La transition énergétique selon Philippe Couillard

No 66 - oct. / nov. 2016

Environnement

La transition énergétique selon Philippe Couillard

Dominique Bernier

À l’automne 2015, à Paris, dans le cadre de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP21), Philippe Couillard s’est posé, avec un enthousiasme jamais vu, en champion du climat, à la grande surprise de la société civile québécoise. Notre premier ministre, en proie à une soudaine illumination, aurait-il enfin compris l’importance de l’enjeu au point de modifier la stratégie libérale habituelle du laisser-faire pour amorcer une véritable transition énergétique ? Décryptage.

Dévoilée en avril dernier, la Politique énergétique 2030 du gouvernement libéral se targue de faire une large place à l’efficacité énergétique, mais ne prévoit aucune réduction globale de la consommation énergétique et présente une conception étriquée du concept. En effet, l’accent est mis sur un transfert des économies d’énergie réalisées par un secteur énergétique vers l’augmentation de la consommation d’autres secteurs, dans le but avoué de stimuler la croissance et de ne surtout pas changer de mode de vie. Business as usual, en somme.

Une politique énergétique hautement critiquable

Si une telle logique aurait pu avoir du sens à la fin du siècle dernier, lorsque l’on avait encore la latitude d’opérer une transition en douceur, l’ampleur de la crise climatique actuelle réclame de toute urgence un virage à 180 degrés, basé sur la décroissance de la consommation et de la production d’énergie. Il s’agit de la seule stratégie apte à faire face au changement climatique sans entraîner d’autres problèmes environnementaux d’importance.

Si l’investissement dans le transport en commun est le bienvenu, le remplacement de la flotte de véhicules actuels par un nombre équivalent de voitures électriques ou l’ajout d’une proportion croissante d’agrocarburants dans l’essence, tels que proposés par la politique, entraîneraient des conséquences environnementales importantes sans nécessairement avoir l’effet voulu sur le changement climatique.

Dans le premier cas, la production des composantes requises, comme les batteries, aurait pour conséquence l’augmentation dramatique de la consommation de lithium et de terres rares notamment, des éléments présents en très faibles quantités dans le sol. Donc, la prolifération de mines à ciel ouvert de type « fort tonnage, faible teneur » s’ensuivrait, avec les impacts environnementaux et sociaux qui les accompagnent.

Dans le second cas, la production d’agrocarburants est intimement liée à l’accaparement des terres agricoles, en particulier au Sud, qui prive les populations locales de la capacité de produire des aliments pour leur subsistance. Le bilan carbone de cette industrie est aussi fortement critiqué : si l’on tient compte de l’ensemble de la chaîne de production et non seulement de la combustion, les agrocarburants produisent souvent davantage de gaz à effet de serre (GES) que l’essence conventionnelle.

Le gaz naturel : grand gagnant de la politique énergétique

Par un procédé intellectuel des plus tordu, le gouvernement en est arrivé à donner au gaz naturel une place de choix dans sa stratégie de réduction des GES et, ce qui est sans doute plus désolant encore, à gagner quelques grands groupes environnementaux à sa cause. En effet, alors que la politique énergétique prévoit une réduction de la consommation de produits pétroliers de l’ordre de 40 %, la consommation de gaz naturel restera à peu près stable. Étant donné que la combustion de gaz naturel produit 27 à 30 % moins de GES que l’essence et le diesel respectivement, le gouvernement juge que la conversion des fournaises au mazout et d’une proportion des véhicules lourds au gaz naturel est un bon choix écologique.

C’est sans compter sur l’effet rebond. En effet, si l’accès au gaz naturel est facilité par une plus grande disponibilité, des subventions, l’accès à des crédits carbone ou une baisse de prix en raison du soutien gouvernemental, la consommation de ce produit (non renouvelable et fort émetteur de GES, faut-il le rappeler) est appelée à augmenter considérablement. Au point d’effacer tout gain environnemental ayant pu découler de la conversion initiale.

Cela est d’autant plus vrai que le gouvernement compte faciliter l’accès au gaz naturel liquéfié (GNL) à prix compétitif pour les projets industriels développés dans le cadre du Plan Nord, notamment dans le secteur minier, hautement énergivore. Or, l’éloignement géographique de ces projets, combiné à leur multiplication, signifie une augmentation massive de l’énergie consommée, qu’elle soit dédiée au transport ou aux procédés industriels en tant que tels.

Par exemple, le projet diamantifère Renard de Stornoway, qui est présentement en construction, sera alimenté par camions en GNL par Gaz Métro à partir de son usine de Montréal, située à plus de 1000 km. Dans la logique du gouvernement, cela se traduit par une réduction des gaz à effet de serre. Comme c’est un nouveau projet, il s’agit pourtant d’une augmentation nette.

Le gouvernement compte aussi faciliter le transport par bateau du GNL. Avec cette orientation, c’est le projet de construction d’un terminal méthanier le long du Saint-Laurent, que l’on croyait mort et enterré, qui surgit à nouveau des cartons ministériels. Doit-on s’étonner après cela que la politique n’ait que des louanges pour l’inversion de l’oléoduc 9b d’Enbridge et prétende avoir l’assurance que l’oléoduc Énergie Est de TransCanada aura un impact positif pour le Québec ?

Projet de loi 106 : donner un second souffle au colonialisme ?

Pour concrétiser la mise en œuvre de sa politique énergétique, le gouvernement a déposé, le 7 juin dernier, le projet de loi 106. Des consultations particulières ont été tenues à la mi-août. Est-ce pour faciliter la participation du plus grand nombre que le gouvernement s’efforce de toujours imposer l’étude de ses projets de loi les plus controversés en plein cœur de l’été ? Poser la question, c’est y répondre…

Car outre l’articulation, sous forme de dispositions législatives, des orientations de la politique énergétique du gouvernement, le projet de loi 106 vient livrer sur un plateau d’argent aux entreprises pétrolières et gazières des privilèges colonialistes d’un autre âge. En effet, le gouvernement souhaite intégrer dans la loi sur les hydrocarbures un copier-coller de la Loi sur les mines, une loi désuète dont l’essence, le free mining – la primauté du droit des compagnies d’exploiter les ressources non renouvelables sur tous les autres usages du territoire et sur la plupart des lois – n’a pas changé depuis sa mise en place au 19e siècle.

L’une des dispositions les plus controversées de ce projet de loi – comme de la Loi sur les mines – est sans contredit la possibilité, pour les compagnies ne réussissant pas à obtenir l’autorisation de forer par les propriétaires de terrains, d’exproprier ces derniers sans autre forme de procès.

À l’heure où tout indique qu’il faut rapidement changer d’orientation énergétique, et alors que de plus en plus d’analystes comprennent que pour ce faire, une profonde remise en question de l’ordre économique actuel s’impose, le gouvernement de Philippe Couillard choisit de s’enliser de plus en plus profondément dans l’extractivisme le plus antisocial et de miser sur de fausses solutions technologiques. Doit-on s’en étonner ? Sans doute pas. Mais tâchons de nous en souvenir lorsque celui-ci tentera de verdir son image en 2018.

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