Organiser la résistance, pratiquer la résilience. Entrevue avec Mélanie Busby du Front commun pour la transition énergétique

Dossier : Résilience écologique.

Dossier : Résilience écologique. Résistance ou résignation ?

Organiser la résistance, pratiquer la résilience. Entrevue avec Mélanie Busby du Front commun pour la transition énergétique

Pierre Avignon

Le projet de cette vaste coalition qu’est le Front commun pour la transition énergétique (FCTÉ) est on ne peut plus ambitieux : viser un Québec ZéN (pour zéro émission nette).

Propos recueillis par Pierre Avignon.

Afin d’y arriver, le Front commun a élaboré une feuille de route proposant des stratégies pour renforcer la capacité de tou·te·s les acteur·trice·s de la société d’atteindre la carboneutralité. Ce regroupement se distingue à la fois par sa volonté de résister au modèle économique actuel et par ses propositions pour le transformer.

Une coalition élargie

« Nous sommes très nombreux et nombreuses à travailler aux changements en faveur d’un monde plus écologique. L’idée, c’est de mieux se coordonner pour les cristalliser, pour que ça arrive vraiment. Il faut s’organiser pour favoriser une transition indispensable face à la crise écologique », affirme Mélanie Busby, qui multiplie les rencontres pour organiser cette résistance. Issu d’une coalition d’organisations luttant contre le projet Énergie Est, le FCTÉ a été créé en 2015 avec comme objectif de fédérer les groupes opposés aux nouveaux projets d’exploration, d’exploitation et de transport d’hydrocarbures. Lorsque l’on demande à Mélanie si elle considère que cette coalition est unique, elle ne répond pas fermement par l’affirmative (sans doute par humilité), mais la composition est impressionnante !

Mouvance variée de près d’une centaine d’organisations, le regroupement rejoint bien sûr de nombreux groupes environnementaux ou citoyens – comme Eau secours, Coule pas chez nous, le Pacte pour la transition énergétique ou encore La Planète s’invite au Parlement –, mais également des regroupements d’organismes communautaires – dont le Mouvement d’éducation populaire et d’action communautaire du Québec (MÉPACQ) et le Regroupement québécois d’action communautaire autonome (RQ-ACA) – et d’organismes syndicaux – FTQ, CSN, CSQ, FIQ et FAE.

« Une des spécificités de notre coalition est sans doute la diversité de ses membres. Des groupes qui militent pour le logement social, comme le FRAPRU, ou pour les droits en matière d’accessibilité publique aux soins de santé, comme la Coalition solidarité santé, par exemple, apportent une perspective spécifique et enrichissent nos échanges. D’autres, comme les étudiant·e·s de la Coalition étudiante pour un virage environnemental et social (CEVES) ou les agricultrices et agriculteurs de l’Union paysanne, nous ont rejoints récemment. C’est très encourageant de voir de nouvelles organisations s’ajouter à notre démarche », de préciser la responsable du projet Québec ZéN.

Cependant, la diversité des points de vue n’est pas sans poser un certain nombre de défis pour s’entendre sur un plan de transition. « Alors que pour certains il faudrait augmenter le prix de l’énergie "sale" afin de réduire la consommation, pour d’autres cela soulève le problème du pouvoir d’achat des personnes à faible revenu » donne comme exemple Mélanie Busby. Cette dernière, qui a organisé une multitude de discussions au sein même de l’organisme, précise qu’il y a énormément de facteurs à prendre en considération pour arriver à une vision d’avenir conjointe. Comment se loger, se nourrir, se déplacer et qui fait quoi pour arriver à un Québec carboneutre ? « Les débats ont notamment été passionnés sur la question du gaz naturel renouvelable et pour déterminer quel serait l’usage optimal de la biomasse.  »

C’est bien parce que les solutions ne sont pas toujours simples que le FCTÉ a décidé de procéder en deux temps. « Nous sommes tout d’abord en train de finaliser une feuille de route commune, version 2.0, qui a été rendue publique à l’automne 2020. Le contenu de cette dernière, qui aborde tous les aspects d’une transition juste vers la carboneutralité, devrait permettre ensuite de mettre les gouvernements, les municipalités, les organisations et les personnes en mouvement à partir d’une vision commune  » précise-t-elle. Le slogan « small is beautiful » pourrait en partie résumer la ligne directrice du projet Québec ZéN.

La démarche va toutefois plus loin, car dans son fonctionnement même, le FCTÉ met en pratique le modèle participatif qui est proposé aux communautés locales pour viser un plan de transition. Plus que de simples propositions à mettre en œuvre, c’est un véritable modus operandi pour une transformation sociale qui est mis de l’avant.

Un exemple de résilience organisationnelle

« Les collectivités du Québec ont mis la résilience au cœur de leurs préoccupations. Elles ont la capacité d’entretenir par elles-mêmes la quasi-totalité des systèmes qui soutiennent leur mode de vie. Elles prennent et appliquent des décisions à leur échelle, dans la foulée d’un plan global visant la décarbonisation et l’autosuffisance. Loin de marquer un repliement, leur autosuffisance est ancrée dans l’inclusion, le partage, la coopération et la créativité des acteurs locaux. » Voilà comment débute la feuille de route pour décrire la vision idéale d’un Québec ZéN de demain.

Pour présenter ce qui anime cette vision, Mélanie Busby fait référence au récent ouvrage d’Yves-Marie Abraham, Guérir du mal de l’infini. « Le sous-titre de ce livre, Produire moins, partager plus, décider ensemble, résume bien la vision que nous souhaitons mettre de l’avant. Toute la réflexion concernant la manière d’atteindre la carboneutralité amène inévitablement à constater que c’est le système dans son ensemble qui est au cœur du problème et que l’on ne peut pas dissocier les enjeux environnementaux, économiques et politiques. »

Par exemple, si on considère que la pauvreté est un frein aux changements environnementaux, alors il faut s’interroger sur les causes des inégalités. Or, une des causes communes des inégalités ou des problèmes environnementaux, c’est la concentration du pouvoir aux mains de quelques décideurs qui veulent préserver le système en place. « La perspective que nous mettons de l’avant, c’est qu’il faut impliquer le plus possible nos allié·e·s pour obtenir du succès dans notre démarche, car il ne pourra pas y avoir de transition juste sans participation large », de préciser la militante multidisciplinaire.

Cette approche « écologique » permet d’aborder la transition comme un processus de transformation sociale profonde qui favorise l’adoption de pratiques plus respectueuses de l’environnement, mais également la justice sociale.

Le projet Québec ZéN en est donc un de résilience face aux chocs, tant sociaux qu’environnementaux, que le système actuel provoque. Toutefois, loin de s’exprimer comme une résignation face à la détérioration de notre environnement il s’agit bien de mettre de l’avant des propositions pour éviter de foncer dans le mur. Le premier chapitre de la feuille de route est d’ailleurs consacré à ce thème.

Plus de justice environnementale et sociale

Alors que le parti écologiste français (Europe Écologie Les Verts) a connu un franc succès lors des dernières élections municipales, le contexte semble mûr pour des propositions menant vers la transition, malgré que, de ce côté-ci de l’Atlantique, les organisations politiques québécoises et canadiennes soient sensiblement différentes (avec par exemple un Parti vert moins ancré à gauche). Cela dit, la crise sanitaire et ses impacts économiques et sociaux peuvent être à la fois une occasion et un obstacle au changement, comme l’explique Mélanie Busby : « Si certains y voient une opportunité de changer les manières de faire, d’autres risquent plutôt de mettre de côté les projets plus écologiques au profit de la relance économique traditionnelle. »

À ce titre, les intentions de la CAQ sont loin d’être très claires, notamment avec son Plan d’électrification et de changements climatiques, rebaptisé Plan pour une économie verte… dans lequel il manque certainement l’idée de contrer lesdits changements climatiques ! « Il faut absolument poursuivre les pressions auprès du gouvernement Legault, mais il faut également se réapproprier les leviers de la prise de décision à l’échelle locale. Les membres du Front commun pour la transition énergétique ont de très nombreuses idées à mettre sur la table, comme le Pacte, avec ses 101 idées pour la relance. En favorisant une telle concertation à l’échelle locale, notamment, cela permettrait d’identifier les problèmes et de proposer des solutions qui pourraient être appuyées par un Fonds de la transition doté de moyens !  », conclut celle qui, tout comme les citoyen·ne·s engagé·e·s dans cette nécessaire coalition, n’a pas fini d’ébranler les colonnes du temple (… de la surconsommation).

 

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