La révolution tarifaire mise à nu

No 37 - déc. 2010 / jan. 2011

La révolution tarifaire mise à nu

Ou comment faire payer les pauvres !

Philippe Hurteau

Afin de combler le présent déficit budgétaire de l’État, le gouvernement québécois a entamé une vaste démarche de révision de ses sources de revenus. Plusieurs idées ont été avancées, dont l’option d’une augmentation de la tarification exigée en échange d’un accès à un service qui semble être retenue par le ministère des Finances. Cette « révolution tarifaire » est motivée non pas par le rétablissement de l’équilibre budgétaire, mais par un projet politique visant à transformer profondément le rôle de l’État. Par le recours à la tarification, le gouvernement opère un démantèlement du financement collectif des services publics au profit d’un financement individualisé basé sur le principe de l’utilisateur-payeur. Ce passage d’un régime fiscal vers un autre a également comme résultat d’importer au sein des services publics les pratiques managériales issues de l’entreprise privée.

Je me propose dans ce court texte d’effectuer une rapide analyse des impacts de l’application de la révolution tarifaire.1 Il ne s’agit pas tant d’étudier le contenu concret du dernier budget du Québec que les recommandations des différents experts qui ont encadré le travail du ministère des Finances. De l’aveu même du ministre Bachand, son budget n’est que l’amorce de transformations qu’il désire profondes et structurantes. En analysant les propositions émanant des rapports Castonguay, Montmarquette et des fascicules du comité consultatif sur les finances publiques, il est possible de dresser aujourd’hui un portrait de ce que sera la tarification des services publics demain.

Dans quatre secteurs, tentons de projeter à quoi ressemblera l’univers tarifaire d’ici quelques années :

Santé : imposition d’une contribution santé obligatoire de 200 $ par année et par adulte et instauration d’un ticket modérateur (25 $ par visite médicale).

Éducation universitaire : hausse des droits de scolarité pour qu’ils rejoignent la moyenne canadienne en passant de 2 180 $ à 5 329 $ pour une année complète d’étude.

Électricité : augmentation moyenne de 10,1 ¢ /kWh des tarifs d’électricité afin d’atteindre le « prix du marché » nord-américain.

Garderie : accroissement des tarifs des CPE de 7 $ à 10 $ par jour.

Tarification et fiscalité régressive

Les augmentations tarifaires, au même titre que les augmentations de la TVQ, représentent l’un des aboutissements des politiques néolibérales des dernières décennies. Après une dizaine d’années d’application de baisses d’impôt, le même gouvernement, qui s’est volontairement privé de revenus, veut maintenant renflouer ses coffres par des hausses tarifaires. On constate alors que l’un des principaux objectifs du néolibéralisme se réalise : le passage d’une fiscalité progressive qui permet le financement collectif des services publics à une fiscalité régressive visant l’individualisation de ce financement.

Concrètement, les tableaux suivants détaillent de quelle manière sera ressentie la mise en pratique de la révolution tarifaire. Dans chacun des tableaux, les hausses projetées pour la santé et pour l’électricité sont prises en compte puisqu’il s’agit de services qui ne relèvent pas de choix individuels : quand on est malade, il faut se faire soigner et l’hiver, il faut se chauffer. Le tableau 1 ajoute aux secteurs de la santé et de l’électricité celui des services de garde.

Dans ce cas, on constate que l’imposition de nouveaux tarifs représentera une augmentation de la ponction fiscale de 4,50 % des revenus après impôt pour une famille ayant des revenus moyens. Cette augmentation ne représente qu’une augmentation de 1,08 % pour le 5e quintile (194 500 $) et de 0,69 % et moins pour le dernier décile (305 000 $). Un ménage avec un revenu de 24 410 $ après impôt devra débourser 19,74 % de son revenu en tarifs pour à la fois avoir accès aux services de santé, se chauffer et envoyer un enfant en garderie.

Le tableau 2 illustre le même effet régressif lié à la tarification, mais cette fois en se basant sur les secteurs de la santé, de l’électricité et de l’éducation universitaire.

Cette situation illustre bien l’accentuation importante de la part des revenus familiaux destinés à payer les tarifs. Un ménage avec un revenu après impôt de 40 400 $ devra payer une contribution fiscale supplémentaire de 10,86 % de ses revenus contre un taux d’effort de 2,40 % pour un ménage avec des revenus de 194 500 $ et de 1,53 % pour un ménage très fortuné.

Marchandisation du rapport de la population aux services publics

En plus du caractère régressif des mesures tarifaires décrites précédemment, on constate qu’elles ne consisteront pas, pour l’essentiel, à refinancer des services qui en auraient grandement besoin, mais plutôt à les soumettre à un rapport marchand se conformant aux pratiques caractéristiques de l’entreprise privée. Dans cette optique, les Québécoises ne sont plus considérés comme des usagers de services financés à même leurs impôts, mais de simples consommateurs de services dont on occulte la portée sociale.

À titre d’utilisateurs-payeurs, les usagers de services publics sont d’abord conçus comme des « sources de revenus » pour des gestionnaires publics qui verront le financement de leurs établissements de plus en plus assujettis non plus d’abord aux besoins de la population, mais à leur capacité de rentabiliser la santé, l’éducation, les garderies ou le chauffage résidentiel. Cette marchandisation du bien commun qu’opère la tarification prend bien entendu plusieurs visages.

Hydro-Québec se transforme progressivement en société d’État à vocation purement commerciale destinée à renflouer les coffres de l’État vidés par une décennie de saccage fiscal. Sa mission fondamentale de fournir de l’électricité à bas prix aux Québécois et aux Québécoises sur l’ensemble du territoire est ainsi délaissée. Les universités ne sont plus pensées comme des lieux de rayonnement culturel, de transmission du savoir ou de développement de l’esprit critique, mais uniquement comme des espaces dans lesquels les individus sont invités à valoriser leur capital humain dans la perspective de dégoter n’importe quel emploi. Le système de santé, d’assurance collective visant à garantir à la population un accès universel à des soins, est délaissé au profit d’un discours culpabilisateur sur la responsabilisation individuelle et sur la prise de conscience de chacun des coûts sociaux qu’il ou elle engendre lors d’une visite à l’hôpital.

L’étude de la question tarifaire nous mène donc à la conclusion suivante : par l’intensification du recours à la tarification, on ne cherche pas à augmenter le financement des services publics afin de les pérenniser dans le temps. Au contraire, les risques de privatisation se trouvent augmentés par l’application de la « révolution culturelle » du ministre Bachand. Dans cette révolution, la distinction entre services fournis par le secteur public et services issus des compagnies privées tend à s’estomper au point de rendre indissociables l’un et l’autre.

Conclusion

Pour conclure, la tarification accrue des services publics n’est pas un simple moyen, mais une fin en soi. Cette priorité à la tarification vise à instaurer un rapport marchand axé sur une relation individualisée de type coûts-bénéfices entre les usagers et usagères et les services publics. Elle vise également à transformer ces services en lieux de valorisation économique, c’est-à-dire – sur le mode de l’entreprise privée – en organisations visant la rentabilité plutôt que la dispensation de services de qualité. Enfin, on peut se demander si une dernière finalité des réformes proposées n’est pas de pousser le système fiscal québécois vers le modèle de l’impôt à montant unique (flat tax), qui permet aux plus fortunées de réduire de beaucoup leur quote-part à un système de redistribution de la richesse dont ils et elles se passeraient bien désormais.

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