Michel Seymour
Raison, déraison et religion : plaidoyer pour une laïcité ouverte
Michel Seymour, Raison, déraison et religion : plaidoyer pour une laïcité ouverte, Écosociété, 2021, 290 pages.
Quel bonheur de lecture m’a procuré le dernier essai de Michel Seymour intitulé Raison, déraison et religion : plaidoyer pour une laïcité ouverte. L’auteur d’une œuvre importante en philosophie politique et en philosophie du langage nous livre ici un essai conceptuellement riche, audacieux et pédagogique. Trois thèmes ou questionnements retiennent l’attention de Seymour.
Le premier questionnement concerne la place à accorder à la religion dans une société qui se veut résolument moderne. Une telle société doit se montrer hospitalière non seulement à l’égard de l’athéisme, mais aussi à l’égard de la croyance religieuse, affirme Seymour, qui est aussi l’auteur de De la tolérance à la reconnaissance : une théorie libérale des droits collectifs. Elle doit être hospitalière non seulement envers les incroyant·e·s et les croyant·e·s qui doutent (les seules postures au diapason de « l’âge de l’authenticité » selon Charles Taylor), mais également envers tout le spectre des postures possibles eu égard au religieux. Après une longue discussion de l’œuvre monumentale de Taylor, L’âge séculier, Seymour conclut avec cette proposition normative prenant la forme d’un souhait : il est possible de concevoir un espace politique où croyant·e·s et athées pur·e·s et dur·e·s peuvent cohabiter, se tolérer, se comprendre et s’accepter.
Le second questionnement concerne l’aménagement, dans une société particulière comme le Québec, d’un espace politique qui soit vraiment laïc. Force est de constater que la manière caquiste d’y répondre (la loi 21) rallie une majorité de Franco-Québécois·e·s. C’est une chose de s’opposer à cette tyrannie de la majorité ou de trouver nettement absurde la crainte de voir s’ériger la religion comme un pouvoir parallèle aux institutions politiques ; c’en est une autre de montrer la voie de sortie à cette impasse. Encore une fois, une discussion fort intéressante de l’œuvre d’un grand penseur, John Rawls, précède la proposition normative voulant qu’il faut s’ouvrir à différentes manières de vivre la religion : en privé, mais aussi sur un mode communautaire. Dans ce dernier cas, le pluralisme raisonnable et irréductible des différentes conceptions morales, religieuses et philosophiques oblige l’État (vraiment neutre) à autoriser, par exemple, le port du voile pour les enseignantes musulmanes qui le désirent, parce que ce signe fait partie de l’identité communautaire de celles qui le portent.
Enfin, le troisième questionnement concerne la question de la laïcité à l’échelle internationale. C’est dans une perspective rawlsienne que Seymour aborde le problème de la reconnaissance réciproque entre sociétés différenciées à l’échelle internationale : « une véritable laïcité ouverte doit […] s’ouvrir à différentes façons de la pratiquer à l’échelle internationale ; […] s’ouvrir aux droits collectifs aux droits des peuples ; ce qui est une difficulté majeure pour les peuples de l’Occident », explique-t-il dans une présentation de son livre. Près de la moitié de l’ouvrage est consacrée à d’intéressants contre-arguments à la thèse bien connue du « choc des civilisations », d’abord lancée par Samuel Huntington et qui n’est pas étrangère à l’islamophobie contemporaine.
Que l’on partage ou non la position politique de l’auteur sur la question du port des signes religieux dans l’espace public, l’ouvrage offre amplement de quoi nourrir la réflexion sur les fondements philosophiques des politiques publiques concernant la laïcité et la diversité religieuse, à l’échelle nationale et internationale. En prime, les lecteur·trice·s agacé·e·s par l’approche taylorienne de laïcité (centrée exclusivement sur les droits individuels et marquée par un antinationalisme primaire) y trouveront une justification alternative à la politique de la laïcité ouverte.