Une douce révolte agricole…

3 mai 2022

Une douce révolte agricole…

Recension du film Humus

Pierre Avignon

Le film Humus de Carole Poliquin prendra l’affiche le 20 mai 2022.

« On s’est trompé » affirme François, personnage principal du dernier film de Carole Poliquin. Le titre, Humus, fait référence à la terre provenant de la décomposition des végétaux, mais également à un milieu favorable à une émergence. Ce milieu, c’est celui où vivent ce maraîcher engagé et sa famille, qu’on suit pendant plusieurs saisons et qui tentent de participer à réparer une erreur commise collectivement : le passage à une agriculture industrielle qui nous amène « dans le mur  », qui « détruit le sol et la terre » et qui nous fait mourir plutôt que de nous nourrir. Ce point de départ brutal nous ramène aux théories de l’effondrement et de l’anthropocène.

Carole Poliquin aurait pu emprunter la perspective historique et didactique pour nous amener à comprendre comment l’agriculture, une activité fondamentale, a épousé les lois du marché. Elle a plutôt emprunté une trajectoire plus optimiste et poétique, et nous propose un véritable hymne à la nature. La ferme maraîchère biologique que l’on découvre tout au long du documentaire est mise en valeur par une magnifique série d’images, d’une sobriété qui fait échos aux propos de François.

Ce dernier ne se contente pas de cultiver des légumes, loin de là ! Il envisage son activité comme un changement de paradigme face à ce qu’il qualifie d’« agriculture d’extraction ». S’inscrivant dans le mouvement de l’agriculture régénératrice, ou agroagriculture, il vise, avec sa ferme Les bontés de la vallée, à produire sans détruire. Face au modèle de la monoculture, avec ses immenses champs nécessitant de la grosse machinerie et des produits chimiques, François rappelle que « c’est la diversité qui crée la fertilité ». Il nous explique l’importance de sols vivants, pour respecter la nature, incluant les microorganismes, mais également pour assurer un rendement à long terme de la production qui nous nourrit. On comprend alors comment la culture de la performance et de la croissance infinie, une culture de domination du vivant, ne peut aller de pair avec le changement d’orientation indispensable que le monde agricole doit entreprendre pour continuer à nourrir le monde… avant la fin du monde. 

Mais le chemin choisi par François n’est pas le plus facile, comme on peut le constater en le suivant dans son quotidien. Sortir du libre marché et vivre en harmonie avec la nature n’est malheureusement pas une voie sans obstacles. Tout cela demande des efforts physiques considérables, un travail de la terre sans machinerie lourde, et de l’énergie pour développer une production qui permettra d’en vivre. Ces difficultés essoufflent notre personnage.

Pourtant, contrairement à ce qu’il semble ressentir, François n’est pas seul et nombreux sont celles et ceux qui pensent également que l’agriculture est un bien commun qu’il faut se réapproprier, à la fois pour assurer notre autonomie alimentaire, mais également la sauvegarde de l’environnement. De l’ouvrage Pour le bien-être de la terre, de l’agronome lanceur d’alerte Louis Robert, à ceux du désormais célèbre jardinier maraîcher Jean-Martin Fortier, en passant par La révolution agroécologique, d’Alain Olivier et (bien sûr) par le dossier « Cultiver la résistance agricole » publié par la revue À Bâbord !, il existe un intérêt bien réel et renouvelé pour le sujet. Le film de Carole Poliquin s’inscrit donc dans cette vague, en douceur et en beauté. Il contribuera à sensibiliser la population sur cette question incontournable et à soutenir la nécessaire mobilisation pour que « la vie se poursuive ».

À lire également : « Revoir l’agriculture », entrevue réalisée par Claude Vaillancourt avec la réalisatrice Carole Poliquin, revue À bâbord !, numéro 91, printemps 2022.

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