God Save Justin Trudeau

No 62 - déc. 2015 / janv. 2016

Cinéma

God Save Justin Trudeau

L’adulation d’un politicien sans profondeur

Paul Beaucage

Suite à l’échec critique cuisant qu’a subi le long métrage sensationnaliste Les États-Désunis du Canada (2012), nous avons formulé le souhait que les coréalisateurs Guylaine Maroist et Éric Ruel délaissent le domaine du documentaire sociopolitique, dans lequel ils ne parvenaient pas à se montrer perspicaces, pour renouer avec celui du reportage environnemental, au sein duquel ils avaient manifesté un appréciable savoir-faire aupa­ravant.

Ainsi, sans constituer des chefs-d’œuvre, des moyens métrages comme Bombes à retardement (2007), Gentilly or Not To Be (2012) ont obtenu un succès d’estime mérité en raison de leur pertinence thématique et de la solidité du propos scientifique qu’y ont développé Maroist et Ruel. Sans doute désireux de prouver sa capacité de faire un documentaire à dimension politique probante et de toucher un assez large public, le tandem de cinéastes a choisi de se pencher sur un événement caractéristique de la politique spectacle dans God Save Justin Trudeau (2015). Cette œuvre met en relief le combat de boxe public qui a opposé, en mars 2012, le député libéral fédéral de la circonscription de Papineau, Justin Trudeau, au sénateur conservateur Patrick Brazeau. Comme on le sait, Trudeau a remporté cette confrontation haut la main, déjouant ainsi les pronostics de pseudo-connaisseurs et de partisans du Parti conservateur du Canada (PCC). Pour leur part, Guylaine Maroist et Éric Ruel tentent, avec des moyens relativement modestes, de dévoiler la signification latente du pugilat que se sont livré deux personnalités tentant de briller exceptionnellement sous les feux de la rampe. Les documentaristes répondront-ils aux attentes du spectateur ?

Une représentation hagiographique

Au moment où Guylaine Maroist et Éric Ruel ont réalisé God Save Justin Trudeau, le fils de l’ancien premier ministre canadien Pierre Elliott Trudeau et le Parti libéral du Canada (PLC) leur apparaissaient comme l’alternative politique souhaitable par rapport à une réélection potentielle du Parti conservateur en 2015. Pourquoi ? Parce que, même s’ils représentaient alors l’opposition officielle à Ottawa, les député·e·s du Nouveau Parti démocratique (NPD) semblaient assez éloignés du pouvoir étant donné que, depuis que cette formation est née en 1961, elle n’a jamais pu composer un gouvernement au niveau fédéral. Par ailleurs, on a assisté en 2012 à la montée médiatique de Justin Trudeau, que des journalistes ont promptement perçu comme le successeur potentiel de Michael Ignatieff en tant que chef du Parti libéral et principal aspirant à la fonction de premier ministre du pays, qu’il occupe aujourd’hui. Dans ces circonstances, Guylaine Maroist et Éric Ruel choisissent de créer un film promouvant la personnalité de Justin Trudeau et favorisant, par ricochet, le PLC. Afin de légitimer leur démarche, les coréalisateurs s’appuient constamment sur les « confidences révélatrices » que leur fait Trudeau avant le combat et ils misent sur son triomphe sportif. Toutefois, ils négligent de s’interroger sur les considérations sociopolitiques du boxeur amateur et sur les orientations idéologiques actuelles du PLC. Selon les deux cinéastes, il importe essentiellement de renverser le gouvernement de Stephen Harper en soutenant le PLC, même si cette formation défend des valeurs politiques qui, à bien des égards, s’apparentent à celles du PCC. De sorte que, plutôt que de proposer au spectateur un film analytique, ils sombrent lamentablement dans le cinéma de propagande pro-Justin Trudeau et pro-libéral.

Un manichéisme déplorable

À l’instar de la démarche qu’ils ont adoptée pour réaliser Les États-Désunis du Canada, Guylaine Marois et Éric Ruel nous proposent un film à la vision du monde singulièrement réductrice, manichéenne. Bien sûr, ils dépeignent d’un côté le « fort sympathique » Justin Trudeau et de l’autre côté, le « très antipathique » Patrick Brazeau. Maroist et Ruel ont sélectionné des extraits filmiques de façon tendancieuse pour tracer une opposition simpliste entre Patrick Brazeau et Justin Trudeau, plutôt que de chercher à porter un regard critique sur le combat de boxe que les deux hommes se livrent, sur l’univers politico-médiatique ainsi que sur l’opportunisme politique qui caractérise ces personnalités. Cela dit, lorsque Brazeau ne suffit pas à jouer le rôle du méchant de service de la narration, ils utilisent sans retenue les reporters du défunt réseau télévisuel Sun News Network pour servir de repoussoir à la prétendue vedette montante du monde politique canadien. Ceux-ci n’ont pas caché leur débilitant conservatisme et leur pitoyable populisme durant la période au cours de laquelle ils ont pu se manifester sur les ondes canadiennes-anglaises. Malheureusement, Guylaine Maroist et Éric Ruel accordent une importance disproportionnée aux propos diffamatoires de ces folliculaires, plutôt que de chercher à analyser la signification profonde du combat que se livrent les deux pugilistes et le phénomène de la politique spectacle.

Selon nous, Guylaine Maroist et Éric Ruel se sont complètement fourvoyés en réalisant un long métrage consternant, par l’intermédiaire duquel ils cherchent à endoctriner le spectateur plutôt qu’à l’éclairer. Aussi, faut-il souhaiter que des cinéastes ayant une véritable disposition pour le documentaire politique puissent trouver leur public et l’instruire adéquatement. Quant à Maroist et Ruel, ces chantres poussifs du statu quo constitutionnel pancanadien, ces apôtres zélés de Justin Trudeau, du PLC et de l’unité canadienne, il ne nous reste plus qu’à leur souhaiter de tirer de ce nouvel échec une leçon minimale...

Thèmes de recherche Cinéma, Politique canadienne
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