Dossier : Contre l’austérité, (…)

Dossier : Contre l’austérité, luttes syndicales et populaires

À nous l’UQAM !

À nous l’éducation, à nous « toute »

Marie Blais, Michèle Nevert, Ricardo Peñafiel

Entretien avec Marie Blais, présidente du SCCUQ (Syndicat des chargé·e·s de cours de l’UQAM) et Michèle Nevert, présidente du SPUQ (Syndicat des professeur·e·s de l’Université du Québec à Montréal).

Les négociations des conventions collectives des professeur·e·s et des chargé·e·s de cours de l’UQAM se déroulent dans le contexte des négociations de l’ensemble de la fonction publique et d’une grande partie du secteur parapublic. À bâbord ! a rencontré les présidentes du SPUQ et du SCCUQ pour connaître les spécificités de leurs luttes respectives ainsi que les articulations de celles-ci entre elles, avec les étudiant·e·s, avec d’autres enjeux relatifs au secteur universitaire, à l’éducation et aux réformes des services publics en général ainsi qu’au Front commun et à la résistance de la société québécoise organisée contre l’offensive austéritaire. Les lignes qui suivent rapportent les faits saillants d’une vive et cordiale discussion qui a eu lieu dans les locaux du SCCUQ par un chaud après-midi de l’automne du même acabit.

Propos recueillis par Ricardo Peñafiel.

Pour une cogestion de l’université par tous ses participant·e·s

À bâbord ! : Avant d’aborder les enjeux plus généraux, pourriez-vous nous parler sommairement des enjeux spécifiques à vos syndicats ?

Marie Blais : À notre table de négociation, nous portons particulièrement des questions relatives aux conditions d’apprentissage, à l’accès aux auxiliaires d’enseignement, à la taille des groupes, à la stabilisation de l’emploi (c’est-à-dire à l’atténuation de la précarité) et à la présence des chargé·e·s de cours dans les comités de programme. Et, bien entendu, il y a la question salariale puisque nous, les chargé·e·s de cours de l’UQAM, sommes parmi les moins bien payés au Québec.

Michèle Nevert : Du côté du syndicat des professeur·e·s, nous avons également comme priorité la question du rattrapage salarial (puisque nous aussi sommes les moins bien payés au Québec) et des conditions de travail que nous devons absolument améliorer. Ce qui implique soutenir la recherche et la création de chaque professeur·e ; diminuer le nombre d’étudiant·e·s dans les cours ; augmenter le partage des tâches – autrement dit, augmenter le corps professoral. Il faut dorénavant prendre en compte ce qui n’a jamais été tenu en considération jusqu’à présent, soit le rapport entre vie professionnelle et vie privée. Parce qu’il y a à l’UQAM, comme dans les autres universités d’ailleurs, une augmentation des taux de dépression, de burn-out, d’épuisement professionnel. Finalement, nous avons une troisième priorité fondamentale dans nos négociations : c’est la réaffirmation et la consolidation du fonctionnement en cogestion de l’université, parce que actuellement il y a un dérapage systématique, un contournement des instances dites « collégiales ».

Nous, nous parlions de cogestion au départ… Il faut rappeler que l’UQAM a été fondée par de jeunes profs qui créent très vite leur syndicat et signent une convention collective dans laquelle ils inscrivent non seulement leurs conditions de travail, mais également le principe de cogestion entre profs, étudiant·e·s et administration dans le fonctionnement de l’université. Depuis ce temps, dans toutes les négociations des conventions collectives, la direction a cherché à nous faire reculer sur ce principe. Aujourd’hui, elle dit : « Nous avons le droit de gérance, nous sommes la direction, c’est à nous de diriger. » Elle revendique ainsi un pouvoir de gérance absolu accru ; elle voudrait décider seule du fonctionnement de cette université, sans avoir à consulter les professeur·e·s et la communauté. Le projet patronal retire de la convention collective du SPUQ les dispositions concernant la composition et les pouvoirs de la plus haute instance décisionnelle académique : la Commission des études. Celle-ci traite toutes les questions relatives à l’enseignement et à la recherche ; il importe de souligner que les membres de la direction sont actuellement minoritaires par rapport aux représentant·e·s de la communauté universitaire. On essaie ainsi d’enlever aux professeur·e·s la capacité d’intervenir et de s’opposer à des décisions académiques qu’ils et elles pourraient juger erronées.

Marie Blais : Mais il faudrait une plus grande collégialité : que l’on donne davantage voix au chapitre aux chargé·e·s de cours, notamment dans les comités de programmes. Au sein de l’UQAM, on doit donner plus de place à la communauté : les profs, les chargé·e·s de cours, les étudiant·e·s et, pourquoi pas, les employé·e·s de soutien.

La (mauvaise) gouvernance, un enjeu pour les services publics

Marie Blais : Au-delà de quelques points de divergence entre nous, on se rejoint sur la plupart des enjeux relatifs à un réinvestissement dans le financement des universités, aux conditions d’enseignement, au nombre d’étudiant·e·s par classe et même sur la question de la gouvernance qui est une question qui ne touche pas uniquement l’UQAM. Alors qu’ici le Conseil d’administration veut contourner la Commission des études et que la direction cherche à imposer à l’UQAM un modèle de gouvernance similaire à celui des universités privées, ailleurs on retrouve des enjeux tout à fait semblables ; comme aux autres tables de négociation des professeur·e·s de cégeps et du réseau de la santé où toutes ces questions de contrôle, de reddition de comptes, de formation, de standardisation, de performance sont débattues en ce moment. À l’automne, les questions de gouvernance seront aussi à l’ordre du jour avec le projet de loi prônant la fin de la structure élue des commissions scolaires et leur remplacement par un conseil d’administration d’une quinzaine de membres composés notamment d’élus municipaux.

Michèle Nevert : C’est la « cadrification » de la fonction publique, et de tout en général. On crée des administrateurs, des cadres, des contrôles…

Marie Blais : Au nom de la transparence et de la participation de la société dans les conseils d’administration, on « privatise de l’intérieur » le secteur public en imposant des objectifs et des formes d’organisation calquées sur le privé, en nommant des personnes issues du milieu des affaires dans les conseils d’administration et en orchestrant une reddition de comptes établie en fonction d’une certaine conception de la performance qui n’a rien à voir avec l’université ni avec les services publics.

L’idéologie de l’austérité au service de la partie patronale

Michèle Nevert : Le problème c’est que nous devons mener ces luttes dans le contexte d’un discours sur l’austérité. L’administration n’arrête pas de dire que l’université n’a pas d’argent : « Elle ne peut donc rien vous donner. » Pourtant, des membres, professeur·e·s en sciences comptables, de finance, actuariat ont fait la démonstration, avec les documents du Conseil d’administration, qu’il y avait des surplus tous les ans dans le budget académique, mais qu’ils le transféraient dans des fonds d’immobilisation.

Marie Blais : On a noirci la situation financière du Québec, comme on noircit volontairement la situation de l’UQAM, dans le but d’imposer de nouvelles conditions de travail et de nouvelles formes de fonctionnement.

Michèle Nevert : Le recteur nous a envoyé un long message à la rentrée pour dire qu’il n’était pas parvenu à couper 6 millions de dollars sur 20 M$ de manque à gagner. À ça, il ajoute une coupe supplémentaire qui viendra du gouvernement qui « pourrait » être de 7,2 M$ (dont le montant, donc, n’est pas certain !). De plus, il ajoute la menace d’une diminution de la population étudiante qui « pourrait » entraîner un autre manque à gagner de 5 M$. Or, il ne s’agit que de suppositions, basées sur des chiffres qui ne sont pas rendus publics et qui sont certainement exagérés dans le but de ne rien céder aux tables de négociation.

C’est la même chose en ce qui concerne le discours gouvernemental sur l’austérité et les compressions. Un collègue du Département des sciences économiques me faisait remarquer que le déficit budgétaire provincial ne représente que 0,3 % du PIB du Québec, c’est-à-dire très peu. Alors l’objectif de l’austérité n’est pas tant l’équilibre budgétaire que le démantèlement de l’État, tout simplement.

Marie Blais : Démantèlement mais aussi reconstruction, reconfiguration des rapports de force. Réduire le rôle de l’État pour mieux le transformer, l’organiser différemment.

Michèle Nevert : Le problème est, d’abord, à Québec. Lorsqu’on dénonce les compressions et l’austérité, c’est évident que ce n’est pas un problème strictement de l’UQAM. Ce qu’on reproche au recteur, c’est d’adhérer à ce discours [de l’austérité] et de l’appliquer ici, plutôt que de défendre les intérêts communs de l’UQAM et de l’enseignement universitaire. Ce qui nous oblige à nous battre sur deux fronts en même temps.

Front commun et luttes citoyennes

Marie Blais : Ce n’est pas simple de poser la question du financement des universités en même temps que la négociation des conventions collectives. On a à faire un travail local, pour sensibiliser sur le fait qu’il y a de l’argent qui est mal géré par l’administration de l’UQAM et, en même temps, se battre pour un réinvestissement en éducation. Car le problème n’est pas seulement au niveau universitaire, mais dans l’ensemble du système d’éducation. Les coupes et la réorganisation des pouvoirs scolaires sont en train de détruire l’éducation au Québec et, en tant que citoyenne autant que comme syndicat, notre devoir est de défendre le droit à l’éducation pour tous. Le défi, c’est de ne pas se disperser. De ne pas négliger le front des négociations au nom d’un travail plus national, mais plutôt de parvenir à les articuler pour qu’ils se nourrissent mutuellement.

D’où la nécessité de travailler avec d’autres syndicats, avec le Front commun, avec les étudiant·e·s, avec des coalitions contre l’austérité, avec des mouvements citoyens comme « Je protège mon école publique »… Ce qui est encourageant, c’est que actuellement ces enjeux-là sont posés directement par la société civile. Si ce n’était que nous, les syndicats, on se ferait accuser de corporatisme. Mais, actuellement, la lutte devient populaire.

Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème