Dossier : Contre l’austérité, (…)

Pour étouffer l’État social québécois

La bataille de la fiscalité

Dossier : Contre l’austérité, luttes syndicales et populaires

Claude Vaillancourt

Le démantèlement de l’État social québécois et les négociations dans le secteur public se font parallèlement à un important projet de transformation de notre fiscalité. Le lien entre ces deux réalités est fondamental : sans fiscalité redistributrice, il ne peut exister d’État fort et responsable. C’est donc en s’attaquant aux racines du financement public que les libéraux élaborent leur projet de transformation radicale de l’État québécois.

Le projet libéral se base sur deux principes incontournables. D’abord, l’État ne doit absolument pas aller chercher de nouveaux revenus ; la fiscalité est un « fardeau » dont il faut se débarrasser et qui étouffe tant les individus que les entreprises. Ensuite, l’impôt sur le revenu doit diminuer alors que les taxes à la consommation doivent être haussées. Dans les deux cas, un message populiste jouant sur l’impopularité toute naturelle de l’impôt permet de rendre ces mesures attrayantes pour la population.

« La pire des taxes qu’il peut y avoir, c’est l’impôt sur le revenu », a dit le ministre des Finances, Carlos Leitão, le 15 juin dernier. Il n’a pas complètement tort : pour les individus les plus aisés, pour les banquiers comme lui, ce type d’impôt, associé à des mesures de progressivité, est celui qui leur coûte le plus cher. Le jupon de notre ministre des Finances a donc considérablement dépassé : c’est l’intérêt de sa classe sociale qu’il défend et non celui de l’ensemble des Québécoises et Québécois. Cette obsession des baisses d’impôt se retrouve tout autant dans les discours de Philippe Couillard que dans ceux du président du Conseil du Trésor Martin Coiteux.

L’ensemble du mouvement social a dénoncé à de nombreuses reprises à quel point les taxes à la consommation sont quant à elles régressives : elles occupent une portion élevée du budget des plus pauvres alors que les riches les paient sans difficulté. Elles sont universelles et exigent les mêmes montants pour tous, alors que l’impôt offre des exemptions pour les plus démunis et des montants proportionnellement plus élevés pour les plus riches.

Un dénommé Luc Godbout

Ce transfert d’une fiscalité progressive vers une fiscalité plus régressive est un clou sur lequel les libéraux ne cessent de cogner depuis plusieurs années. Pour le rendre plus accep­table, ils ont eu recours à un économiste et fiscaliste universitaire, personnage à l’aise dans les médias, auréolé d’une certaine neutralité : Luc Godbout. Ce dernier se cache derrière un discours nuancé : il vante l’important « panier de services » offert par le gouvernement québécois, il parle de la nécessité d’alléger le fardeau des personnes moins fortunées et se montre préoccupé devant la croissance des inégalités.

Mais il a surtout joué le rôle de premier intellectuel mercenaire du Parti libéral. Il a été l’un des rédacteurs des fascicules Le Québec face à ses défis qui visaient à préparer les Québécoises et les Québécois à la « révolution tarifaire » du minis­tre des Finances Raymond Bachand, qui a soulevé la population au printemps 2012. Il a contribué au Rapport d’experts sur les finances publiques au printemps 2014, avec Claude Montmarquette, dans lequel il alertait la population d’un éventuel déficit de 3,7 milliards de dollars pour l’année 2014-2015 « si rien n’était fait ».

En se servant de ce rapport, les libéraux ont haussé cet éventuel déficit – encore trop bas – à 5,8 milliards pour l’année suivante, en s’en inquié­tant sur toutes les tribunes. Le manque de sérieux de la méthode utilisée a été dénoncé, y compris par Gérald Fillion à Radio-Canada qui affirmait qu’ils étaient établis à partir de comptes pas encore terminés.

Ce même Godbout a aussi dirigé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise, dont les principales conclusions étaient parfaitement prévisibles : plus de taxes et moins d’impôt. Et comme l’exigeait la commande gouvernementale, pas un sou de plus dans les coffres du gouvernement, mais un jeu de chaises musicales entre les sources de revenus, en faveur des plus riches surtout.

Deux définitions de la démocratie

Rarement la bataille pour la direction que doit prendre l’État québécois n’aura été aussi clairement idéologique. Le gouvernement s’appuie sur notre système de démocratie représentative pour entreprendre ses réformes. Et cela, même s’il n’a pas soufflé un mot des changements qu’il voulait entreprendre pendant la dernière campagne électorale : il a, à ses yeux, la légitimité néces­saire pour entreprendre ce qu’il juge essentiel.

Pour les syndicats du secteur public, pour les travailleurs et travailleuses victimes des mesures d’austérité, pour les simples citoyen·ne·s qui ne veulent pas vivre dans un monde d’injustice et d’individualisme sauvage, des changements aussi fondamentaux ne peuvent pas s’effectuer de façon aussi unilatérale et sans une consultation élargie de la population.

Le pouvoir aux mains de notre gouvernement est si grand qu’on pourrait presque parler d’une trahison de la démocratie. Le gouvernement entraîne sa population dans la rue, alors qu’il méprise et réprime ce moyen ultime d’affirmation et de défense des droits. L’écoute est considérée comme une faiblesse et sa totale fermeture à un dialogue social devient un objet de fierté.

Plus que jamais, nous avons l’impression de nous trouver à la croisée des chemins : deux Québec très différents apparaissent devant nous ; il faudra dans les prochains mois prendre l’une ou l’autre voie. Seule une mobilisation majeure nous permettra de nous engager dans la bonne.

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