Défis actuels pour une information alternative

No 39 - avril / mai 2011

Médias

Défis actuels pour une information alternative

Bernard Rioux

Dans le paysage médiatique, le contexte québécois se caractérise par la monopolisation des plus puissants moyens d’expression dans les mains de deux principaux groupes : Gesca et Quebecor. L’informa­tion produite par ces monopoles est essentiellement formatée pour défendre les intérêts de l’oligarchie régnante. Leurs médias constituent pour la classe dirigeante un moyen d’imposer les questions dont il importe de débattre à tel ou tel moment (ampleur du déficit, exploitation des gaz de schiste, rigueur budgétaire, etc.), d’en occulter bien d’autres et de distribuer la parole aux défenseurs des riches et des puissants dans les journaux, à la radio, à la télévision comme sur Internet.

La production de l’information par les forces sociales progressistes alternatives reste éclatée et est loin de pouvoir faire jusqu’ici contrepoids à l’information dominante. Des débats essentiels et des problématiques concernant l’ensemble des citoyennes restent négligés par une information dont la production est d’abord soumise à une logique marchande et publicitaire. La concentration de la production de l’information dans les mains d’empires médiatiques au Québec est jugée déraisonnable et injuste par des secteurs importants de la population. Mais en même temps, si une aspiration à dépasser cette situation se fait de plus en plus pressante chez certains, chez d’autres, une résignation devant cette concentration s’est installée. Ainsi, le rapport Payette – L’information au Québec, un intérêt public [1] – reconnaît que la concentration de la presse et la logique d’une rentabilité maximum à tout prix entrent en contradiction directe avec la qualité de l’information, mais il se refuse à faire la moindre recommandation à cet égard et passe ainsi à côté de l’essentiel.
Des réformes radicales seront nécessaires pour démanteler ce système de domination des médias : loi contre la concentration financière et industrielle des médias, droits accordés à l’autonomie des rédactions, défense des droits syndicaux et professionnels du personnel de ces journaux qui, depuis des années maintenant, font face aux attaques des grands patrons de la presse. La liberté de la presse sera à ce prix.
À l’heure de la concentration de la presse, de la pensée unique, de la fabrication orchestrée du consentement, il est plus que jamais nécessaire que se développe au Québec une alternative indépendante capable de faire écho aux luttes et de faire entendre la voix de ceux et celles qui s’opposent au néolibéralisme conquérant, aux injustices et aux destructions qu’il porte dans son sillage. Les médias syndicaux, communautaires, écologistes et étudiants apportent déjà des contributions importantes à une information véritable. Mais ces médias visent des lectorats ciblés et peuvent difficilement, pour cela, devenir des instruments d’information de masse, des lieux de débats démocratiques et de développement d’un esprit critique pour de larges couches de la population.

Une proposition

C’est pourquoi nous croyons essentiel de poser à nouveau la question de l’ouverture d’un débat central autour d’une orientation générale favorisant les initiatives visant à renforcer l’autonomie des grands médias par rapport à l’oligarchie régnante, et à identifier les modalités que pourrait prendre la construction citoyenne de médias alternatifs capables de s’adresser au plus grand nombre et fruit du travail commun de toutes les personnes impliquées dans le travail de transformation sociale. Il faut ensemble déterminer les modèles de collaboration qui permettraient de dépasser la situation de médias minoritaires pour que la majorité sociale trouve le poids qui lui revient dans la fabrication de l’information nécessaire à toute œuvre de transformation sociale véritable.
Le défi est de travailler ensemble. Le défi est de passer d’un fonctionnement en vase clos de chacun de nos médias à l’établissement d’une convergence permettant d’organiser systématiquement un véritable travail collaboratif pour créer un outil de production d’informations, un lieu d’échanges et une plateforme de diffusion. Il s’agit de réunir les volontés de ceux qui veulent dépasser les approches locales ou sectorielles et de se donner les moyens de devenir un porte-voix pour des centaines d’organisations et les milliers de militantes qui pensent qu’il est essentiel de s’orienter dès maintenant vers la construction d’une presse alternative capable de s’opposer, à une échelle de masse, au discours dominant.
C’est pourquoi il faut dès maintenant élargir la collaboration entre les différents médias alternatifs de différents milieux pour, le moment venu, dépasser ce processus collaboratif vers une initiative de travail commun autour d’un médium à caractère de masse. C’est un débat maintes fois repris, mais il nous semble que dans le moment actuel, sa résolution est devenue de plus en plus incontournable.


[1Le rapport est disponible sur le site Internet du Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec : www.etatdelinfo.qc.ca.

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