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Dossier - Changer le monde : où allons-nous ?

Les luttes environnementales au lendemain de la COP21

Geneviève Azam

Les lendemains de la COP21 en 2015 sont loin des lendemains dépressifs de la COP15 à Copenhague. L’échec de cette conférence de 2009, après avoir été souvent durement ressenti, a finalement donné une impulsion nouvelle aux résistances et aux alternatives.

En effet, l’incapacité structurelle des États à aboutir à un accord répondant aux défis climatiques et la colonisation des négociations par les lobbies industriels et financiers ont déplacé les enjeux. C’est à l’extérieur de l’arène actuelle des négociations, dans les luttes concrètes contre les projets climaticides et leurs promoteurs, que s’édifient les alternatives pour refroidir la Terre et restaurer la justice, la solidarité et la démocratie.

Avec les manifestations concrètes des dérèglements climatiques, le réchauffement climatique n’est plus une abstraction, un cauchemar pour les « générations futures », une affaire d’experts ; il est désormais ressenti par les générations présentes, vécu, observé, en dehors des cercles des scientifiques et des lanceurs d’alerte. Il ne s’agit plus de se préoccuper d’un « environnement » conçu comme l’extérieur des sociétés humaines, comme un cadre ou une scène qu’il s’agirait de protéger et de gérer de manière durable, mais de résister concrètement à des destructions souvent irréversibles du seul habitat possible pour ces sociétés.

L’humanité concrète se trouve devant des défis inédits, car les sociétés humaines sont capables de déclencher des processus incontrôlables, dans la nature et sur la nature elle-même, de franchir des seuils critiques, des ruptures, qui s’alimentent mutuellement. Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la nature qui se défend, pouvait-on entendre à Paris dans les manifestations citoyennes organisées pendant la COP21.

Les luttes « environnementales » ont changé de visage et de sens

Ces luttes sont au croisement d’enjeux inextricablement économiques, sociaux, politiques, écologiques. Elles traduisent à la fois une prise de conscience des ravages d’une civilisation de la démesure qui a cru pouvoir séparer et opposer radicalement la nature, réduite à un « environnement » dans lequel puiser à l’infini, et les sociétés humaines, ignorant leurs limites géophysiques.

Elles traduisent également des résistances à un « capitalisme vert » qui fait de la nature une entreprise, une infrastructure de production à incorporer au cycle du capital, à une bio-économie libérale qui entend contrôler la vie en la produisant et la reproduisant, à un système économique qui accélère l’accumulation et l’extraction de ressources pour faire face à son essoufflement, à une économie du climat qui entend faire du réchauffement climatique une opportunité industrielle, technologique et financière.

Elles cherchent à combattre l’injustice propre aux changements climatiques : la moitié la plus pauvre de la population mondiale – les 3,5 milliards de personnes les plus menacées par l’intensification catastrophique des tempêtes, des sécheresses et autres phénomènes extrêmes liées aux changements climatiques – n’est responsable que de 10 % des émissions de CO2, selon le rapport d’Oxfam en 2015 [1]. Elles élargissent l’aspiration à la justice en montrant que la justice entre les humains ne peut être un horizon politique et éthique sans instituer une politique entre la communauté humaine et la Terre, sans définir des limites et des obligations.

La légitimité a changé de camp

Le réchauffement climatique est un rappel quotidien pour interroger les fondements de ce monde à la dérive : la croissance, la richesse, les besoins, le développement, la justice, le travail, la technique ne peuvent échapper à un examen critique. La poursuite des modèles de production et de consommation présents menace concrètement et quotidiennement les conditions de la vie humaine et de la vie tout court sur la Terre. Cette menace, loin de s’estomper, se rapproche, ainsi que le montrent plusieurs travaux scientifiques récents : selon l’Organisation météorologique mondiale, l’année 2016 devrait être la plus chaude année enregistrée, cela après le record de l’année 2015.

S’il est vrai, comme l’écrit Naomi Klein, que la conscience partagée de ce problème arrive à un moment où les États ont abandonné à des acteurs privés leurs leviers d’action, c’est aussi le moment où, partout dans le monde, fleurissent des initiatives, des résistances aux projets climaticides.

Les trous noirs, les silences, les marchandages et les évitements de la COP21, notamment à propos des énergies fossiles et de la fièvre extractiviste, renforcent la légitimité des résistances sociales et des alternatives. Les sociétés sont confrontées à des limites non négociables : si nous voulons contenir le réchauffement climatique en dessous des 2 °C à la fin du siècle, nous devons laisser 80 % des ressources en énergie fossile actuellement connues sous le sol. Et bien plus encore si l’objectif est de 1,5 °C. Nous pouvons regretter que cette conscience des limites soit aussi tardive, tant les alertes ont été nombreuses. C’est elle toutefois qui déclenche des basculements significatifs et redonne sens et légitimité aux résistances et alternatives systémiques.

Le capitalisme globalisé assiège violemment notre monde, les sociétés et la nature. Dans ce monde clôturé sur lui-même, les luttes écologiques empruntent souvent les voies de la désobéissance et de la dissidence massive. Après l’accord de Paris, qui revient à gérer le réchauffement climatique selon les règles du marché, du libre commerce, de la concurrence et de l’espérance technicienne au lieu de s’attaquer à ses causes, ceux qui occupent des mines de charbon, qui perturbent les sommets pétroliers, qui s’opposent à la folie extractiviste et bloquent les grands projets d’infrastructure, combattent aussi une criminalité légale, un crime d’écocide : ils exigent des règles, une loi commune combattue par une oligarchie off-shore et inventent d’autres manières d’habiter la Terre et de vivre ensemble.

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