Dossier : Europe - Peuples en (...)

La « crise » des réfugié.e.s

Les limites de l’Europe

Dossier : Europe - Peuples en mouvement

Caroline Brodeur, François Crépeau, Ricardo Peñafiel

Une situation de violence structurelle s’abat aujourd’hui plus que jamais sur les populations en situation de vulnérabilité cherchant refuge en Europe. L’incapacité des leaders européens à accueillir et à intégrer ces réfugié·e·s demandeurs·euses d’asile expose les limites du droit européen et international, de même que celles du projet européen dans son ensemble. À bâbord ! a rencontré François Crépeau, professeur de droit international à l’Université McGill et Rapporteur spécial des Nations unies sur les droits de l’Homme des migrants, pour discuter des problèmes et défis mis en lumière par ce déplacement inévitable de populations. Résumé critique d’une crise politique.

« Cette “crise”, nous l’avons provoquée »

L’Europe fait face à l’une des pires crises migratoires de son histoire, avec l’arrivée, non contrôlée, de près de 800 000 réfugié·e·s et migrant e·s depuis le début de l’année sur son territoire. Ce nombre effarant s’accompagne d’une tragédie sans nom, avec ses naufragés, ses morts, ses orphelins et trop de souffrances inutiles, infligées par les passeurs autant que par les autorités et les employeurs en terre d’« accueil ». Mais ce drame humain, nous dit François Crépeau, « c’est nous qui l’avons provoqué ». En bloquant les frontières, on pousse les gens à prendre la mer et à mettre en danger leur vie et celle de leur famille sur des embarcations de fortune, tout en payant des dizaines de milliers d’euros à des mafias de passeurs qui font entrer qui peut payer.

« Au nom du contrôle migratoire, on a perdu le contrôle migratoire…  »

« C’est absurde ! » Le Rapporteur privilégie plutôt la mise sur pied d’un programme de réétablissement direct de millions de Syriens, d’Érythréens, d’Afghans, d’Irakiens et d’autres réfugiés et « migrants de survie » vers les pays du Nord. Des délégations de ces pays d’accueil pourraient ainsi délivrer sur place, au Moyen-Orient, des statuts de réfugiés par centaines de milliers, mais de manière organisée. Les gens feraient la queue devant ces délégations, ne mettraient plus leur vie en danger, nous aurions un meilleur contrôle du flux migratoire et l’économie informelle des passeurs clandestins serait court-circuitée.

« Mettre fin aux blocages, c’est enrayer le phénomène des passeurs »

C’est ce qui est arrivé au moment de la création de l’espace Schengen, nous dit François Crépeau. L’ouverture des frontières entre les pays d’Europe a mis un terme au phénomène des passeurs, entre les pays européens, et aux abus en résultant. La solution réside donc dans l’accueil des réfugié·e·s et la concertation entre les pays membres de l’Union européenne pour se partager le nombre. Cela suppose la reconnaissance directe et sans délai des réfugié·e·s à titre de résidents européens pour permettre aux familles de s’installer et de s’intégrer rapidement. Il n’y a rien d’exceptionnel dans cette approche : nous avons vu une ouverture similaire dans de nombreux pays, notamment au Canada, lors de l’accueil des Indochinois au cours des années 1980.

Ce n’est « pas une crise de capacité, mais bien une crise de leadership »

L’Europe et le Nord global sont à même d’accueillir, sans problème, deux millions de réfugié·e·s en cinq ans selon François Crépeau. Ce nombre est facilement absorbable si on le distribue équitablement avec des critères de population, d’économie et de capacité institutionnelle des pays hôtes. De plus, il a été maintes fois établi scientifiquement que les migrant·e·s et les réfugié·e·s ne représentent pas un « fardeau » pour les économies des pays d’accueil, mais bien un apport de sang neuf. Par contre, souligne le Rapporteur spécial, « depuis les années 1980 en Europe, l’establishment politique a laissé la question migratoire et identitaire aux partis d’extrême droite » qui avancent des formules comme « Deux millions d’immigrants = deux millions de chômeurs ». Et les leaders « centristes » ont été incapables de produire un réel contre-discours se basant sur l’ouverture à l’autre et au monde, à la diversité sociale et religieuse et luttant contre les discriminations de toutes sortes.

« Je crains une réaction anti-immigration et anti-droits de l’Homme »

Aujourd’hui, en Europe, personne n’ose tenir un discours d’ouverture à l’immigration, de peur de perdre des votes, poursuit le professeur. On a vu une certaine ouverture du côté d’Angela Merkel cet automne et des Suédois depuis trois ans, mais il existe de sérieux dangers d’un retour des contrôles aux frontières (comme avant les accords de Schengen) et de la dissolution de la libre circulation des personnes au sein de l’Union européenne par l’abandon de ses principes fondateurs, comme au moment de la crise financière de la Grèce.

Post-scriptum

Ajoutons que dans le contexte des attentats de Paris, survenus après l’entrevue avec François Crépeau, la réponse « sécuritaire » de la droite face aux réfugiés syriens fragilise encore plus cette ouverture. Il faudra une ferme volonté politique et une mobilisation de la société civile pour s’assurer que les réfugié·e·s ne paient pas doublement pour les atrocités que commet Daech.

Thèmes de recherche Immigration, refuge et racisme, Europe
Vous avez aimé cet article?
À bâbord! vit grâce au soutien de ses lectrices et lecteurs.
Partager sur        

Articlessur le même thème