Numérique ou papier ? L’impact environnemental d’À bâbord !

No 86 - décembre 2020

Environnement

Numérique ou papier ? L’impact environnemental d’À bâbord !

Xavier P.-Laberge

Considérant que le papier nécessite soit de couper du bois, soit une certaine quantité d’énergie pour l’utilisation des fibres recyclées, plusieurs se tournent dorénavant vers la publication numérique dans une perspective environnementale. Le virage numérique est présenté comme « 0 papier », vert et respectueux de l’environnement, mais ce choix est-il réellement le plus écologique ?

S’il est difficile de répondre à cette question, c’est parce que l’impact environnemental du secteur numérique demeure méconnu. Pourtant, et malgré ce que l’on peut penser, il est loin d’être négligeable.

Imprimeries écoresponsables et FSC

Depuis de nombreuses années, le secteur de l’imprimerie a, en grande partie, effectué un virage vers une diminution de son impact environnemental, tant au niveau des émissions de gaz à effet de serre que des déchets produits. Plusieurs imprimeries ont considérablement réduit leur consommation d’eau, éliminé l’utilisation de chlore pour désencrer le papier, et produisent du papier recyclé à l’aide d’énergies renouvelables. Pour certaines de ces compagnies, on peut presque parler d’économie circulaire. De plus, le papier postconsommation encourage des changements systémiques afin, entre autres, de permettre une collaboration entre les papetières, les municipalités et leur système de récupération. Malheureusement, contrairement à l’aluminium et à la vitre, le papier ne peut pas être recyclé de manière presque infinie. En fonction de sa qualité, il peut être recyclé de cinq à sept fois.

Du côté de l’industrie forestière, des changements importants ont aussi eu lieu dans les dernières années. La nouvelle norme FSC (Forest Stewardship Council), entrée en vigueur en janvier 2020, a été développée par plusieurs parties prenantes, notamment Greenpeace Canada. Elle permet d’encadrer les pratiques de l’industrie et d’assurer une réponse à certains enjeux tels que la réconciliation avec les peuples autochtones, la crise entourant le caribou forestier et les droits des travailleurs et travailleuses. Si l’industrie est loin d’être parfaite, cette nouvelle norme force un changement de mentalité et de fonctionnement. Cette industrie, doit-on le rappeler, a longtemps fait preuve de laxisme sur ces enjeux. Malgré tout, on estime que vingt millions d’arbres sont coupés chaque année pour produire du papier, ce qui s’ajoute à l’énergie requise pour le blanchir, l’imprimer et le transporter.

Selon une recherche d’une équipe de l’Université du Québec à Chicoutimi parue dans le Journal of Industrial Ecology , la production d’un livre de poche fabriqué aux États-Unis ou au Canada génère 2,71kg de CO 2 , ce qui équivaut à environ un déplacement moyen en auto de 18km. Évidemment, l’empreinte carbone d’un livre varie d’un pays à l’autre. Par exemple, au Québec, l’empreinte est moindre, dû à notre énergie faiblement émettrice de carbone. Il est aussi possible de considérer le livre comme un réservoir de carbone parce que les arbres utilisés ont emmagasiné du carbone qui ne sera relâché qu’à la décomposition ou à la destruction du livre. On doit aussi prendre en considération qu’environ la moitié de la population emprunte ses livres à la bibliothèque ou à ses proches, ce qui implique une réduction considérable de l’empreinte par lecture.

Empreinte numérique

On ne conçoit peut-être pas aisément l’empreinte environnementale de l’industrie numérique, mais celle-ci est très tangible et en constante croissance. En effet, d’encourager les lecteurs et lectrices à se tourner vers les cellulaires, tablettes, liseuses et ordinateurs a un impact environnemental notable. Ces appareils sont constitués de plastique, mais aussi de dizaines de composants électroniques faits de métaux et minerais, de lithium et autres ressources rares et difficiles à extraire. L’extraction et la fabrication de ces matériaux sont extrêmement polluantes. Selon le Centre national de la recherche scientifique, environ 80% de l’impact environnemental est produit avant la vente de ces appareils.

Il faut aussi ajouter que chaque visionnement, envoi, téléchargement, transfert et stockage d’un document numérique est une action qui consomme de l’énergie. On estime que la recherche d’information via un moteur de recherche produit 10 kg de CO 2 par an et par internaute. L’Agence de la transition écologique de France a calculé que pour une entreprise de 100 personnes envoyant régulièrement des courriels, l’empreinte carbone annuelle serait équivalente à quatorze allers-retours Paris-New York en avion. Selon une étude de The Shift Project, la consommation de vidéos en ligne représentait, en 2019, 308 mégatonnes de CO 2 , soit l’équivalent de la production totale de l’Espagne.

Selon Charles Prémont, journaliste scientifique à Radio-Canada, 4% des émissions mondiales de GES sont liées à l’industrie numérique. Il ajoute que si la tendance se maintient, « d’ici 2025, cette proportion pourrait atteindre 8%, soit environ l’équivalent actuel de la part des émissions mondiales de GES attribuées aux voitures  ». Par exemple, selon la compagnie Apple, l’empreinte carbone de l’iPad Pro serait de 120 à 160 kg de CO 2 , tandis que selon Cleantech, elle serait d’environ 170 kg de CO 2 pour la Kindle d’Amazon.

Comparaison et cycles de vie

Il est donc nécessaire de comparer le cycle de vie des appareils numériques et celui du papier, en tenant compte de toutes les activités qui entrent en jeu dans la fabrication, l’utilisation, le transport et l’élimination du produit. Il y a donc plusieurs éléments à considérer pour effectuer ce comparatif, comme la durée de vie du médium. Jusqu’à présent, le papier semble se conserver beaucoup plus longtemps que toutes les interfaces numériques. Il n’est pas rare d’avoir des livres en très bon état après des dizaines d’années [1] .

Lors d’analyses de cycles de vie, c’est à l’étape de l’élimination que le papier remporte hors de tout doute le comparatif. Le recyclage de l’électronique représente encore aujourd’hui un grave problème environnemental et trop peu de centres traitent les appareils électroniques. Ceux-ci sont donc souvent expédiés illégalement dans d’autres pays pour y être traités et transformés. Ces pays, la Chine et le Pakistan entre autres, appliquent généralement des normes environnementales et de travail moins rigoureuses qu’au Canada. À l’échelle mondiale, seulement 20% des appareils électroniques sont recyclés. Au Québec, où on récupère davantage, 51% des ordinateurs étaient recyclés en 2015. Mais en ce qui concerne les téléphones cellulaires, l’information demeure confidentielle… Rappelons aussi que la tendance actuelle vers l’achat de nouveaux téléphones cellulaires est à tous les 18 mois.

Ainsi, le comparatif du cycle de vie démontre que les livres ont un impact environnemental moindre que la tablette et l’ordinateur à condition, selon l’organisme journalistique Unpointcinq, de lire moins de quinze à vingt livres par an, ou quarante-cinq à soixante-cinq livres neufs au total. Au-delà de cette quantité, le support numérique devient moins polluant [2]. Pour la consultation d’une facture, d’un courriel ou d’autres courts documents, la lecture en ligne est préférable si l’on prend moins de 30 minutes à le consulter. Pour ce qui est d’une revue ou d’un journal en format papier, l’impact environnemental est sensiblement le même que leur consultation en ligne, à la différence près que le papier se recycle entièrement !

Les revues et À bâbord !

En 2009, le magazine National Geographic a effectué une recherche approfondie de son empreinte carbone et a démontré que chaque copie du magazine était responsable de l’émission de 0,82 kg d’équivalents CO 2 , ce qui équivaut approximativement à la quantité émise par une automobile sur 5 kilomètres. Du côté du magazine Backpacker , le résultat était de 0,5kg et pour le magazine Discover , il serait de 0,95kg d’équivalent CO 2 [3].
 

À bâbord ! a tenté de faire le calcul, mais, n’ayant pas les moyens des revues nommées précédemment, il nous a été impossible d’obtenir un chiffre exact. Cependant, notre revue compte moins de pages que ces dernières, est imprimée par l’imprimerie québécoise Héon & Nadeau qui détient la certification FSC, et a très peu d’abonné·e·s à l’extérieur du Québec. Autrement dit, il est fort probable que l’empreinte carbone d’ À Bâbord soit moins élevée. En prenant pour modèle l’impact carbone de Backpacker , il faudrait entre 240 et 320 copies d’ À bâbord ! pour équivaloir à l’impact carbone de l’iPad Pro, et 340 pour le Kindle d’Amazon.

En résumé, nous vous conseillons encore la version papier, et surtout nous vous encourageons à passer votre exemplaire à vos proches lorsque vous l’avez terminé. À la fin de la vie du magazine, assurez-vous de le recycler. De notre côté, nous continuerons de chercher des façons de réduire notre impact environnemental. Si vous optez pour la version numérique parce que vous avez une tablette ou une liseuse, nous vous conseillons de conserver l’appareil le plus longtemps possible afin d’optimiser son utilisation d’un point de vue environnemental. Sur ces conseils, bonne lecture !


[1Pour une explication plus détaillée, écouter l’épisode du 7 janvier 2020 de Moteur de recherche, à Radio-Canada : « Livres et empreinte carbone : tout dépend de vos habitudes de lecture ». Disponible en ligne.

[2Aurélie Lagueux-Beloin, « Livre papier ou liseuse : lequel a le meilleur bilan carbone ? ». Disponible en ligne.

[3Pour plus d’exemples et de détails, voir : Magazines Canada, Compendium de l’empreinte carbone, 2016. Disponible en ligne.

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