Trudeau lave-t-il plus vert que Harper ?

No 62 - déc. 2015 / janv. 2016

Environnement

Trudeau lave-t-il plus vert que Harper ?

Rémi Leroux

Une décennie de politique conservatrice sur le dossier environnemental a considérablement terni l’image du Canada sur la scène inter­nationale. Après le profond travail de sape de Stephen Harper, Justin Trudeau parviendra-t-il à rétablir la crédibilité du Canada, l’un des plus gros pollueurs de la planète ? Dans la perspective de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (COP 21), qui se tenait à Paris du 30 novembre au 11 décembre 2015, le nouveau premier ministre a manifesté des signes d’ouverture. Mais des contradictions dans son programme politique – sa position sur le projet Énergie Est en particulier – ne plaident pas toujours en sa faveur.

« Il faut que les gens comprennent que les années où le Canada était un acteur moins enthousiaste pour combattre les changements climatiques sont derrière nous. » Cette petite phrase de Justin Trudeau, prononcée alors que le leader du Parti libéral du Canada (PLC) vient de remporter l’élection fédérale, n’est évidemment pas passée inaperçue. Tout en mettant un petit coup derrière la tête de Stephen Harper, Justin Trudeau a confirmé que la donne sur le dossier environnemental allait changer.

Il était temps, car « le Canada a déjà accumulé un retard phénoménal dans la lutte contre le changement climatique  », a rappelé le Climate Action Network International (CAN-I) à la veille de la COP 21. Autrement dit, un simple rééquilibrage du balancier ne suffira pas à redorer le blason cana­dien. Justin Trudeau ne peut se contenter de rattraper le temps perdu.

Mais, les positions du PLC dans le dossier envi­ronnemental ne sont pas exemptes de contradictions et le départ des conservateurs ne doit pas les masquer. Les pressions exercées par les compagnies pétrolières, les lobbyistes et les acteurs économiques du secteur ne vont par ailleurs pas cesser. Les enjeux financiers sont bien trop considérables, tant pour les compagnies que pour l’économie canadienne. Que peut-on vraiment attendre du nouveau gouvernement ? Éléments de réponse.

Les gaz à effet de serre

Des ambitions mais pas de chiffres. Ainsi pourrait se résumer la position de Justin Trudeau concernant la réduction des gaz à effet de serre. L’inaction du gouvernement conservateur sur le sujet parallèlement à l’expansion de l’industrie pétrolière en Alberta ont largement contribué à accroître les émissions de GES canadiennes au cours des 10 dernières années, faisant du pays le neuvième plus gros émetteur mondial (0,5 milliard de tonnes de CO2).

Prudent, Justin Trudeau a annoncé qu’il se rendrait à la COP 21 sans objectifs précis de réduction, mais en emmenant dans sa valise les premiers ministres provinciaux. Une première étape importante avant de définir, dans un deuxième temps, « un cadre d’action pour lutter contre les changements climatiques » avec les provinces.

Dans ce cadre d’action figurera la création d’objectifs nationaux de réduction des émissions, a précisé le Parti libéral durant la campagne : « Des objectifs qui seront déterminés à partir des meilleures analyses économiques et scientifiques et qui devront tenir compte du coût économique et de l’impact catas­trophique qu’aurait une augmentation de plus de deux degrés de la température moyenne du globe, ainsi que de la nécessité d’une contribution du Cana­da auxefforts engagés pour éviter que cela ne se produise.  »

Au dernier G7 de juin 2015, le Canada s’est enga­gé à participer à la « décarbonisation » de l’économie. Celle-ci passera par une réduction de 40 à 70 % des émissions de GES en 2050 par rapport au niveau de 2010.

Les sables bitumineux albertains

Mais une telle réduction est-elle compatible avec les ambitions de l’industrie pétrolière ? Celle-ci entend bien tirer profit des réserves cana­diennes – estimées à 170 milliards de barils –, en doublant, voire en triplant la production de pétrole des sables bitumineux d’ici 2050. Un pétro­le que l’industrie veut exporter en s’appuyant sur quatre grands projets d’oléoducs : Keystone XL, Énergie Est, Northern Gateway, 9B Enbridge.

Tant sur l’extraction que sur le transport de pétro­le, Justin Trudeau n’a pas fait preuve de fermeté ni de réelle détermination. Interrogé par la Fondation Coule pas chez nous pendant la campagne électorale, le Parti libéral a rappelé qu’il n’appartenait pas au gouvernement « de faire pencher la balance en faveur des promoteurs de tel ou tel projet ou de ses opposants. Les administrations publi­ques octroient des permis, mais seules les communautés détiennent le pouvoir de les approuver ». Même s’il semble déterminé à supprimer graduellement les subventions accordées à la production de combustibles fossiles, Justin Trudeau va devoir se positionner plus clairement face à l’industrie pétrolière.

Idem sur le dossier du transport du pétrole. Selon Annie Chaloux, professeure à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke interrogée dans Le Devoir en octobre, le nouveau premier ministre va devoir rapidement régler sa position « incohérente » par rapport aux infrastructures de transport de pétrole. S’il est opposé au projet Northern Gateway, destiné à acheminer le pétrole albertain par l’ouest du Cana­da, il n’a pas fermé la porte au projet Énergie Est de TransCanada, qui doit permettre de transporter 1,1 million de barils par jour de l’Alberta vers le Nouveau-Brunswick, via le Québec. Quant au projet de pipeline Keystone XL, qui doit acheminer le pétrole albertain au golfe du Mexique, le président américain a annoncé début novembre que les États-Unis ne délivreraient pas de permis à la société TransCanada pour la construction de son oléoduc. Une décision qui, de l’avis même de Barack Obama, a « déçu » Justin Trudeau.

Une étude récente (novembre 2015) du groupe environnemental Oil Change International révè­le que le réseau d’oléoducs canadien a atteint 89 % de sa capacité. Dès 2017, précise l’ONG américaine, la production de pétrole pourrait bien dépasser la capacité des pipelines. « L’opposition aux pipelines, conclut l’étude, a créé une situ­ation où aucun nouveau projet de sables bitumineux ne peut être développé », vouant l’industrie à « une croissance nulle ». La pression exercée par les pétro­lières sur les épaules de Justin Trudeau n’en sera que plus grande…

Les processus d’évaluation environnementale

Le Parti libéral s’est par ailleurs engagé à revoir les processus d’évaluation environnementale en vigueur au Canada, démantelés par le gouvernement conservateur au fil des ans, avec entre autres pour objectifs « de ré-instituer une surveillance rigoureuse et des évaluations environnementales approfondies dans les domaines qui relèvent de la compétence fédérale et de garantir que les décisions se fondent sur des faits et sur des données scientifiques et probantes, et qu’elles sont dans l’intérêt du public  ». La logique sera la même en ce qui concerne les projets de transports de pétrole, a promis Justin Trudeau, puisque « leur mise en œuvre doit être assujettie aux évaluations environnementales et aux examens les plus rigoureux, le gouvernement ne devant pas chercher à passer outre à une évaluation environnementale si ses conclusions vont à l’encontre de l’exécution d’un projet. »

Enfin, le nouveau gouvernement devrait annuler les modifications apportées par Stephen Harper à la Loi sur les pêches et remettre en vigueur des mesures de protection de l’environnement vidées de leur substance par les conservateurs, en particulier la Loi sur la protection des voies navigables.

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