Dossier : Transition écologique. Le

Entrevue avec Tania Larivière, militante anishinabekwe

Pour une symbiose entre l’être et la nature

Tania Larivière, Amélie Nguyen

L’idée d’une transition écologique est un concept étranger aux nations autochtones puisque la prise en compte de la nature et de l’écologie y est inhérente et fait donc partie de leur culture. Le territoire, c’est ce qui nous identifie en tant que Nation, dit la représentante jeunesse pour Femmes autochtones du Québec. Il s’agit moins pour nous d’une « transition » que d’une transmission de ces valeurs.

AB ! : L’idée d’une transition écologique est-elle étrangère à la vision autochtone  ?

Lorsqu’on ajoute le mot « autochtone » après un certain terme, on peut tout de suite en conclure que ça ne vient pas nécessairement de nous. Si ces concepts nous appartenaient véritablement, on aurait un mot pour les nommer dans nos langues. L’idée d’une perspective écologiste autochtone ne fait pas exception. Il est plutôt question ici de comprendre que notre vision se fonde sur un paradigme qui se distingue de la pensée occidentale.

C’est certain qu’avec l’impact de la colonisation, c’est difficile, mais ce n’est pas tant une transition qu’un retour aux valeurs des générations qui précèdent les tactiques coloniales et agressives d’assimilation subies par les Premières nations. Bref, le respect de la nature fait déjà partie de nos cultures, donc il s’agit de faire un retour de plein gré vers ça.

AB ! En quoi une perspective autochtone d’un changement de paradigme économique, social, politique peut-elle être porteuse pour nourrir différemment les luttes écologistes ?

Pour plusieurs des Premières Nations, la nature fait partie intégrante de l’identité. Les différents paradigmes autochtones prônent pour la plupart une symbiose entre l’être et la nature. Il est dans notre intérêt de retourner vers cette manière de voir le monde. Ainsi, nous pouvons partager nos manières avec nos homologues allochtones, leur permettant d’intégrer ces valeurs à leur vision et de faire une transition vers un autre type de paradigme qui prenne en compte le fait que la nature, ce n’est pas nous qui la possédons, mais bien elle qui fait partie de nous et qu’elle nous aide à nous ancrer dans notre identité, notre vie. Voir le monde de cette manière ne devrait pas être seulement une perspective autochtone, mais bien une qui est commune.

Notre rôle en tant que protecteurs de notre territoire – en tant que personnes ayant un fort attachement culturel au territoire – c’est de nous assurer qu’on transmette ces valeurs aux gens avec qui on partage cet environnement et ces territoires. Une société capitaliste dans laquelle règne l’esprit du profit n’avantage pas la conscience écologiste qui nous invite à faire particulièrement attention à nos habitudes de consommation. De plus, avec une mentalité de profit, on a tendance à vouloir que la nature se soumette à nous, êtres humains, pour qu’on puisse combler ces besoins de profit. Ça ne fait pas partie de l’ordre naturel des choses observé dans le paradigme autochtone.

C’est certain qu’on mène de grandes luttes pour nos droits ancestraux, pour nos territoires, mais ce n’est pas juste pour nous. On le fait pour toutes celles et tous ceux qui partagent ces territoires-là aujourd’hui. Notre identité et même notre histoire commune sont définies par le territoire. Pour notre bien commun, un changement de paradigme devra se faire, et ce, de manière graduelle. Ainsi, notre rôle en tant qu’Autochtones est de s’assurer que cette transition se fasse, car nous sommes considérés comme les gardiens de ces terres-là.

AB !  : Selon vous, quelles sont en ce moment les luttes autochtones qui nécessiteront un appui populaire dans les mois à venir  ?

C’est tellement difficile de choisir parce que chacune de ces luttes vaut la peine. C’est certain que si je réponds à cette question-là, ce sera très lié à mon attachement au territoire de l’Eeyou Istchee d’où je viens, soit la Baie-James. En réalité, c’est une chose qui est franchement occidentale, non-autochtone, de vouloir diviser les territoires pour ensuite décider qu’il y a un endroit qui est plus important que l’autre. En réalité, tout est interconnecté. Au sujet de la contribution des gens qui veulent s’allier à nos luttes, le plus important c’est vraiment de s’informer en fonction d’où ils sont, de leur contexte et puis de voir comment ils peuvent se mobiliser.

Il y a beaucoup de choses qui se passent en ce moment : chaque communauté a ses luttes. Si quelqu’un prend en compte les paroles que je partage avec toi, son devoir serait de voir quelle est la communauté la plus proche de chez lui et de voir ce qui se passe là.

AB ! : Quelles sont les manières de décoloniser ces relations de solidarité entre Nations et de questionner les relations de pouvoir ?

Le plus important, c’est de s’éduquer et de s’assurer d’avoir les bonnes informations. Il faut que l’allié·e prenne conscience de toutes les choses qu’on a vécues historiquement en tant que peuples autochtones, que ce soient les luttes qu’on a menées dans le passé ou les impacts des politiques coloniales telles que la Loi sur les Indiens. Il faut savoir ce qui cause tant d’obstacles, les subtilités qui créent des dynamiques un peu difficiles dans nos luttes. C’est important pour les allié·e·s de savoir ceci, mais pour nous aussi les Autochtones puisque nous aussi on doit vous rejoindre à mi-chemin. Ce n’est pas juste à vous de faire tout le chemin, il faut se rejoindre à un point commun et nous devons utiliser notre droit à l’autodétermination également.

L’idée, c’est que le dialogue entre les Nations est très important. On est à une heure où la réconciliation est supposément très importante pour le gouvernement. Mais pour le moment, on utilise le terme réconciliation pour dire « ah, on a de bonnes intentions », mais on n’agit pas comme si on voulait vraiment cette réconciliation. Il faut vraiment comprendre le contexte et comment on peut faire avancer cette soi-disant réconciliation.

Au final, c’est tout simplement d’être informé et d’avoir un esprit critique par rapport aux informations qui sont reçues, surtout dans les nouvelles. C’est important que chacun fasse sa propre analyse de la situation parce qu’il est difficile de trouver des sources d’information qui soient neutres. De notre bord, c’est notre attachement identitaire, culturel, historique au territoire qui fait qu’on en a une perspective différente. La manière qu’on a de communiquer avec nos mots peut sembler extrême pour certain·e·s ou avoir une intensité que d’autres gens ne comprennent pas. Ceci résulte parfois en préjugés tels que « les nations autochtones ne veulent pas partager leur territoire avec nous. Elles sont un peu extrêmes quant à l’environnement – elles exagèrent ! ».

AB !  : Selon vous, les femmes autochtones ont-elles un rôle particulier à jouer quant à la défense du territoire ?

Oui, absolument ! Par exemple, on dit que les femmes sont « porteuses d’eau » et c’est pour ça qu’en tant que femmes autochtones on a culturellement le devoir de protéger l’eau, la source de vie ultime. D’ailleurs, dans certaines de nos langues, il n’y a pas de distinction entre le féminin et le masculin, mais on parle de la Terre comme une mère parce qu’elle porte la vie tout comme nos mères l’ont fait.

Aujourd’hui, les femmes autochtones sont beaucoup au front de nos luttes parce qu’elles comprennent ce rôle de mère – ce rôle de femmes autochtones qui portent en elles les générations futures. Les femmes jouent un grand rôle dans beaucoup de nos mouvements sociaux et la plupart du temps ce sont les femmes qui en sont les instigatrices.

Cependant, notons bien qu’elles font le tout en prenant soin d’inclure les hommes dans le processus. Dans certaines des cultures autochtones, la complémentarité entre les rôles est importante pour être en équilibre. Ceci se reflète notamment dans nos structures traditionnelles de gouvernance et notre manière de voir le monde.

AB !  : On voit à l’international que les femmes qui défendent leur territoire sont particulièrement victimes de répression ou de stigmatisation dans leur milieu. Est-ce que cela se reflète aussi ici ?

Ça dépend vraiment du contexte : la répression ou la stigmatisation ne se vit pas toujours de la même manière pour chacune de ces militantes. En menant de grandes actions ou en créant de grands mouvements, elles peuvent se mettre à dos les gens qui ne croient pas nécessairement aux mêmes valeurs qu’elles. Nous avons parlé beaucoup du paradigme autochtone : le fait est que ce n’est pas tous les membres des Premières Nations qui le possèdent ou qui le mettent en pratique. Ce n’est pas tout le monde qui aura la même manière de concevoir le monde, ni la même manière de comprendre un enjeu. C’est certain qu’il y aura un certain degré de marginalisation puisqu’elles vont dénoncer les politiques absurdes en vigueur sur nos territoires ou par rapport à notre culture. Ce genre de dénonciation n’est pas toujours accueilli avec le sourire. Au plan personnel, le temps qu’elles investissent dans ces causes peut avoir un impact sur leur vie, mais la mobilisation qu’elles créent au nom de nos droits et territoires en vaut la peine. En luttant pour ce en quoi elles croient, elles créent les alliances entre les différentes Premières Nations qui permettent de mener des luttes communes.

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