Renégociations de l’ALENA. Une nécessaire solidarité avec le peuple mexicain

No 71 - oct. / nov. 2017

Renégociations de l’ALENA. Une nécessaire solidarité avec le peuple mexicain

Amélie Nguyen

En mai dernier, des groupes et mouvements sociaux du Canada, des États-Unis et du Mexique se réunissaient à Mexico afin de définir une position commune dans le cadre des renégociations de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Malgré cette représentation fort diversifiée, cela n’a pas empêché l’atteinte d’un rare consensus trinational entre les organisations présentes : le rejet du modèle actuel de libre-échange, tel que mis en œuvre par l’ALENA, et son processus de négociation.

Des trois jours de discussion, on constate d’abord que les violations des droits humains augmentent à chaque jour au Mexique et d’autant plus depuis l’adoption de l’ALENA. Avec la montée du narcotrafic, il y existe une violence généralisée et normalisée qui implique plus d’agressions faites aux femmes et aux voix dissidentes. La population fait face à une impunité quasi-totale des gens au pouvoir et des chefs d’entreprises qui se rendent coupables de violations de droits afin de maintenir leurs profits faramineux et leur influence. La corruption est disséminée à travers l’ensemble de l’appareil d’État, minant la confiance des Mexicain·e·s envers ces institutions. Au niveau syndical, un processus d’accréditation sous la mainmise des gens d’affaires et de syndicats jaunes ou blancs, vendus au gouvernement actuel, fait en sorte que plus de 90 % d’entre eux défendent les intérêts des grandes compagnies et des hauts-placés de l’État plutôt que ceux de leurs membres. Pour les 10 % restants, les quelques syndicats indépendants, leur lutte est admirable, à contre-courant, mais fort risquée, certains recevant régulièrement des menaces de mort. L’une des explications est que menacer les profits des grandes compagnies locales ou étrangères, c’est aussi menacer les gains des narcotraficant·e·s armé·e·s qui sont les principaux investisseurs au pays. L’argent y est en grande partie entre les mains du crime organisé.

La légitimité du gouvernement mexicain pour négocier un nouvel ALENA est d’ailleurs remise en cause par les mouvements sociaux mexicains qui précisent que la population appuie peu ou pas la gestion du pays par Peña Nieto. De plus, l’imminence des élections présidentielles prévues en juin 2018 leur fait craindre que ce dernier ne cède beaucoup trop aux intérêts américains et canadiens. Par conséquent, tout comme les groupes des deux autres pays, ils dénoncent le secret complet derrière lequel se déroulent les discussions et demandent « des négociations transparentes et démocratiques, incluant une discussion ample et informée avec tous les secteurs de la population et des organisations, tout comme un accompagnement actif du Sénat pendant le débat et son approbation finale du texte » [1].

Les impacts du traité au Mexique

Sur le plan économique, le mode de vie paysan et autochtone et la souveraineté alimentaire ont été gravement affaiblis depuis l’ALENA : « Le modèle néolibéral a été caractérisé par une priorité à la croissance industrielle et urbaine, au détriment du développement rural » [2]. Auparavant, le Mexique n’importait par exemple que 15 % de sa consommation nationale de riz pour 85 % produits nationalement. Aujourd’hui, 23 ans après l’adoption de l’ALENA, ce sont 90 % de la consommation nationale de riz qui sont importés de l’étranger, menaçant la souveraineté alimentaire en cas de fluctuation des prix internationaux ou des devises. La compétition déloyale de grandes compagnies subventionnées par les États-Unis notamment, accompagnée de modifications de la législation nationale facilitant l’accaparement des terres par le secteur privé (tel que Monsanto et Dupont, sous le gouvernement Salinas), ainsi que la propagation d’un mode d’agriculture industriel (sous le gouvernement Calderón) résultent en une importante restructuration de la société mexicaine. Elle laisse dans son sillage plusieurs paysan·ne·s désœuvré·e·s et appauvri·e·s enclins à accepter les conditions de travail offertes notamment par les maquiladoras, les usines de production de matériel électronique, d’automobiles et les compagnies minières, préparées à exploiter leur misère et à voler leurs terres. En 2017, ce sont 40 % des agricultrices et agriculteurs mexicain·e·s qui vivent dans l’extrême pauvreté et des 50 millions de pauvres répertoriés par l’institut de statistiques national, 30 millions sont en zone rurale [3].

Une solidarité durable, au-delà du libre-échange

Durant la rencontre, les représentant·e·s mexicain·e·s ont fait des appels réguliers à créer un bloc solidaire entre les mouvements sociaux des trois pays qui irait au-delà de l’ALENA, pour la défense collective des droits humains et des luttes sociales des populations. Ils souhaitent un autre modèle de coopération et de complémentarité entre les peuples du Mexique, du Canada et des États-Unis et en appellent à : « une mobilisation de grande ampleur et unitaire du peuple mexicain en Alliance et en coordination avec les coalitions similaires des États-Unis et du Canada afin de contrer le modèle actuel uniquement basé sur la loi du marché et qui vise à augmenter les profits des grandes compagnies  » [4].

Ainsi, ce qui ressort de la rencontre est que nous devons voir le moment actuel comme une opportunité. Les groupes mexicains ont appris à fonctionner dans un milieu violent, où la liberté d’expression est constamment menacée et sur lequel pèse lourdement le puissant pouvoir corporatif multinational appuyé par des lois ou des institutions qui cristallisent son influence. Par nécessité, ils ont appris à s’organiser, parfois clandestinement, à être créatifs, à s’adapter à des conditions qui changent parfois rapidement et à ne pas cesser de se mobiliser malgré les obstacles. Les groupes canadiens et états-uniens ont donc tout à apprendre de cette expérience solide et durable de résistance.

Penser et agir de manière trinationale

Durant les discussions, il a été suggéré de changer profondément nos manières de penser et d’agir. Les groupes mexicains ont ainsi proposé un plan d’action trinational sur le travail, ce qui impliquerait de planifier les luttes de chaque pays en prenant en compte les répercussions dans les deux autres pays et les impacts dommageables qu’a eu l’ALENA pour les travailleuses et travailleurs d’Amérique du Nord. Cela implique de considérer les délocalisations potentielles ; les inégalités des conditions de travail et des salaires ; les liens entre le dumping, la destruction de l’agriculture, la dépossession des territoires, l’industrialisation et la destruction de l’économie locale résultant de la tendance à prioriser les flux d’investissements étrangers et les exportations ; la relation entre cette tendance et la croissance de l’extractivisme, l’approfondissement de la crise des droits humains au Mexique, tant civils et politiques qu’économiques, sociaux et culturels. Il sera donc nécessaire de s’entendre entre organisations pour obtenir de meilleures conditions de vie pour les populations, et en particulier pour la classe ouvrière mexicaine. Pourrions-nous penser à une campagne concertée des trois pays en faveur de la hausse des salaires minimums au Mexique ?


[1« Déclaration politique de la rencontre des organisations sociales du Canada, des États-Unis et du Mexique », 27 mai 2017. Disponible en ligne.

[2Carlos Manuel Castaños, « Consecuencias del TLCAN », La Jornada del Campo, numéro 117, 17 juin 2017. Traduction libre.

[3Jorge Witker Velasquez, « El TLCAN hacia un cambio agrícola o más de lo mismo ? », La Jornada del Campo, numéro 117, 17 juin 2017. Traduction libre.

[4Ibid. Note 1.

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