Renouveler le syndicalisme – Pour changer le Québec

No 61 - oct. / nov. 2015

Philippe Crevier, Hubert Forcier, Samuel Trépanier (dir.)

Renouveler le syndicalisme – Pour changer le Québec

Philippe de Grosbois

Renouveler le syndicalisme – Pour changer le Québec, Philippe Crevier, Hubert Forcier, Samuel Trépanier (dir.), Montréal, Écosociété, 2015, 295 p.

Dans le mouvement syndical québécois actu­el, le terme « renouveau syndical » fait quasiment figure de mantra. Si le terme dénote une saine inquiétude, il est généralement réduit à sa plus simple interprétation : on parle alors de « relève », comme dans l’expression « relève de la garde ». On attend des jeunes qu’ils viennent appliquer les recettes – de moins en moins efficaces par ailleurs – de leurs prédécesseurs. Quant aux désertions, elles montrent qu’il faut « mieux expliquer aux membres l’importance du syndicat », puisque l’avis des désabusé·e·s, appa­remment, n’est pas assez éclairé pour être digne d’attention.

Heureusement, les conseillers syndicaux à l’origine de cet ouvrage prennent le verbe renouveler au sérieux et proposent une réflexion de fond sur les discours, les stratégies et les pratiques qui dominent le syndicalisme québécois contemporain, à une époque où le modèle social qu’il a participé à édifier est attaqué de plein fouet. Crevier, Forcier et Trépanier en appellent à un « syndicalisme de transformation sociale » qui « vise davantage à cibler des enjeux situés en dehors du cadre strict des relations de travail, et ce, afin de constituer des alliances larges qui ont pour finalité d’améliorer la société en la transformant  ».

Les articles qui constituent l’ouvrage s’attellent donc à cette tâche importante. Plusieurs difficultés auxquelles est confronté le syn­dicalisme sont abordées : mondialisation, délocalisations et puissance des marchés financiers, problèmes de communication dans un paysage médiatique en changement, enca­drement législatif de plus en plus contraignant, etc. Le regard des auteur·e·s se penche aussi sur les impasses qui appartiennent au mouvement syndical lui-même, à l’interne. Dans cette perspective, les meilleures contributions sont aussi les plus franches, les plus directes et les plus disposées à s’éloigner des lieux communs, telles que celle d’Alain Deneault, celle de Sébastien Robert et Alexandre Leduc, et tout spécialement celle de Marie-Ève Rancourt, que devrait lire tout travailleur ou toute travailleuse qui s’initie au militantisme syndical.

Écrits dans l’urgence, en pleine lutte à l’austérité, la plupart des articles n’en appellent pas moins à un retour aux sources, s’inspirant de victoires passées pour mieux imaginer le syndicalisme de demain. Un livre stimulant donc, qui montre que le renouveau syndical est déjà commencé. Un bémol, cependant : il est frappant de constater que l’écrasante majorité des auteur·e·s ne sont ni des membres ni des élu·e·s locaux ou régionaux, mais des conseillers·ères, des professeur·e·s et des chercheurs·euses. Ironiquement, un ouvrage qui en appelle beaucoup à une plus grande démocratie et une plus grande liberté de parole au sein du mouvement semble reproduire l’erreur qu’il dénonce, à savoir s’appuyer sur des intel­lectuel·le·s et des professionnel·le·s de l’action syndicale pour construire son analyse. N’y avait-il aucune initiative locale qui aurait pu amener d’autres idées et faire la démonstration que le renouvellement est déjà en cours ? Le titre de l’ouvrage lui-même évoque bien cette faiblesse : peut-on « renouveler le syndicalisme », comme on « guérit un patient », autrement dit, par le biais d’une intervention de l’extérieur ? Ou devrait-il plutôt s’agir d’une réappropriation par les membres eux-mêmes, qui commencerait dès l’étape des diagnostics ?

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