ZLÉA : Le mouvement étudiant contre la globalisation néolibérale

No 86 - décembre 2020

Mémoire des luttes

ZLÉA : Le mouvement étudiant contre la globalisation néolibérale

Du Sommet des Amériques à la grève continentale

Arnaud Theurillat-Cloutier

Au Québec, les grèves pour le climat de 2019 n’étaient pas les premières grèves « internationales ». Le 31 octobre 2002, 10000 personnes prennent d’assaut les rues de Montréal pour s’opposer à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), à l’initiative du mouvement étudiant. Un an après le Sommet des Amériques, le mouvement étudiant québécois se positionne à l’avant-garde de cette lutte internationale.

20 au 23 avril 2001, Québec. Amorcées en 1994 à Miami, les négociations pour l’ouverture de la ZLÉA, destinée à être le plus grand espace (770 millions de résident·e·s) où s’exercerait la souveraineté des multinationales, se poursuivent au Sommet des Amériques. À l’intérieur du centre des congrès, les représentant·e·s des 34 pays américains (sauf Cuba) discutent, tandis que, dehors, la capitale nationale vibre aux cris des 50000 manifestant·e·s venu·e·s de partout sur le continent pour contester cet accord « néolibéral raciste, sexiste et destructeur de l’environnement », comme le qualifie le Sommet des peuples. Record mondial de bombes lacrymogènes lancées (environ 5000), ce Sommet politisera toute une génération.

Dans les associations étudiantes, la mobilisation a pris forme plusieurs mois plus tôt, entre autres par le biais du Groupe opposé à la mondialisation des marchés (GOMM) et de la Coalition des luttes anti-capitalistes (CLAC). Une dizaine d’associations débrayeront pour l’occasion à Montréal et Québec, mais aussi à Granby, Rouyn-Noranda et Shawinigan. Ce contexte favorisera la fondation d’une nouvelle association étudiante critique de la globalisation néolibérale, l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ).

L’ASSÉ émerge des gaz lacrymogènes (2001)

Active jusqu’en 2019, et surtout connue pour son rôle déterminant dans la grève de 2005 et le Printemps érable de 2012, l’ASSÉ a été fondée en février 2001. Se réclamant du syndicalisme de combat, elle cherchait à faire contrepoids à la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) et à la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ, 1989-2015), rompue à la concertation avec le pouvoir et absente de la mobilisation du Sommet des Amériques. Fer de lance de l’idée de gratuité scolaire, l’ASSÉ portait dans ses principes fondateurs son opposition à «  toute forme de mondialisation qui entérine la prédominance du profit sur le bien-être de la population ». Sa première grande manifestation, tenue le 21 février 2002 à Québec, était dirigée contre « l’assujettissement de l’éducation aux lois du marché » et plus spécifiquement contre le « plan Legault » visant à soumettre les universités à la gestion entrepreneuriale.

Modifier ou rejeter la ZLÉA ?

En 2002, sous le titre « Bas les masques, à bas la ZLÉA », la campagne de l’ASSÉ culmine dans une grande manifestation le 31 octobre pour exiger le retrait intégral du projet. Cette manifestation s’inscrivait dans la vague des Journées de résistance continentale contre la ZLÉA. Lors de rencontres internationales tenues à La Havane en novembre 2001, la délégation québécoise avait même appuyé l’idée audacieuse d’une « grève générale illimitée continentale » prévue pour 2005.

À l’époque, l’ASSÉ craignait que, par ce type de traité, l’éducation et les services sociaux deviennent un nouveau marché, nuisant à leur qualité et à leur accessibilité. Elle se préoccupait aussi de la prépondérance du droit de profitabilité des entreprises sur le pouvoir législatif des États, déjà consacrée par le chapitre 11 de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). De surcroît, l’accord risquait d’accroître l’exploitation des travailleur·euse·s et la dégradation de l’environnement dans les pays du Sud, puisque ce sont principalement les multinationales canadiennes et américaines qui en auraient profité. Pour ces raisons, l’ASSÉ appelait à rejeter en bloc le traité, contrairement aux « critiques corporatistes » (entendre ici la FEUQ) qui ne cherchaient à soustraire de l’accord que des secteurs particuliers.

En effet, la FEUQ, de son côté, ne demandait pas le rejet du traité mais seulement l’exclusion du secteur de l’éducation. Elle craignait qu’une telle inclusion ne débouche sur une dérèglementation des frais de scolarité et sur une implantation des universités américaines privées qui exigeraient un traitement similaire aux institutions nationales.

Pour sa part, la FECQ va marquer son opposition complète au traité suite aux pressions internes d’étudiant·e·s adhérant aux positions de l’ASSÉ. Il faut dire qu’à quelques jours de la manifestation, 37 associations étudiantes réunies au Cégep du Vieux-Montréal vont majoritairement appeler à rejeter le traité.

Du projet de grève continentale illimitée à la guerre en Irak

Durant tout le mois d’octobre 2002, au terme duquel les délégations gouvernementales se sont rassemblées à Quito en Équateur pour la 7e ronde des négociations, des milliers de personnes ont manifesté dans toutes les Amériques à l’appel de l’Alliance sociale continentale. Des rassemblements ont lieu en Argentine, en Bolivie, au Brésil, en Colombie, au Salvador, aux États-Unis, au Mexique et au Pérou.

Au Québec, c’est le mouvement étudiant qui a été à l’avant-garde de la mobilisation avec des rassemblements à Québec, Chicoutimi, Trois-Rivières, Shawinigan, Gatineau et Sherbrooke. À Montréal, le rassemblement de la FEUQ au départ de l’Université McGill, et celui plus imposant de l’ASSÉ et de la Fédération canadienne des étudiants et étudiantes (FCEE – section Québec), au départ de l’Université Concordia, ont convergé pour former un seul cortège, sans concertation préalable. Avec 10000 manifestant·e·s, ce sera une des plus grandes manifestations étudiantes jusqu’alors, sur un enjeu social non spécifiquement étudiant.

Par la suite, certaines associations étudiantes, comme l’Association étudiante du Cégep de Sherbrooke (AECS), ont continué la mobilisation en participant à la consultation populaire (consulta) sur la ZLÉA, visant à mieux faire connaître les tenants et aboutissants de cet accord pour le moins abscons. Inspirés par l’initiative brésilienne, qui a amené 10 millions de personnes à se positionner sur le traité de libre-échange (98% contre), des syndicats, groupes féministes et associations étudiantes partout au Québec ont invité leurs membres à se positionner sur le traité lors de référendums populaires. Stimulé par le Réseau québécois pour l’intégration continentale (RQIC), la consulta a permis à 10000 personnes au Québec de participer à des formations sur le sujet et à 60000 personnes de se positionner sur le traité (93% contre).

L’enjeu du libre-échange sera cependant rapidement dépassé par un autre enjeu d’importance : l’invasion américaine de l’Irak. Les associations étudiantes se sont rapidement impliquées dans ce mouvement de contestation – tout comme l’ensemble du mouvement altermondialiste –, mettant ainsi en veilleuse le projet de grève continentale prévue pour 2005. Des manifestations inédites jusqu’alors dans l’histoire du Québec, rassemblant des dizaines de milliers de personnes (plus de 200000 personnes à Montréal le 16 mars 2003), se sont succédé à partir de novembre 2002 jusqu’au printemps 2003. Renouant avec une tradition syndicale étudiante anti-impérialiste (à l’image de la mobilisation contre la guerre du Vietnam des années 1960), le mouvement étudiant a contribué à forcer le gouvernement canadien à refuser de participer à la coalition militaire américaine.

Quant au projet de la ZLÉA, grâce à la mobilisation populaire et à l’opposition de plusieurs gouvernements de gauche nouvellement élus en Amérique latine (Lula au Brésil, radicalisation de Chavez au Venezuela, etc.), il sera abandonné en 2005. Les États-Unis et le Canada devront se rabattre sur la signature d’accords de libre-échange bilatéraux, qui n’ont pas couvert l’ensemble des Amériques.

Alors que se discute dans les couloirs du mouvement étudiant québécois l’idée d’une « grève générale illimitée internationale » pour la justice climatique, cet épisode contre le libre-échange (et la guerre en Irak) nous rappelle que les luttes sociales et internationales ont déjà fait partie des priorités du mouvement. Les grévistes pour le climat s’inscrivent dans cette longue tradition, destinée à un avenir prometteur.

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