détentrices d’un permis de travail ou les femmes sans papiers) sont beaucoup plus susceptibles de revenir au refuge que les citoyennes canadiennes ou les résidentes permanentes.
Ce projet illustre les différents bénéfices que Data for Good peut apporter à ses partenaires. Il est très important que l’organisation partenaire comprenne mieux ses activités ou sa situation. Nous pouvons également fournir une base pour un travail de plaidoyer face au gouvernement et au grand public.
ÀB ! : Qui sont les personnes analystes qui œuvrent auprès de Data for Good ?
J. O. : Nos analystes viennent d’horizons très divers. Ils et elles représentent différents types d’intérêts et d’expertise en science des données et ont aussi d’autres compétences qu’ils et elles utilisent pour servir notre cause, en matière de sensibilisation de la communauté, de gestion de projet ou encore d’engagement bénévole. Certain·e·s sont déjà des scientifiques des données ou ont un doctorat en mathématiques, en physique ou en ingénierie. D’autres veulent acquérir des compétences en science des données, soit pour leur développement personnel, soit pour faciliter leur évolution professionnelle. Nous comptons quelques dizaines de bénévoles actifs et la répartition des genres est à peu près égale.
Nous nous concentrons sur la confidentialité des données, le travail dans l’intérêt des organisations partenaires et l’offre d’un environnement accueillant pour que chacun·e puisse contribuer. Nous sommes toujours à la recherche de bénévoles enthousiastes et nous serons heureux de répondre à toute question concernant l’adhésion à Data for Good. Les intéressées peuvent nous écrire à l’adresse suivante : janosch.ortmann@dataforgood.ca
ÀB ! : Quelle relation Data For Good entretient-elle avec le monde des données ouvertes ?
J. O. : Œuvrant dans une organisation axée sur l’extraction d’informations à partir de données, nous sommes de grand·e·s amateur·trice·s de données gratuites et ouvertes et nous les utilisons régulièrement nous-mêmes. Par exemple, nous avons utilisé des données publiques issues des recensements pour les mettre en corrélation avec celles des donateur·trice·s de l’un de nos partenaires afin de mieux comprendre les caractéristiques des contributeur·trice·s régulier·ière·s à leur financement.
J’aime beaucoup citer l’exemple du Royaume-Uni, où les données sur tous les accidents de la route sont accessibles au public. Quelqu’un·e a pris ces données et les a projetées sur une carte routière de Londres. Cette personne a ainsi pu classer les différentes pistes cyclables en fonction de leur taux d’accidents et proposer aux cyclistes les itinéraires les plus sûrs.
De manière générale, nous sommes convaincu·e·s que les données appartiennent aux citoyen·ne·s et que les gouvernements de tous les paliers doivent les rendre aussi accessibles que possible.