Le cas du Forum des idées pour le Québec

No 62 - déc. 2015 / janv. 2016

Regards obliques sur les Forums publics

Le cas du Forum des idées pour le Québec

Analyse du discours

Yannick Delbecque

Du 25 au 27 septembre derniers s’est tenu le Forum des idées pour le Québec. L’événement organisé par le Parti libéral du Québec avait pour thème « Un système d’éducation pour le 21e siècle ». Le programme annonçait une soixantaine de panélistes et conférenciers ainsi que la présence du premier ministre et du ministre de l’Éducation, messieurs Couillard et Blais.

L’événement a été marqué par deux mani­festations et a été l’objet de nombreuses critiques : le coût élevé de l’accès à ce « forum citoyen » (150 $) ; le fait que ce montant soit une contribution au Parti libéral alors que l’événement est présenté comme « non partisan » ; l’absence d’enseignant·e·s ou de leurs représentants syndicaux de la liste des participants invités ; le sentiment que les conférenciers sont choisis pour arriver à des conclusions prévisibles, etc.

Il est notable que ces critiques aient été diffusées publiquement avant même la tenue de l’événement. Les propositions présentées par les participant·e·s au forum auraient pourtant pu appeler des répliques ou des réfutations en règle. Un échantillon intéressant de ces propositions est ce « Manifeste sur l’éducation au Québec », publié en marge du forum par un collectif constitué essentiellement de gestionnaires. Rien dans ce manifeste ne remet en question les politiques d’austérité du gouvernement. On y propose plutôt de donner « une nouvelle impulsion à la réussite scolaire au Québec » à l’aide de mesures principalement justifiées par la compétitivité et la bonne gouvernance. Leurs idées ne sont pourtant pas nouvelles ; elles ont été répétées et critiquées à toutes les étapes de la mise en place de la nouvelle gestion publique dans le système d’éducation québécois.

C’est donc principalement la forme de l’événement qui fut dénoncée plutôt que les recommandations qui en sont issues. Tentons d’expliquer ce phénomène. Comment peut-on être opposé à ce qu’une organisation autonome, un parti politique de surcroît, organise un forum pour discuter d’un enjeu collectif fondamental comme l’éducation ? Si on est bon joueur, au nom des libertés d’expression et d’association, ne devrions-nous pas considérer un tel événement comme souhaitable, peu importe les recom­mandations qui en sont issues ?

Le forum a été présenté comme un événement « citoyen ». Tous les partis politiques organisent de tels événements, ainsi que d’autres orga­nisations politiques, par exemple les syndicats. La liste des invité·e·s prenant la parole lors de tels événements peut être considérée aussi « politiquement orientée » que la liste des intervenant·e·s du forum organisé par le Parti libéral. La participation à de tels événements est ouverte à tous – parfois gratuitement, parfois contre contribution. On peut être contre le fait que les organisateurs limitent l’accès du public à leur événement par un tarif élevé, mais tolérons aussi cette pratique au nom de la liberté d’association.

La réaction d’opposition au Forum des idées organisé par le PLQ a donc sa source dans un phénomène plus fondamental que les critiques identifiées précédemment. Une piste : ce forum fut organisé par le parti au pouvoir. La tenue d’un « forum citoyen » avec des participantes et participants choisis par le gouvernement démontre la fermeture de celui-ci plutôt que son ouverture. Le premier ministre l’a d’ailleurs confirmé en entrevue en considérant que l’absence de « cadre corporatiste » permet des discussions plus ouvertes. Il ne reconnaît donc ni la valeur des positions syndicales ni la capacité de ces « organisations corporatistes » à défendre des positions qui vont au-delà des intérêts de leurs membres.

Des consultations bidons

La réaction au Forum des idées a des racines encore plus profondes. Lors du Sommet sur l’éducation supérieure organisé par le Parti québécois pour mettre fin à la « crise sociale » de 2012, plusieurs groupes ont remis en question la pertinence de participer à cette consultation où les conclusions semblaient connues à l’avance. Les grèves étudiantes de 2012 ont d’ailleurs en partie leur source dans une autre consultation de 2010 intitulée « L’avenir des universités et leur contribution au développement du Québec ». Lors de cette rencontre, l’idée de hausser les frais de scolarité universitaires était présentée de manière si inévitable que syndicats et asso­ciations étudiantes ont quitté l’événement.

À une autre échelle, des « forums » comme les G7/8/20, les forums économiques mondiaux ou les négociations secrètes de traités internationaux ont suscité à maintes reprises de grands mouvements d’opposition. Les décisions découlant de ces consultations sont rarement soumises à de véritables consultations publiques et les positions de groupes qui s’y opposent sont ignorées ou, au mieux, tournées en dérision. Ces consultations qui nous rappellent notre impuissance existent donc à toutes les échelles politiques touchées par le néolibéralisme. On les retrouve même dans nos lieux de travail, où trop de consultations nous réduisent à une fonction d’estampillage.

Le point commun à tous ces exemples est cette culture politique où les décisions « optimales » doivent être prises par des élites proches du pouvoir. Une réplique puissante est de nous considérer nous-mêmes comme des experts, d’organiser nos propres consultations et de mettre en place nos propres idées, tout en soulignant inlassablement les erreurs de ces « experts » néolibéraux.

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