No 47 - déc. 2012 / jan. 2013

Culture

Magnus Isacsson

Retour sur une amitié

Ole Gjerstad

Magnus Isacsson s’est éteint à Montréal le 2 août 2012. Né en Suède en 1948, le réalisateur était une voix importante et très respectée des milieux cinématographique et militants en raison de sa filmographie explorant des enjeux sociaux et politiques qui lui étaient chers. Le texte qui suit est l’hommage que lui a rendu son ami de longue date Ole Gjerstad lors de la commémoration du cinéaste le 22 septembre dernier à la Cinémathèque québécoise.

C’est par la une d’un journal de gauche suédois que j’ai d’abord connu Magnus. Nous avions étudié en Suède en même temps et il était correspondant à Montréal. J’étais à l’époque en Colombie-Britannique et en Californie. Lorsque je suis arrivé à Montréal avec ma famille en 1979, Magnus est donc l’une des premières personnes que j’ai cherché à rencontrer. Il était au Canada depuis 1970 et était très impliqué politiquement dans le milieu trotskyste. Moi, j’étais plutôt léniniste, avec un soupçon de Che Guevara, mais on a rapidement mis de côté ces différences, de même que l’antique rivalité Norvège-Suède qui relève de toute façon plus de la légende qu’autre chose. On s’entendait tout simplement bien, comme des compagnons d’armes et des amis proches qui allaient le rester pendant les 35 années suivantes.

L’époque n’était pas facile pour les gens comme nous. La classe ouvrière prenait gentiment son temps, et même si le petit appartement qu’occupait Magnus sur la rue Henri-Julien ne coûtait que 175 $ par mois, la révolution ne payait pas le loyer. Que fait alors le propagandiste créatif ? Des documentaires, voilà ce qu’il fait. À ce moment-là, Magnus réalisait des documentaires radio pour diffusion en Suède. Il m’a fait faire la voix d’Érik le Rouge pour une reconstitution de la découverte de Vinland et c’est ainsi que j’ai obtenu moi-même mon premier boulot. Ma famille est ensuite partie en Afrique pour quelques années (cherchant toujours la révolution) et lorsque nous sommes revenus, Magnus était rendu à collaborer à des émissions d’affaires publiques à la télévision, d’abord à la CBC, puis à Radio-Canada pour la nouvelle émission Le Point.

Un homme engagé

C’est là qu’il a commencé à creuser certains enjeux qui l’interpellaient depuis longtemps, notamment la situation des autochtones à travers les Amériques et la détérioration de l’environnement. C’était au début des années 1980, bien avant que ces sujets ne deviennent populaires. Je me souviens certaines de ses grandes couvertures, comme son reportage sur une communauté inuite qui avait donné à peu près tout ce qu’elle avait aux victimes de famine en Éthiopie, parce qu’elle avait elle-même perdu beaucoup des siens dans des contextes similaires à une époque qui n’était pas si lointaine.

Au fur et à mesure de son évolution, comme il continuait à creuser ces sujets, Magnus a commencé à se heurter aux limites du journalisme télévisé grand public. Il voulait que son travail incite à l’action, et c’est devenu plus clair encore après avoir rencontré le militant antinucléaire Dr Gordon Edwards. C’est ainsi qu’il a quitté Radio-Canada afin de commencer à travailler sur son premier documentaire, Uranium, financé par l’ONF. Comme on pouvait s’y attendre, l’industrie nucléaire canadienne détesta le film et fit tout pour empêcher sa sortie. C’était un combat, le premier d’une longue série pour Magnus qui était toujours du côté des sans-voix, opposant la Vérité au Pouvoir (speaking truth to power).

Si tout ceci a l’air un petit peu trop sérieux ou même hagiographique, permettez-moi d’être clair : nous n’étions pas trop à plaindre. En fait, on avait plutôt plaisir à brasser la cage. Magnus et moi étions d’ailleurs de vrais Scandinaves en exil, randonnant dans les montagnes, skiant au Viking club de Morin Heights et prenant de longs saunas terminés par des roulades nus dans la neige. Nous campions et cueillions des petits fruits également. Alors que j’étais en train de perdre dans le cadre d’un conflit qui m’opposait, moi et d’autres, à CBC-Radio, à Toronto, Magnus m’a ouvert la porte de l’industrie du film et je l’ai rejoint à Alter-Ciné. Tandis que la bataille autour d’Uranium faisait rage, nous sommes allés en Namibie juste avant l’indépendance et fait un petit film qui est devenu un classique dans ce pays (Toivo – Child of Hope  ; 1990).

Aujourd’hui, presque 25 ans plus tard, je peux comprendre pourquoi Magnus est aimé et admiré par tant de gens. Il s’est intéressé à des histoires qui devaient selon lui être racontées et s’y engageait totalement. Il s’accrochait même lorsqu’il se faisait envoyer balader, encore et encore, par ceux qui avaient le pouvoir de changer les choses. Travaillant avec peu ou pas d’argent pendant des mois, voire des années, il parvenait à boucler des projets que la plupart d’entre nous auraient abandonnés. Il a sans doute dû avoir d’importantes discussions avec celle qui partageait sa vie, mais Jocelyne lui a apporté un soutien incroyable, et inversement alors qu’ils travaillaient de plus en plus souvent ensemble ces dernières années. Sa générosité légendaire envers les réalisatrices et réalisateurs débutants et toutes les personnes avec qui il a travaillé faisaient partie de son engagement. La dernière semaine de sa vie, il organisait un tournage pour son film sur les Mémés en colère (Raging Grannies) – projet en cours depuis combien d’années ? – et était toujours à travailler sur le synopsis qu’il avait confié à des amiEs dignes de confiance pour être sûr que ses idées continueraient à vivre même après son départ.

Il a pleinement vécu ce en quoi il croyait. Sacré veinard… et nous avons eu, nous, la chance d’être ses amiEs.

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