Quitter le Portugal pour la Grèce

No 66 - oct. / nov. 2016

D’une crise à l’autre...

Quitter le Portugal pour la Grèce

Chronique Travail

Léa Fontaine

Tant le Portugal que la Grèce ont subi depuis les dernières années des crises destructrices qui ont sapé leur économie. Pour qu’ils résolvent leurs difficultés, on leur a imposé l’intervention de la troïka, qui a appliqué des mesures néolibérales drastiques : privatisations, compressions, remboursement prioritaire de la dette publique. Tout cela pour enfoncer davantage ces pays dans la crise. Agápios, Grec insulaire, Amílcar et Marcos, immigrés portugais, ont chacun vécu ce drame à leur façon. Récit.

La Grèce subit depuis plusieurs années de sévères mesures d’austérité imposées par le pouvoir des grands intérêts financiers. La troïka (voir encadré) est intervenue à deux reprises pour « aider » le pays à se relever. Cette même troïka et les pays européens les plus puissants ont formulé des exigences totalement inacceptables par rapport aux promesses du parti de Syriza lors de la campagne électorale de 2014-2015. Pourtant, celui-ci a réussi à être élu à la tête du pays alors même que la population avait subi des menaces prenant la forme de fermeture de banques et de contrôle encore plus sévère des capitaux. Visiblement, la Grèce ne parviendra pas à se sortir seule du marasme économique, mais tous semblent aujourd’hui lui tourner le dos, et ce, malgré la ferveur de la population grecque, qui a organisé pas moins de 20 000 manifestations en quatre ans de crise.

Le Portugal n’est pas en reste. Ce pays est en crise économique depuis 2009. Les citoyen·ne·s portugais·es ont amplement manifesté eux aussi. Le gouvernement a tergiversé quant à l’acceptation ou non d’aide extérieure, ce qui lui a valu beaucoup de critiques. Il a fini par accepter l’aide de la troïka… Le Portugal semble aujourd’hui remonter la pente.

L’employeur et les « employés »

Fin cinquantaine, Agápios fait partie de la seconde génération d’une famille venue de Turquie. Après avoir travaillé dans la vente durant toute sa vie, il subit mal les changements structuraux et idéologiques : toujours plus de ventes, toujours plus de baisses de salaire. Mentalement épuisé, il est victime d’une crise cardiaque, qui le pousse à entamer ses économies pour joindre les deux bouts. L’intense corruption, les changements imposés par le système ne font qu’aggraver sa situation financière. Il décide de repartir à zéro, en ouvrant une école de plongée loin de la capitale, loin des soucis.

Amílcar, fin trentaine, les traits tirés, estime que la société stagne. Selon lui, les travailleurs·euses du nord de l’Europe ont tendance à migrer vers le sud et à accaparer les emplois. Lorsqu’il termine ses études, les investissements qui suivent l’entrée du pays dans la Communauté européenne en 1986 sont gage de prospérité. Bien que diplômé, il ne trouve pas d’emploi ni dans le Portugal continental ni dans son archipel. Il quitte alors le pays pour l’Angleterre, où l’attend un emploi sous-payé qu’il conservera tout de même durant trois années à défaut de trouver autre chose. Encore une fois, la communauté économique fait défaut au contrat social. Désespéré, il se résigne à rentrer au pays où il cumule plusieurs jobines. Croyant le ciel plus bleu ailleurs, il part pour la Grèce pour travailler dans le tourisme.

Marcos, début vingtaine, est quant à lui issu d’un milieu plutôt privilégié et il a étudié en hôtellerie. Depuis la fin de ses études, il cumule des emplois « logés – nourris » pour se refaire une petite santé financière.

Dure pour tout le monde, la vie !

Agápios tient des propos très durs – et bien mérités – à l’égard du gouvernement et de ses politiques antisociales. Il est également indigné par le sentiment de n’être qu’un simple pion sur l’échiquier économico-politico-financier grec. Peu à peu, il perd toute confiance en des principes aussi basiques que la logique, le fairplay. L’idée de justice sociale se dissout dans les grands remous de la crise économique. Il affirme que la vie d’entrepreneur est très difficile et que tous s’en sortent comme ils le peuvent, quitte à contourner quelques législations… Il affirme avoir quatre employés. Il y a pourtant bien sept personnes qui se démènent au service des plongeuses et plongeurs et à la préparation du matériel dans son école de plongée. En fait, Agápios finit par dire qu’il a, à son service, quatre employé·e·s et trois stagiaires.

Stagiaire… Ce terme est assorti d’un a priori négatif en droit du travail. En effet, ces travailleurs·euses sont souvent non rémunérés, ou maigrement payés. Alors que certains y voient une façon efficace d’intégrer le marché du travail ou d’acquérir une première expérience de travail, d’autres considèrent qu’il s’agit purement et simplement d’une exploitation de la main-d’œuvre.

Devenu insulaire, Agápios, après quelques espoirs d’indignation, est aujourd’hui un peu démuni. Toutefois, face à cette crise qui fait tout flancher, il tente l’entraide à sa façon… bien qu’elle soit fort critiquable. Si les quatre employés grecs d’Agápios gagnent le salaire minimum, il en va autrement pour Amílcar et Marcos ainsi que pour le troisième stagiaire, Georgio, grec également. Ces derniers sont nourris, logés et gagnent dix euros par jour. Oui : dix euros par jour. Agápios n’est pourtant pas si mauvais que cela… Il est en mesure de financer correctement quatre employés, mais pas plus. Les stagiaires connaissaient dès le départ les conditions du stage : nourris, c’est toujours Marcos qui se met aux fourneaux dans le sous-sol, soit dans l’espace de réparation du matériel de plongée ; et logés, toujours dans ce même sous-sol, dans une cordée de trois lits simples. Le peu d’intimité qu’ont les stagiaires, ils le doivent à deux minuscules paravents, qui séparent les outils de travail de leur « chambre ».

Pour payer un peu plus le travail effectué par Amílcar, Marcos et Georgio, Agápios a recours à la rémunération en nature : il les laisse plonger peu à peu et leur fait passer – gratuitement – les uns après les autres, tous les diplômes pour qu’ils puissent devenir maîtres de plongée, de l’Open Water Diver au Dive Master. L’idée étant qu’ils se trouvent un vrai emploi dans le domaine de la plongée, en Grèce ou partout ailleurs dans le monde. Ces diplômes coûtent au total une petite fortune, même si cela ne compense pas le nombre d’heures de travail effectué.

Agápios profite évidemment de la situation, les stagiaires semblent pourtant beaucoup le respecter. Ils affirment même que c’est un bon patron. Dans une telle misère, qu’en penser ? En temps de crises aussi ravageuses que celles ayant touché tant le Portugal que la Grèce, on peut se demander jusqu’à quel point nous sommes en mesure de respecter nos principes. Dans cette torpeur, pouvons-nous les accommoder ou bricoler des statuts d’emploi ? Logé, nourri, diplômé, avec dix euros par jour…

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