Enseignement supérieur. Enseignant·e·s sous pression

Mini-dossier : COVID en continu

Mini-dossier : COVID en continu

Enseignement supérieur. Enseignant·e·s sous pression

Caroline Quesnel

La date du 13 mars 2020 deviendra assurément un jalon historique de la première vague de la crise sanitaire. On se souviendra que ce jour-là, le premier ministre Legault annon çait la fermeture pour deux semaines de la totalité des services de garde, des écoles, des collèges et des universités, proclamant ainsi la fin de ce qu’on appelle aujourd’hui, avec nostalgie, la « normalité ». Après sept mois d’un feu roulant d’arrêtés ministériels, de directives contradictoires et d’annonces de toutes sortes, on aura compris que si le gouvernement tient tant à maintenir ouverts les établissements, ce n’est pas tant pour honorer sa promesse électorale d’accorder « la priorité à l’éducation » que pour servir ses intérêts économiques et ceux des entreprises.

Une incidence importante sur la tâche


Dans le contexte de la pandémie, les mesures d’urgence mises en place par le gouvernement du Québec ont forcé les établissements d’enseignement de tous les ordres à recourir à l’enseignement en mode « non présentiel [1] » à un moment ou un autre, et ce, de façon généralisée. Ce qui devait être temporaire au printemps 2020 s’est prolongé à l’automne 2020 et déjà, fin septembre, plusieurs établissements annonçaient une prolongation de ce mode d’enseignement à l’hiver 2021. Ce changement a une incidence majeure sur la tâche des enseignantes et des enseignants représentés par la FNEEQ et la CSN.

Or, la majorité des conventions collectives sont muettes sur de telles transformations expéditives et les ressources octroyées par le gouvernement aux établissements sont insuffisantes pour soutenir nos membres qui subissent un alourdissement considérable de leur tâche. Adaptation à toute vitesse des cours, difficile encadrement à distance des étudiantes et des étudiants, taille élevée des groupe-cours, évaluations complètement révisées : en vérité, toutes les dimensions de la profession enseignante nécessitent, dans ce contexte, un temps accru [2]. Par conséquent, la santé psychologique des membres n’a jamais été aussi fragile et inquiétante. Les enseignantes et les enseignants sont véritablement à bout de souffle et le gouvernement doit absolument investir des ressources significatives et dédiées à les soutenir à la session d’hiver 2021.

Une pression intenable

Avant la pandémie, les pressions pour un passage au télé-enseignement s’accroissaient déjà et la FNEEQ s’est dotée en mai 2019 d’une plateforme de revendications [3]. Après la pandémie, il est clair que la pression deviendra intenable. La crise sanitaire a accéléré la transformation déjà amorcée de la pratique enseignante, mais sans concertation, sans balises ni stratégies nationales et, surtout, sans filet de sécurité pour les conditions de travail des enseignantes et des enseignants. Pour plusieurs directions d’établissements, particulièrement dans les secteurs privé et universitaire, l’enseignement en mode non présentiel imposé partiellement par la Santé publique représente une occasion inespérée d’accélérer la conversion des cours vers une formation à distance structurée et permanente. La déterritorialisation de la formation ouvrant la porte à des opportunités strictement mercantiles, on peut imaginer que ce ne sera certainement pas sans conséquence sur l’autonomie professionnelle des enseignantes et des enseignants et sur la survie des établissements en région.

L’autonomie professionnelle et la liberté académique reposent à la fois sur une pratique individuelle et une pratique collective. Les conditions d’exercice doivent donc permettre de maintenir l’un et l’autre. Ce à quoi nous avons assisté depuis le début de la pandémie malmène les deux. En accordant une place prépondérante aux technologies de l’information et de la communication (TIC), l’enseignement en mode non présentiel, tel qu’on l’a connu depuis le printemps, a forcé la transformation des pratiques individuelles et collectives, les restreignant aux technologies disponibles sans réserver un espace pour la réflexion ou pour l’analyse. Il serait pourtant possible d’intégrer les nouvelles TIC à l’offre de cours pour les rendre plus accessibles, sans que cela affecte l’autonomie du corps professoral. Mais cela demande du temps et de la concertation, ce qui nous a cruellement fait défaut depuis le début de la crise sanitaire. Il faut à tout prix lutter contre les décisions unilatérales, sans transparence, sans respect pour la voix des experts en pédagogie. C’est l’immense défi qui nous attend dans l’immédiat. 


[1La FNEEQ estime qu’il est préférable d’employer ce terme plutôt que celui d’enseignement à distance. Voir FNEEQ – Comité école et société, « Chronique d’un (dé)confinement annoncé ». Disponible en ligne.

[2À l’initiative de syndicats de la FNEEQ, un sondage sur la tâche enseignante a été mené. Plus de 2400 personnes y ont répondu. Voir « Enseignement au collégial en temps de COVID : “On fonce tout droit dans un mur !” ». Disponible en ligne.

[3FNEEQ – Comité école et société, L’enseignement à distance : enjeux pédagogiques, syndicaux et sociétaux, 2019, 123 pages.

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